par Prof. émérite Alain Préat, Université Libre de Bruxelles
Cet article fait suite à une conférence donnée dans le cadre du CEPULB (Université Libre de Bruxelles) le 16 décembre 2024. Un court texte intitulé « le Pacte Vert à la lumière de la géologie’ a été publié le 31 janvier 2025 sur le site de SCE. Faisant suite à ces interventions un texte de 16 pages a été publié en septembre 2025 dans le magazine ‘Artichaut’ sous l’égide du CEPULB (Université Libre de Bruxelles). Le texte montre que bien que présentées comme durables, les filières vertes et numériques reposent sur une exploitation intensive des ressources minérales, dont les effets environnementaux, sanitaires et géopolitiques appellent à une analyse critique de la transition énergétique contemporaine.

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Evolution récente du sujet (fin 2025)
S’il est un domaine où les événements se précipitent, celui de la transition énergétique en est un bon exemple, il ne se passe pas un jour où il n’occupe le devant de la scène médiatique et politique. Aussi en moins d’un an, depuis la conférence (décembre 2024), depuis la parution de l’article dans SCE (janvier 2025) et de sa finalisation dans l’article d ‘Artichaut’ (mai 2025) le dossier de la transition a beaucoup évolué.
Prenons le débat autour de la directive ‘C3SD’ (obligation de vigilance des entreprises en matière de durabilité) au sein de l’UE qui illustre une dérive réglementaire du Pacte Vert (Green Deal) mettant en péril la désindustrialisation et l’attractivité de l’Europe. Le commissaire européen au climat (W. Hoekstra, Oct 2025) admet que la facture devient trop lourde ce qui met dans l’embarras la Commission face à une politique climatique de plus en plus coûteuse pour l’économie réelle. Selon Furfari (2025) une simplification urgente s’impose pour éviter un déclin durable. Ce auteur rapporte que des lignes de fractures se manifestent au Parlement européen et que l’UE prend enfin conscience de la nocivité de sa dernière version des règles du Pacte Vert qui découragent les investissements européens et non européens. Consciente de cette situation, liée à des querelles idéologiques, l’UE propose en 2025 des simplifications administratives dans le cadre de plusieurs paquets ou trains de mesure présentés dans la législation Omnibus afin de renforcer la compétitivité des entreprises. L’avenir dira ce qu’il en adviendra, en attendant citons Furfari (13/10/2025) : La présidente Von der Leyen doit rallier sa coalition derrière un objectif commun. Dans son discours inaugural pour un second mandat, elle a relégué au second plan la priorité du Pacte Vert au profit de la compétitivité, mais le temps nous dira si elle y parviendra. Et son temps est compté. Elle a déjà fait face à trois votes de défiance, et la mise en œuvre de la déréglementation pourrait bien être ce qui lui permettra de sauver sa position précaire … L’abandon de l’appellation « Green Deal » au profit d’un « Clean Deal » est une proposition inutile et fantaisiste de la part de Mme Von der Leyen.
Pourquoi ce Pacte Vert fait-il l’objet de tant d’interrogations ou critiques ? La réponse est simple, d’abord il se heurte à la réalité économique mondiale, ensuite le timing imposé par l’UE est irréaliste au vu des ressources disponibles. A cela s’ajoute que l’extraction des minerais est une opération polluante : une tonne de terres rares engendre jusqu’à 2000 tonnes de déchets toxiques, 1000 tonnes d’eau contaminée par des métaux lourds, 1,4 tonne de déchets radioactifs sans parler de la dégradation des paysages. Qui connaît une mine non polluante ?
