Combien de supercontinents de type ‘pangées’ depuis la formation de la Terre?

Texte de A. Préat (Université libre de Bruxelles).

Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles. Citer comme A. Préat, « Combien de supercontinents de type ‘pangées’ depuis la formation de la Terre » https://www.notre-planete.info/actualites/4575-formation-supercontinents-pangee-Terre

25.03.2018

 

Il en fallu du temps pour s’apercevoir que nous vivions sur une Planète ‘mouvante’ faite de pièces de puzzle (les plaques tectoniques) s’éloignant, se rapprochant ou coulissant au moins depuis des centaines de millions d’années à raison de plusieurs centimètres par an. Il fallut encore plus de temps aux géologues et géophysiciens pour s’apercevoir que ce supercontinent, la Pangée, n’était pas une exception dans l’histoire de la Terre, et que plusieurs pangées se sont succédées depuis un peu plus de 2,5 milliards d’années (Ga) suivant un cycle d’environ 300 à 500 millions d’années (Ma). Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi a-t-il-fallu attendre si longtemps ? Peut-on prévoir la formation du prochain supercontinent?

 

La géologie est une science récente…

C’est à partir de 1963 (Vine et Matthews[1]), principalement grâce au paléomagnétisme que l’on comprît le mécanisme à l’origine de la tectonique des plaques pressenti un demi-siècle plus tôt en 1912 par Alfred Wegener à partir de la distribution des paléoflores et des paléofaunes et de la répartition des lithologies sur les différents continents actuels. Wegener en conclut que les continents actuels étaient pour la plupart rassemblés ou emboîtés et formaient à la fin du Permien[2] une seule terre ou un supercontinent qu’il appela la Pangée. Faute de mécanisme convaincant pour expliquer cette situation, peu de géologues adoptèrent la théorie de Wegener et les géologues restèrent fixistes (les continents n’ont jamais bougé) dans leur grande majorité. Il est à noter que la correspondance des formes de côtes entre l’Afrique et l’Amérique du Sud avait déjà été constatée par Francis Bacon en 1620 sans qu’il ne formulât d’hypothèse quant à cette observation [3].



Astronome et climatologue allemand, il fut le premier a suggérer la théorie de la dérive des continents (publiée en 1912), théorie  qui fut validée  40 ans après sa mort avec la tectonique des plaques. A l'époque de Wegener il manquait le 'moteur' càd le mécanisme (cellules de convection dans le manteau) à même d'expliquer la 'dérive des continents'.

Il fallut encore plus de temps aux géologues et géophysiciens pour s’apercevoir que ce supercontinent, la Pangée, n’était pas une exception dans l’histoire de la Terre, et que plusieurs pangées se sont succédées depuis un peu plus de 2,5 milliards d’années (Ga) suivant un cycle d’environ 300 à 500 millions d’années (Ma). Ce cycle nommé cycle de Wilson[4], ou encore cycle des supercontinents, est le plus long cycle à l’échelle géologique qui fédère un nombre impressionnant de processus opérant à différentes échelles spatio-temporelles : ouverture des rides médio-océaniques, localisation des bassins sédimentaires y compris ceux contenant du pétrole, distribution des minéralisations, variation du niveau marin, évolution des compositions isotopiques du strontium, du soufre…, répartition et diversification des organismes (trilobites, dinosaures, algues…) suivant que leurs populations seront isolées ou au contraire mélangées …

… qui a d’abord dû intégrer paléontologie, géochimie, géophysique

La démonstration du mécanisme de la dérive des continents envisagé en 1963 (cf. ci-dessus) illustre parfaitement le côté holistique de la démarche géologique. Pour qu’un supercontinent (ici la Pangée) puisse se fragmenter il faut qu’il y ait une ou plusieurs déchirures qui le morcèle, à la manière de la découpe d’une grande pièce de puzzle en plus petites pièces. Ces déchirures opérant le long de zones dites de divergence sont provoquées par l’émission de laves au niveau de dorsales océaniques[5] (notons qu’au début, au stade de rift[6], il n’y a pas encore de dorsales), ce qui fragmente le supercontinent en morceaux ou continents bordés de domaines marins de plus en plus larges (exemple de l’océan Atlantique) à mesure que l’émission des laves se poursuit.

