Le métavers : état des lieux    

par Jean-Pierre Schaeken Willemaers 

Le numérique ne cesse de façonner notre environnement au point de générer un nouveau monde où les réalités physique et virtuelle cohabitent : le métavers.
Il apparaît comme une étape (en gestation) de l’évolution de l’Internet permettant notamment un accroissement de la flexibilité, de la connectivité, de la décentralisation et des performances des activités humaines en intégrant  les autres technologies numériques.
Cette nouvelle version de l’Internet est bâtie sur l’intelligence artificielle (IA), la réalité virtuelle (virtual reality-VR) et la réalité augmentée (augmented reality-AR) ainsi que la blockchain.

Passons en revue brièvement ces différentes technologies pour en dégager leurs propriétés essentielles au bon fonctionnement du métavers.

L’IA s’avère la technologie adéquate pour assurer ce dernier, grâce notamment à ses techniques de reconnaissance de l’image, du traitement du langage, de traduction automatique et des interfaces cerveau-ordinateur.
Il permet d’évoluer naturellement dans un monde numérique durable se mêlant au monde physique plutôt que d’y avoir accès ponctuellement via des interfaces classiques telles que les écrans ou les ordinateurs. Ainsi, au lieu de parler à des amis en vidéo, on se retrouverait, par avatars (jumeaux numériques) interposés, dans un environnement virtuel.

Un autre développement résultant du couplage du métavers et de la technologie FNT est en cours.
Les NFT (Non Fungible Token-jetons non fongibles)  sont des fichiers numériques, hébergés sur une blockchain, qu’il est possible d’acheter ou de vendre, les valeurs sous-jacentes (sculptures, tableaux, terrains, biens immobiliers, etc.) n’étant pas interchangeables (elles sont non fongibles).
Ils sont détenus dans un portefeuille électronique (une adresse dans une blockchain supportant un réseau de transactions où sont stockées les cryptomonnaies arrivées à cette adresse), mais dont les valeurs sous-jacentes ne sont pas interchangeables (ne  sont pas fongibles).
Ils  offrent  la personnalisation de l’identité des utilisateurs, de nouvelles formes d’interaction et d’expérience culturelle et permettent, entre autres, aux créateurs de monétiser leurs œuvres numériques de façon directe. 
Le NFT pourrait être assimilé à un certificat associé à un objet unique. C’est ce certificat qui peut être vendu ou acheté.
Après avoir pénétré  le marché de l’art, au point que des musées sérieux exposent le travail d’artistes numériques qui travaillent avec les NFT, cette technologie est présente actuellement dans les jeux vidéo.
Cette industrie est le mieux placée pour développer des systèmes 100% immersifs. Elle est la première industrie de divertissement au monde.

 Dans l’industrie, des entreprises travaillent également sur la conception de ces nouveaux espaces virtuels et développent par exemple, des jumeaux numériques d’infrastructures, des clones virtuels de réseaux de distribution d’énergie ou de chaînes de fabrication pour anticiper des accidents par détection d’anomalies de fonctionnement,  réaliser des tests de performance sans les dommages que pourraient entraîner de telles opérations si elles étaient exécutées dans le monde réel, etc.

Quant à la blockchain, elle est une structure de données décentralisée et inaltérable, composée d’un réseau d’ordinateurs appelés nœuds. Lorsqu’une transaction est sauvée dans celle-ci (donc enregistrée et approuvée dans un bloc de celle-ci relié au précédent, tous les blocs étant reliés entre eux), elle est diffusée à travers tous les nœuds du réseau. C’est la raison pour laquelle on définit la blockchain comme un registre partagé de transactions, distribuées à travers le réseau d’ordinateurs. Elle permet donc le traitement et l’enregistrement bon marché, direct et sûr de transactions et le traçage d’actifs tangibles (maison, voiture, argent, etc.) sans intermédiaire  ou organe de contrôle.
Pour sécuriser le réseau de la blockchain, des « mineurs » valident les transactions, les regroupant dans des blocs et créant de nouvelles unités de cryptomonnaies en tant que récompense de leur travail. La consommation d’énergie destinée au minage est énorme.

L’IA associée à l’informatique spatiale combine des mondes physiques et virtuels, en superposant des données numériques à notre environnement réel à l’aide de casques VR, de lunettes AR et d’autres capteurs pour créer une expérience immersive et interactive.

La gestion de l’infrastructure nécessaire au métavers est réalisée par une combinaison du big data et de l’apprentissage profond (technique d’entraînement de l’IA) pour automatiser le processus d’exploitation informatique en ce compris la corrélation des évènements, la détection des anomalies et la détermination des causalités.
La précision des avatars (les doubles numériques des objets physiques) est essentielle pour la qualité de l’exercice.
S’il s’agit d’une personne, il faut non seulement que les images 3 D de celle-ci soient ressemblantes (visage, silhouette),   mais également les détails tels que les expressions faciales, les émotions, la gestuelle et la coiffure, pour  rendre l’avatar plus dynamique.