L’Europe a pris conscience, lors de la crise du Covid 19, puis lors de l‘invasion de l’Ukraine par la Russie, de la vulnérabilité de ses chaînes d’approvisionnement en métaux critiques (Jérémie et Jacquemin, 2025). Prenons et développons un exemple abordé dans la conférence (SCE) : la Chine contrôle aujourd’hui l’essentiel des chaînes d’approvisionnement des métaux critiques et l’Europe part en retard dans cette course au long terme (Diefenbacher, 2005). Elle contrôle 80 à 90% de la production et du raffinage mondial sans grand respect des conditions environnementales. Dans ce cadre la Chine, se montre agressive en déployant de nouveaux contrôles sur les exportations de technologies liées à l’extraction des terres rares (REE) en instaurant un système de licence pour leur exportation (Bourdillon, 2025). Citons cet extrait éclairant (in H16, 2025) : Les Chinois, d’habitude prudents commerçants et cherchant le compromis, décident d’imposer de nouveaux contrôles drastiques à l’exportation de leurs terres rares, y compris raffinées et utilisées dans les technologies modernes. Ainsi, dans une annonce récente du ministère chinois du Commerce datée du 9 octobre 2025, on apprend que Pékin va imposer des contrôles à l’exportation élargis sur les terres rares et les aimants permanents, effectifs au 8 novembre 2025, incluant sept minéraux supplémentaires (samarium, gadolinium, terbium, dysprosium, lutetium, scandium et yttrium) et s’étendant à tout produit contenant plus de 0,1 % de matériaux ou technologies d’origine chinoise en terres rares. En sous-titre, tout le monde comprend que cette mesure cible notamment la défense, les semi-conducteurs, les véhicules électriques et des technologies avancées.
Contrairement aux restrictions passées (de 2010 ou 2023), celle-ci n’est pas limitée aux minerais bruts mais englobe le raffinage, la transformation et l’intégration finale, amplifiant son impact systémique …
La fragilité de l’Europe qui dépend à 70 % directement de la Chine pour ces imports critiques (le reste provenant en grande partie des Américains, donc des Chinois de façon indirecte) est évidente. La Chine s’est constitué un quasi-monopole mondial de production de ces métaux indispensables aux hautes technologies, dans le numérique, l’automobile, l’énergie ou encore l’armement (Bourdillon, 2025). Face à nos maigres ressources actuelles en métaux et terres rares, l’UE, confrontée à ses ambitions, est en difficulté, non seulement à moyen terme, mais également à long terme. Ajoutons que les restrictions environnementales ne sont pas les mêmes en Chine et en Europe, et que les terres rares et métaux sont indispensables à la transition énergétique, numérique et écologique. Les mesures restrictives de la Chine mettent en place une dépendance quasi-absolue internationale et s’inscrivent dans le cadre de la guerre commerciale avec les USA. Toute entreprise étrangère devra désormais, à partir du 1er décembre, obtenir une autorisation d’exportation avant de vendre à l’étranger un produit fabriqué dans un pays tiers si ce produit contient, intègre ou mélange des éléments issus de terres rares chinoises, et que ces composants représentent au moins 0,1% de la valeur totale du produit (Transitions Energies, 2025). Les conséquences pour l’UE sont multiples et discutées par Moller-Nielsen (Oct 2025).
Quelle serait finalement la limite de l’épure de cette transition? Elle se trouve intégrée dans une boucle qui est en réalité un cercle vicieux : le numérique ne fonctionne pas sans électricité et l’électricité décarbonée dépend du numérique. A l’échelle mondiale, l’AIE prévoit le doublement de la consommation des centres de données d’ici 2030 (in BRGM, 2025). Ainsi paradoxalement, la transition vers une électricité décarbonée accélère l’essor du numérique — qui est entièrement tributaire de l’électricité. Ce cycle entraîne un emballement de la production électrique et numérique sans qu’aucun mécanisme de régulation ne soit, à ce jour, envisagé pour en limiter l’ampleur (BRGM, 2025). Il faudra en conséquence fournir d’ici 2055 autant que ce qui a été produit depuis l’aube de l’Humanité, (Vidal et al., 2021), nécessitant un apport d’énergie supplémentaire de 21 à 37% (Elshkaki et al., 2018).