Des minéraux ferromagnétiques (oxydes de fer-titane, exemple de la magnétite et de l’ilménite) cristallisent dans les laves en enregistrant la direction et l’intensité du champ magnétique pour chaque coulée successive, ce champ présente seulement deux états, la polarité est soit normale (comme aujourd’hui, par convention), soit inverse (orientation magnétique inversée, le pôle nord magnétique devient le pôle sud).
Avec le temps les laves continuent à s’épancher, la largeur de l’ouverture s’accroît et les laves développent une structure zébrée symétrique par rapport au premier épanchement avec une alternance de bandes parallèles de champs magnétiques normaux et inverses. Il suffit alors de dater les laves (par exemple datation isotopique potassium-argon = géochronologie ou chronologie absolue) formées à partir du magma lors des émissions, éventuellement à partir des organismes planctoniques (foraminifères, nannoplancton, radiolaires = biostratigraphie ou chronologie relative) qui sédimentent et se concentrent sur le toit des laves au cours des arrêts des émissions, pour connaître la vitesse d’ouverture océanique. On obtient ainsi la clé pour établir la cinétique de la fragmentation du supercontinent en plaques tectoniques. Comme le globe a une dimension finie, si des éléments se séparent à un endroit donné, d’autres doivent se rapprocher ailleurs en formant par exemple des chaînes de montagnes (= orogenèses) le long de zones dites de subduction. Parfois, suite aux tensions ou stress tectoniques très élevés, les fragments coulissent les uns par rapport aux autres, sans véritable ouverture ou divergence (exemple de la Faille de San Andréas, Californie).

L’ensemble de ces processus (divergence, subduction et coulissement) témoigne d’une redistribution permanente des domaines continentaux et océaniques enregistrée dans le cycle de Wilson que l’on peut schématiser comme suit : un supercontinent se forme et se fragmente après plusieurs dizaines de millions d’années, la fragmentation (= extension avec formation de rifts suite à un amincissement de la lithosphère continentale[7] domine pendant près de 100 Ma et les processus de convergence (= subduction) rassemblent ensuite les continents qui mèneront à un nouveau supercontinent après 150 à 200 Ma. L’origine de ce cycle qui s’étale sur 300 à 500 Ma est uniquement lié à la dissipation de la chaleur interne de la Terre par conduction (pour la fragmentation initiale) et convection pour le déplacement des continents de part en part des dorsales médio-océaniques (= plaques et microplaques lithosphériques). La chaleur provient principalement de la désintégration des éléments radioactifs que contiennent les enveloppes internes de la Terre.

Quand tout cela a t’il commencé ?

Puisque la chaleur dissipée est le moteur de la tectonique des plaques, le cycle de Wilson peut avoir débuté dès la présence des éléments radioactifs. Ceux-ci étaient présents lors la formation de la Terre il y a 4,567 Ga, mais la production de chaleur à cette époque semble avoir été beaucoup trop forte pour que des continents puissent se former par agrégation. Cette forte production de chaleur avait au moins trois origines :

  1. la désintégration radioactive d’isotopes de courte période (par exemple 26Al, 41Ca et bien d’autres[8]),
  2. l’énergie gravitationnelle et
  3. l’énergie d’accrétion[9].

Suite aux flux de chaleur fort élevés les matériaux rocheux formés étaient sans cesse recyclés et les plaques tectoniques n’ont pu grandir suffisamment, elles étaient nombreuses (quelques centaines à 3000 (?) selon certains auteurs) et petites (< 500 km de largeur) au contraire de la quinzaine de grandes plaques actuelles[10].  Il fallut ainsi attendre la fin de l’Archéen (il y a 2,5 Ga) pour qu’une tectonique des plaques similaire à l’actuelle ait lieu. On assista en effet vers 2,5 Ga à une forte diminution (d’un facteur 2 à 3) du flux de chaleur moyen, liée aux éléments radioactifs de courte période de demi-vie (= ‘radioactivité éteinte[11] pour ces éléments) et à la diminution des énergies gravitationnelle et d’accrétion.

