De l’avenir de la voiture à moteur thermique

par Jean-Pierre Schaeken Willemaers
Institut Thomas More, Président, Pôle Energie, Climat, Environnement

 

Dans un contexte de remise en question des voitures à moteur thermique et de lobbying pour en interdire la vente, à brève échéance, on serait bien avisé avant de se précipiter dans un tel changement radical et brutal de paradigme, de s’interroger sur la pertinence de son urgence et, partant, sur une approche plus pragmatique tenant compte des réalités socio-économiques.

ll faut d’abord rappeler que la marché de la voiture est mondial et qu’il est de plus en plus conditionné par les politiques des pays émergents et en développement qui ont comme souci prioritaire d’assurer leur croissance économique et d’améliorer les conditions de vie et le confort de leur population. La voiture en fait partie !
Ces mêmes pays sont également fort préoccupés, à juste titre, par la pollution de leurs villes [1]. Or celle-ci provient nettement plus de la production de chaleur dans les secteurs industriels, des services et du logement, que de la circulation automobile. Ce n’est donc pas cette dernière qui, pour ces pays, est la cible prioritaire pour assainir l’air urbain, mais plutôt le mode et l’efficacité de génération de calories dans les secteurs précités.
D’ailleurs, le marché des voitures à moteur thermique, connaît une croissance soutenue dans le monde ces dernières années (en moyenne 3%/an). Sur les 98 millions de voitures neuves vendues en 2018, il n’y aurait qu’à peine plus d’un million de véhicules électriques (VE) [2] et très peu de véhicules à hydrogène. Alors que tous les fabricants investissent dans le développement des VE, la très grande majorité d’entre eux dont tous les européens et même Toyota qui y avait consacré des recherches approfondies, ont abandonné l’option hydrogène.

Quant aux biocarburants, l’UE avait décidé d’imposer, notamment par la directive européenne 2009/28 (amendée ensuite), leur mélange à l’essence ou au diesel afin de réduire les émissions  de gaz à effet de serre (GES).

Il s’agit :

  • de bioéthanol obtenu par fermentation de cannes à sucre, de maïs, de céréales ou de betteraves, suivie d’une distillation ;
  • et de biodiesel produit par conversion des huiles provenant de colza, de soja, de palmier, de graisses animales ou de graisses recyclées, en acides gras qui à leur tour sont convertis en esters.

Grâce à de généreuses subventions, une industrie de bioéthanol et de biodiesel  a été créée en Europe non sans conséquences néfastes.

Parmi celles-ci, rappelons, entre autres, que :

  • des terres utilisées pour des cultures alimentaires, servent à la production de biocarburants, ce qui entraîne un gonflement des  prix des aliments correspondant aux cultures ainsi déplacées, le fameux  ILUC (indirect land-use changes) ;
  • les cultures à destination de l’industrie des biocarburants augmentent les émissions de GES lorsque les terres qui leur sont allouées proviennent de la déforestation ou étaient des jachères à basse émission de GES. Ainsi, par exemple, lorsque le paramètre  ILUC est pris en considération dans les calculs, les émissions  de GES sur un cycle complet de vie de l’ethanol produit à partir de maïs, croissent de 135 gCO2/MJ à 177 gCO2/MJ [3].

L’utilisation de biocarburants produits de cette manière n’est manifestement pas la solution.

D’autre part, il est étonnant que les décideurs politiques européens n’aient pas  accordé plus d’intérêt aux voitures fonctionnant au gaz comprimé (GNC). Sa combustion ne dégage pas de particules fines  et est moins polluante que celle de l’essence et du diesel (oxydes de soufre etc).
En outre, elle émet 20% moins de GES que l’essence. La pénétration des voitures au gaz est très faible alors que les réseaux de gazoducs  sont bien distribués dans toute la Belgique. En outre les compresseurs de gaz sont faciles à installer et d’un prix abordable.

Il est vrai que le prix d’achat des voitures GNC est plus élevé que celui des autres voitures à moteur thermique en raison, entre autres, du coût des réservoirs à 200/250 bars et que leur autonomie est moins grande (sauf s’il y a deux réservoirs, l’un pour le gaz, l’autre pour l’essence). Par contre,  le gaz est meilleur marché que les autres carburants.

Tant que le marché des voitures à moteur thermique reste prospère à l’échelle mondiale, les européens auront accès à une large gamme de ce type de véhicule,  globalement meilleur marché que les voitures électriques, car au prix d’achat de celles-ci, il faut ajouter le coût des subventions  qui est répercuté sur toute la population et celui des infrastructures ainsi qu’une puissance électrique supplémentaire (de nouvelles centrales) indispensable pour une recharge rapide.