Face à ces dilemmes des plans ‘B’ sont à l’étude. L’exploitation spatiale est envisagée, la surface de certains astéroïdes contient du Pt, Fe, Co, Ni en grande quantité. La Lune fait l’objet de projets d’exploitation par des sociétés privées et par les Etats de grandes nations (Hood, 2024). Ces exploitations spatiales (astéroïdes, Lune) sont envisagées à court ou moyen terme et la compétition pour l’accès aux ressources sera à nouveau la règle.
Le Pacte Vert ne cesse pas d’alimenter la controverse, au sein même de l’UE.
Citons EURACTIV (Oct 2025) rapportant que des eurodéputés approuvent le recul sur les règles de durabilité des entreprises. Une proposition visant à assouplir les règles obligeant les entreprises à garantir l’absence de dommages environnementaux ou de violations des droits humains tout au long de leurs chaînes d’approvisionnement a été adoptée lundi 13 octobre par une commission du Parlement européen. Il s’agit d’une victoire pour le Parti Populaire européen (PPE) et d’un revers pour le Green Deal. Cette proposition traduit le malaise mis en évidence en février 2025, Bruxelles cherche un équilibre quasi impossible entre ambitions climatiques et compétitivité économique (Oct 2025). La Commission européenne a présenté des mesures qui font le grand écart entre l’avenir industriel du continent et l’objectif zéro carbone en 2050 (21News, 2025). Le titre de cet article est ‘La Commission européenne déchirée entre Pacte vert et Pacte industriel’.
Pour conclure le Pacte Vert ‘est pollué’ par de nombreux problèmes qui ont mis du temps à se révéler, parmi ceux-ci ne citons que la relation avec les entreprises et la démesure des métaux requis en regard d’un timing très court induit par l’alarmisme climatique. Ce Pacte est-il bien réaliste… ?
A côté de ce constat peu encourageant, la réalité énergétique semble revenir sur le devant de la scène puisque l’AIE (in Transitions Energies, Sept 2025) est en train, douloureusement, d’admettre que le déclin dans le monde de la consommation d’hydrocarbures en volume n’est pas pour demain, mais pour après-demain. Cela fait des années que l’AIE annonce, en vain, le pic de consommation de charbon, de pétrole et de gaz. Selon un nouveau scénario, qui n’est pas encore figé, l’AIE estime maintenant que « la consommation de pétrole et de gaz naturel augmentera jusqu’en 2050 … si les politiques actuelles ne changent pas. L’ Agence internationale de l’énergie et son Directeur exécutif, Fatih Birol, sont tombés dans le piège que bon nombre d’organisations et d’institutions internationales engagées dans la transition énergétique n’ont pu éviter depuis des années.
Ils ont pris leurs désirs pour la réalité et ont été emportés par le militantisme…
C’est également la conclusion de Caballero (2021) pour qui l’idée d’un transfert de dépendance du pétrole vers les métaux ne résiste pas à l’analyse.
Notons que les prévisions de croissance à l’ échelle mondiales des ENR sont revues à la baisse de 5% pour la période 2025-2030 par rapport à 2024 (Ewans, 2025). La production mondiale de charbon devrait atteindre un nouveau record en 2025, tirée par la croissance continue de la production en Chine et en Inde, qui comptent sur le charbon pour assurer leurs priorités en matière de sécurité énergétique (AIE, 2025).
Pour terminer, revenons à la partie dite ‘vertueuse’, la plus mise en évidence par les médias et les politiques, de la transition et reprenons la conclusion de mon article dans le magazine ‘Artichaut’ (ici).
Cette transition ne ressemble-t-elle pas à une transition à marche forcée ? Beaucoup le pensent. D’autres vont plus loin et la mettent en doute.
…
Restons donc vigilants et ne prenons pas pour argent comptant ce qui nous est « vendu » comme une évidence. Oui, la transition a une face cachée. Non, les énergies vertes et le numérique ne sont pas propres. Le constater devrait ensuite permettre à chacun de consommer de manière a minima informée, et de relativiser cette fameuse transition écologique (énergies vertes et numérique) si propre, si durable… comme par magie !