On passa ainsi d’une tectonique des plaques ‘verticale’ (recyclages presque constants des matériaux) à une tectonique tangentielle (déplacements ‘horizontaux’ des plaques) ce qui permit l’accroissement des plaques. A cette période 80% de la croûte continentale s’est constituée[12]. L’essentiel de la croûte continentale étant formée à la transition Archéen/Paléoprotérozoïque la suite des événements consistera à de ‘simples’ ré-arrangements ou ‘remodelages’ des fragments continentaux au cours du temps à travers la formation et la fragmentation de nouvelles pangées. L’apparente simplicité du processus est un leurre car les collisions continentales (lors des subductions) seront accompagnées de plissements, de chevauchements, de métamorphisme[13] et ensuite de l’érosion sur plusieurs dizaines de kilomètres d’épaisseur des séries géologiques et substrats rocheux. La plupart des séries sédimentaires s’étant formées dans les bassins (lors des ouvertures océaniques) seront ainsi altérées et érodées, les domaines océaniques disparaissant (lors des subductions) ne laissant plus que des ‘géosutures’ comme témoin de leur présence. On voit donc la difficulté qu’il y a à reconstituer les pangées anciennes, cette difficulté s’accroissant avec leur âge de formation. C’est ici que la géologie revêt son aspect le plus multidisciplinaire, combinant (micro)paléontologie, analyse structurale, géochimie etc…, intégrant l’étude des roches sédimentaires, magmatiques et métamorphiques.

La ronde des pangées

Les analyses précédentes ont ainsi mis en évidence plusieurs cycles de Wilson se succédant depuis au moins 2,5 Ga, peut-être même depuis 2,9 Ga (cf. ci-dessus la discussion sur le gradient thermique à l’Archéen[14]). Avant de donner cette succession un point important est à considérer : le cycle impliquant la formation d’un supercontinent et ensuite sa fragmentation, par exemple lors de processus de rifting, suggèrent qu’il s’agit d’un système de tout ou rien, à savoir que tous les continents sont rassemblés en une seule masse, ensuite tous les continents sont dispersés.

Avec les progrès de la résolution temporelle (datations radiométriques ou datations relatives) cette vision s’est avérée fausse et la réalité montre que le cycle de Wilson présente effectivement une tendance au regroupement des continents alors que d’autres continents se séparent au même moment et vont fonctionner pour leur propre compte. Les anglo-saxons ont trouvé le bon terme qui résume cette situation qui est la règle, le supercontinent correspond ainsi au ‘maximum packing’ des continents. En fait l’idée d’une seule phase de rassemblement ou assemblage final de tous les continents impliquerait que tout se plisse en même temps dans une même zone, le globe étant de dimension finie cela est peu probable. Cette interprétation du ‘maximum packing’ a été validée dans le cycle des pangées anciennes.

 



Supercontinent Rodinia formé entre 1,1Ga et 0,75Ga. La zone rouge foncée indique la formation d'une chaîne de montagne (érodée par la suite). Les terrains (='terranes') de la Belgique proviennent du bloc Amazonia ('South American Craton'). Source: The Earth Through Time.

Notons aussi que puisque la croûte continentale était déjà massivement formée il y a environ 2,5 Ga les zones de subduction viendront ajouter de nouveaux terrains sur les cœurs anciens des premières pièces du puzzle continental, ces pièces étant particulièrement rigides elles sont stables et les zones ajoutées en leurs bordures seront accolées le long de sutures matérialisant les zones subduction dont elles proviennent. On voit donc que les premières zones stables se renforcent avec le temps et constituent des cratons, c’est-à-dire de vastes portions du domaine continental par opposition aux zones instables déformées dont les orogenèses sont l’expression suite à la disparition des domaines océaniques liée à la compression induite par subduction.