Le bon fonctionnement du métavers exige une très faible latence (vitesse de réponse de 30 millisecondes) et une bande passante (capacité maximale d’une connexion à transmettre des données en un laps de temps donné) de plusieurs dizaines de térabits par seconde (un térabit est égal à un millier de milliards de bits), qui est bien au-delà de la capacité des data centers actuels (infrastructures physiques  qui abritent et gèrent les équipements informatiques et de réseau : ordinateurs, systèmes électriques et de refroidissement, etc., nécessaires au traitement, au stockage et à la diffusion de grandes quantités de données).

Les algorithmes d’apprentissage profond (deep learning) de l’IA (basé sur un réseau neuronal artificiel permettant des applications très sophistiquées) requièrent une très grande quantité de données pour un bon fonctionnement et donc une puissance de calcul considérable, ce qui entraîne une consommation électrique très importante.
En outre, le métavers  incorpore le WEB 3, dont l’objet principal est d’implémenter une complète décentralisation permettant aux  personnes d’évoluer librement dans le monde numérique.  Celle-ci est rendue possible grâce à la technologie de la blockchain, dont les propriétés sont décrites ci-dessus.

Tant l’IA que la blockchain requièrent une puissance de calcul considérable et donc des superordinateurs, intégrant plusieurs dizaines de milliers de processeurs capables de réaliser un nombre important de calculs précis et complexes.
La vitesse de calcul est dès lors essentielle. Elle est mesurée en flops. Un flop correspond à une opération par seconde. À titre d’exemple, le supercalculateur Titan des laboratoires nationaux d’OakRidge requiert une  puissance énergétique de 9 MW et une puissance de calcul de pointe de 27 pétaflops (271015 flops). Leur coût énergétique au cours de leur durée de vie utile rivaliserait avec leur coût d’acquisition. Il y a donc lieu de réduire autant que possible  la consommation électrique de ces machines ainsi que le coût de l’évacuation de chaleur dégagée par leur fonctionnement.

L’industrie du jeu vidéo est la mieux placée pour se lancer dans le métavers et développer des écosystèmes de jeux 100% immersifs.
C’est déjà la première industrie de divertissement au monde avec un chiffre d’affaires  dépassant 300 milliards de dollars par an de recette au niveau mondial. L’industrie des jeux vidéo pèse désormais plus lourd que celles de la musique et du cinéma combinés, selon une étude publiée par le consultant Accenture.

Les réseaux sociaux ont également pour objectif de développer ce nouvel outil numérique.
Facebook promet aux internautes une nouvelle expérience du web sur des activités que tout le monde pratique déjà sur internet, comme la visioconférence, le shopping en ligne, le streaming et l’usage des réseaux sociaux.

Dans le secteur industriel, d’autres concurrents de Facebook travaillent également sur la conception de ces nouveaux espaces virtuels. C’est, entre autres, le cas de Microsoft. La firme de Seattle développe des « jumeaux numériques » d’infrastructures, des clones virtuels des « réseaux de distribution d’énergie, des entrepôts ou des usines » existant, afin de les modéliser.

Toutefois, il faut noter que la tendance actuelle pour les entreprises est d’utiliser le métavers pour réaliser des objectifs spécifiques : renforcer leur image de marque, créer une réplique de leurs installations, offrir des expériences interactives avec des visiteurs, offrir un espace virtuel pour la formation des employés ou l’apprentissage de nouvelles compétences, voire favoriser la collaboration entre eux, présenter des showrooms virtuels où des clients peuvent explorer leurs produits en trois dimensions.

Coca-Cola organise des évènements virtuels, renforçant son image de marque innovante, JP Morgan a ouvert un salon virtuel dans Decentraland, devenant la première banque à établir une présence dans le métavers, Samsung a créé une réplique virtuelle de son magasin, offrant des expériences interactives aux visiteurs et Accenture avec son Nth Floor, un espace de travail virtuel pour la formation de son personnel.
Les réseaux sociaux ont également pour objectif de développer ce nouvel outil numérique. Ainsi, Facebook promet aux internautes une nouvelle expérience du web sur des activités que tout le monde pratique déjà sur internet, comme la visioconférence, le shopping en ligne, le streaming et l’usage des réseaux sociaux.
En somme, le Métavers semble prospérer aujourd’hui non comme un duplicata générique de notre monde, mais plutôt comme une industrie apportant une solution à des besoins qui existent déjà.

Jusqu’où et à quel rythme les métavers pourront-ils pénétrer les activités humaines ?

La puissance de calcul des superordinateurs pourra-t-elle répondre  à un développement accéléré et global de cette nouvelle technologie ?
La question se pose également pour la capacité de production d’énergie électrique : sera-t-elle suffisante pour alimenter un système à croissance énorme alors qu’elle est déjà fortement sollicitée, entre autres, par le déploiement  des nanotechnologies, de l’IA et de l’industrie de l’armement ?

Dans son rapport sur l’intelligence artificielle, Cédric Villani avait déjà averti en 2018 que la part de la consommation énergétique du numérique pourrait atteindre entre 20% et 50% de la consommation mondiale d’électricité  en 2030.

Bien entendu, comme pour toutes technologies nouvelles, il y a lieu de se préoccuper  de sécurité  et de protection de la vie privée. Celles-ci ont toujours exigé des réflexions sur la façon dont elles devraient être utilisées. Les failles ne sont pas causées par les algorithmes, mais sont le résultat direct des données qui sont introduites dans le système de l’IA. Si ces dernières présentent  un biais, il en sera de même du résultat des calculs.

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