Rappelons également que l’approvisionnement en combustible fossile (essence, diesel ou gaz) ne pose pas de  problème d’approvisionnement vu leur abondance dans le monde. De nouveaux gisements sont régulièrement découverts, même en Europe, du moins en ce qui concerne le gaz, par exemple, au sud de l’île de Chypre.

D’autre part, il ne faut pas perdre de vue que les constructeurs européens ont beaucoup investi  dans le développement des voitures à moteur thermique et qu’ils entendent amortir ces investissements. Ils ne sont donc pas disposés à abandonner ce créneau du jour au lendemain.

En Belgique, comme dans la plupart des  pays européens, il n’y a pas actuellement de véritables alternatives à la voiture thermique.

La carence de transports en commun, leur fréquence et leur régularité insuffisantes aussi bien dans les campagnes que pour accéder aux villes et même dans celles-ci (surtout si la construction de nouvelles lignes de métro est interdite), sont patents.

La voiture thermique reste encore pour pas mal de temps, par la force des choses, la liberté des usagers tant pour les déplacements professionnels que de loisir ou de tourisme dans les pays voisins et les régions peu ou pas desservies par les transports en commun. Et n’oublions pas que la population vieillit et que la voiture lui permet  la mobilité dont elle serait privée sans elle.

En outre des bio-carburants alternatifs n’ont pas encore atteint un niveau de maturité et de compétitivité suffisants, tant s’en faut.

 

Notes

1. Il ne faut pas confondre pollution et émissions  de gaz à effet de serre (GES). Le CO2  ne pollue pas (contrairement aux oxydes de soufre, d’azote etc.), bien au contraire, il est  nécessaire à la vie.
2. European Scientist, Jean-Paul Oury, 10.10.2018
3. SPP research papers, Energy and Environment, University of Galgary (Canada), December 2010.

6 réflexions sur « De l’avenir de la voiture à moteur thermique »

  1. Merci M. Schaeken pour cette intervention en faveur des moteurs thermiques. 2 questions:
    1) le gouvernement a largement subsidié Audi Forest pour attirer la production du modèle électrique E-tron; ils ont déjà du revoir leurs prévisions de production à la baisse: qu’en pensez-vous ?
    2) la haine du Diesel est-elle justifiée face aux moteurs modernes cf. norme Euro 6 ? Ou est-ce encore une fois du bashing ?

  2. Nos grands prêtres de l’écologie désormais devenue religion, veulent le tout électrique! Mais en même temps ils veulent fermer toutes les centrales de production électrique par le nucléaire! A part pouvoir ainsi alimenter des trottinettes électriques, pensent-ils sérieusement répondre une demande, alors devenue énorme, par les éoliennes, les panneaux solaires et la biomasse?

  3. Il y a un point que vous ne mentionnez pas concernant les VE, où trouver l’énergie qu’ils consomment.
    Pour la France, j’ai fait le petit calcul suivant : nous consommons par an, un peu moins de 50 millions de m3 de carburant, soit 50 milliards de litres, soit 600 milliards de Kwh.
    En considérant qu’un moteur thermique a un rendement de 35 % et un moteur élec de 95 %, il faudrait trouver, sauf erreur, 220 Twh pour passer au tout électrique !
    La production annuelle de nos 56 centrales nucléaires étant de 400 Twh, on fait comment, avec notre EPR qui n’est tj pas en service ?
    Les énergies renouvelables ? j’ai des doutes.

  4. Je vous remercie de votre commentaire. Je n’ai, en effet, pas abordé le problème de l’approvisionnement en électricité pour recharger les VE vu que, d’une part, le sujet principal de mon papier est l’avenir des voitures thermiques et que, d’autre part, je suis limité par le nombre de signes autorisés. Mais je suis d’accord avec vous que la quantité d’énergie électrique requise si toutes les voitures thermiques sont remplacées par des VE, pose un problème majeur de production d’électricité que les centrales nucléaires soient arrêtées ou pas.

  5. La surpression de 700.000 voiture salaires employés et indépendants qui re chargeraient 2h par jour entraîne une surcharge de plus de 25% de la demande typique de 12 GWh en soirée. Sans nucléaire on brûle de gaz dont le CO2 correspondrait a une distance maison/bureaux de 45 km. La moyenne en Belgique est de 15 km. Avantage CO2 : NUL

  6. ET LE PIC PÉTROLIER ?
    Le pic pétrolier (pétrole classique à bas prix de production) est OFFICIELLEMENT survenu vers 2006-2008 selon l’AIE. Et depuis, sa production a (tout aussi officiellement) même baissé. De tous ces bavardages ci-haut c’est le point le plus important et il est complètement ignoré. La voiture individuelle n’a AUCUN avenir, sous quelle que formes que ce soit. Sa fin est imminente.

    Jean-Pierre
    Créateur du site internet Articlesdujour.com/ avec plus de 50 000 pages de textes sur l’économie, l’énergie et le climat.

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