Quels sont donc les épisodes de ‘maximum packing’ c’est-à-dire de formation de supercontinents à travers les temps géologiques ? Vu la complexité du problème liée à la disparition des témoins les plus anciens à travers les cycles orogéniques, la littérature n’est pas unanime non seulement sur le nombre exact de ces supercontinents mais également sur leurs noms, particulièrement ceux situés à la fameuse limite de 2,5 Ga (transition Archéen/Protérozoïque), ensuite l’accord est bon dans les grandes lignes [15]. Chaque supercontinent formé sera disloqué et mènera à travers une nouvelle phase d’assemblage au supercontinent suivant, parcourant ainsi idéalement la totalité d’un cycle de Wilson sur 300 à 500 Ma. L’essentiel de l’histoire est inscrit dans les sédiments des bassins formés pour la plupart sur la croûte océanique dont l’âge moyen est de 55-60 Ma (elle n’excède pas 180 Ma) : depuis qu’elle existe et se forme elle est donc recyclée dans les zones de subduction en moyenne tous les 60 Ma avec les sédiments du bassin. Les premières croûtes océaniques se seraient mises en place vers 3,86 Ga (encore matière à débat) ce qui implique que la croûte océanique aurait subi plus de 60 recyclages depuis la limite Hadéen/Archéen (4,0 Ga). Cela représente un recyclage de 7% du manteau supérieur[16] ou 21 fois la surface terrestre.  C’est dire que les messages sédimentaires furent dans leur grande majorité effacés… ou fortement altérés.

Le décryptage patient de ce qui a ‘échappé’ à la disparition par subduction permet finalement de distinguer avec une très grande certitude la succession des pangées suivantes :

  • De 2,9 à 2,2 Ga un supercontinent néoarchéen regroupant les aires cratoniques de Tanzanie/Zimbabwe/Inde pro parte/ Antarctique Est/ Baltique pro parte/Sibérie pro parte. Les premiers cratons bien individualisés ont reçu un nom, le plus ancien à 3,0 Ga est Ur (pro parte en Inde/Afrique du Sud/Australie, ensuite à 2,5 Ga s’individualise Arctica (pro parte en Sibérie), et à 2,0 Ga Atlantica (pro parte Amérique du Sud et Afrique de l’Ouest). Suite à la difficulté de reconstituer les assemblages au cours de ces périodes si anciennes, d’autres propositions et noms de supercontinents sont présents dans la littérature, parmi les plus cités notons : Vaalbara (± 3,6 à 2,8 Ga) et Kenorland (± 2,7 à 2,1 Ga) ;
  • De 1,8 à 1,5 Ga le supercontinent Columbia est formé. Il porte également d’autres noms (Nuna, Hudsonland) et est constitué de proto-cratons présents aujourd’hui dans le cœur des continents Laurentia (= ‘Amérique du Nord), Australie, Sibérie, Chine du Nord, Kalahari et dans les boucliers [17] ukrainien et amazonien ;
  • De 1,1 à 0,75 Ga, Rodinia est le premier supercontinent dans lequel la plupart des phases du cycle de Wilson sont bien identifiables suite à une meilleure préservation des témoins. Rodinia est principalement formé du craton nord-américain (le futur ‘Laurentia [18]), de la partie Est du craton européen (le futur ‘Baltica’) ainsi que des parties des cratons Amazonie, Afrique de l’Ouest, Australie et Antarctique ;
  • De 650 à 500 Ma se forme un nouveau supercontinent avec de nombreuses appelations : Gondwanaland, Pannotia, ‘Vendéen ‘, ‘Pan-Africain’… Les cratons africains y occupent une position dominante et centrale, ils sont entourés de ‘Laurentia’, ‘Baltica’, Australie, Sibérie, Antarctique.
  • De nombreux océans se formeront lors de la fragmentation de ce supercontinent à partir de 500 Ma et le plus important va séparer l’Amérique du Nord (‘Laurentia’) de l’Afrique, puis de l’Europe. Cet océan porte le nom de Iapetus et est l’équivalent de l’actuel océan Atlantique qui se formera lors de la fragmentation de la Pangée permo-triasique, après que celle-ci aura été formée suite à la dislocation de Gondwana. Il est intéressant de noter que dans la mythologie grecque Iapetus est le père d’Atlas, on voit donc que la succession des supercontinents est semblable à celle ‘des générations familiales’, c’est-à-dire qu’un cycle semblable se produit lors de la succession des pangées ;
  • Vers 300 Ma le supercontinent Pangée, le plus célèbre, se forme et se disloquera au Jurassique (à partir de 175 Ma) avec l’ouverture de l’Atlantique Central, puis au Crétacé inférieur avec l’Atlantique Sud et finalement l’Atlantique Nord au Crétacé supérieur. Il s’agit bien entendu du supercontinent le mieux documenté à l’origine de l’établissement de la théorie de la tectonique des plaques. Aujourd’hui nous sommes à mi-chemin du cycle de Wilson et la fermeture du cycle dans 50 à 200 Ma sera à l’origine du prochain supercontinent …
  • Dans 50 à 200 Ma, en extrapolant les vitesses et directions de déplacements (mises en évidence grâce au paléomagnétisme et aujourd’hui aux GPS avec une précision meilleure que 1 mm) des continents hérités de la fragmentation de la Pangée, un nouveau supercontinent se formera principalement à partir de la soudure (orogenèse) des grandes plaques américaine et européo-asiatique donnant ainsi naissance à ‘Amasia‘[19]. Dans ce cadre évolutif la Méditerranée disparaîtra dans au moins 50 Ma, l’océan Atlantique passera par un stade où il sera plus large que l’océan Pacifique, la baie de San Francisco se retrouvera 2000 km plus au nord au niveau du Canada[20]. … Le regroupement devrait s’effectuer dans l’hémisphère Nord, près du Pôle Nord, en tenant compte des directions actuelles des déplacements.

AMASIA, future pangée (https://youtu.be/uLahVJNnoZ4 dans une centaine ou plus ? de millions d’années : l’Europe devrait se trouver au nord de la chaîne de montagnes qui se formera suite à la collision de l’Afrique et de l’Asie (soit juste à droite du milieu, tout en haut de la figure, on distingue vaguement la Scandinavie, renversée un peu plus à droite). L’océan ‘central’ à l’intérieur des continents serait l’équivalent de la Téthys lors du cycle de Wilson précédent, et pourrait s’appeler ‘Océan du Rift Africain’.



Evolution de la tectonique des plaques de la Pangée, il y a 240 millions d'années à la future Pangée (= 'AMASIA'), dans 250 millions d'années. Amasia vient de la contraction d 'America' et 'Asia'.  Source: Pangée, The Comeback.

Au travers de ce rapide parcours on voit que les plaques tectoniques sans être homogènes dans leur constitution sont néanmoins liées à une certaine logique, celle de l’accrétion de terrains plus jeunes venant se ‘coller’ sur leurs bordures. Les plaques sont donc constituées de cœurs plus anciens représentant les premières périodes de cratonisation[21]. En décortiquant la composition géologique de l’ensemble des plaques actuelles, deux grandes périodes d’accrétion sont bien visibles, la première la plus ancienne autour de 3,0 à 2,5 Ga dont les terrains sont aujourd’hui dispersés dans le ‘Gondwana Est’ (comprenant l’Australie, l’Antarctique Est, le Sri Lanka, Madagascar et l’Inde), dans la seconde plus récente que 2,5 Ga les terrains sont liés à ‘Gondwana Ouest’ (qui comprend l’Amérique du Sud et l’Afrique). De nombreux gisements métalliques et pierres précieuses sont liés à ces vieux cratons et à leur histoire.

En guise de conclusion

La tectonique des plaques a bien révolutionné la géologie.

Suite à la mise en évidence de pangées successives constituées de blocs ou pièces de puzzle agglutinées, une géologie ‘nouvelle’ s’est développée dès la fin des années 1980. En effet les plaques ne sont pas homogènes géologiquement et il faut au contraire les considérer comme des mosaïques de terrains, aujourd’hui appelés ‘terranes’ [22] (en français également).  Les terranes sont les fragments de croûte ou des blocs de l’écorce terrestre, limités par des failles, qui s’amalgament aux noyaux anciens des continents. Ce processus agrandit les continents et les refaçonne en patchworks géologiques. L’Alaska est par exemple un patchwork de fragments d’écorce, épaves de croûte de l’océan disparu qui existait avant la formation du Pacifique.

De même parmi les nombreuses surprises apportées par la tectonique des plaques figure celle de la relation entre orogenèse-altération et climat. Les chaînes de montagnes qui se forment en fin de subduction sont intensément altérées et amorçent ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui ‘la pompe à CO2’. De quoi s’agit-il ? : l’altération des minéraux silicatés consomment du CO2, alors que l’altération des minéraux carbonatés présente un bilan neutre[23]. Il en résulte qu’avec le temps la concentration du CO2 atmosphérique diminuera et une glaciation pourra se mettre en place. L’altération et l’érosion de l’Himalaya il y a 40 Ma aurait consommé 34x la quantité de CO2 atmosphérique actuelle et précipité l’entrée en glaciation au cours de l’Ere Tertiaire. On observe des épisodes glaciaires succédant aux phases orogéniques anciennes.

Au terme de ce survol, et avant de conclure, il est possible de suivre en version animée la ronde des continents à travers les temps géologiques. Les sites les plus connus et les plus complets sont de Scotese C.R. (par exemple http://www.ucmp.berkeley.edu/geology/tectonics.html, et de nombreux autres [24]) établis dans le cadre du Projet PALEOMAP.

En conclusion, le système géologique est extrêmement complexe à analyser, mais les connaissances progressent à grande vitesse grâce à la complémentarité des méthodes au sein de la géologie elle-même et l’interdisciplinarité avec l’ensemble des autres sciences. La géologie apporte sa contribution à la compréhension la plus complète du ‘système Terre’ et au-delà… comme nous le rappelle le premier scientifique qui a posé ses pieds (et son marteau) sur la Lune en 1972 lors de la mission Apollo 17, il s’agissait du géologue américain Harrison Schmitt… [25]

Notes

  1. http://courses.washington.edu/ess502/Vine_Matthews.pdf
  2. 4459-age-de-la-Terre
  3. https://www.e-education.psu.edu/earth520/node/1815 Pour un résumé historique fort complet et les mécanismes de la tectonique des plaques: Prof. Daniel Demaiffe,  2011 http://www.ulb.ac.be/sciences/gigc/index_fichiers/publication/publi_tectonique_des_plaques_CEPULB.pdf
  4. https://fr.wikipedia.org/wiki/Cycle_de_Wilson
  5. Avec formation de croûte océanique à partir de la fusion partielle du manteau sous les dorsales médio-océaniques de 60 000 km de longueur (aujourd’hui) et de 6 km d’épaisseur. La croûte océanique est recyclée dans les zones de subduction. La croûte continentale est issue de processus de fusion partielle plus complexes, sa densité plus faible fait qu’elle n’est pas ou très peu recyclée dans le manteau terrestre. Son épaisseur varie de 10 à 80 km.
  6. Dépression allongée entre des épaulements relativement élevés, marquée par un volcanisme et un étirement tectonique.  Le rift traduit le plus souvent une expansion. Il peut être continental (fossé rhénan, afars… et grands lacs africains) ou océanique (mer Rouge, dorsale Atlantique).
  7. Couche superficielle de la Terre, relativement rigide, épaisse d’une centaine de km, comprenant la croûte et une partie du manteau supérieur. Elle est divisée en plaques mobiles se déplaçant sur leur substratum plus visqueux appelé asthénosphère. La lithosphère continentale est constituée principalement de roches riches en silice (quartz et feldspaths), au contraire de la lithosphère ou croûte océanique composée principalement de gabbros et basaltes. Pour une courte synthèse se reporter à https://fr.wikipedia.org/wiki/Lithosphère et à G. Boillot, Ph. Huchon, Y. Labrielle, 2003. Introduction à la Géologie, La dynamique de la lithosphère. Dunod, Sciences Sup, 202p., 3ème édition. Les dorsales océaniques sont des reliefs (jusqu’à 2,5 km) sous-marins larges d’environ 2000 à 3000 km, elles occupent près de la moitié de la surface des océans et s’ouvrent à raison de 1 (dorsale lente) à 1,5 ou plus (dorsale rapide) cm/an.
  8. La décroissance d’un élément radioactif obéit à une loi exponentielle dont le taux, appelé demi-vie (le temps nécessaire pour que le nombre des atomes de l’isotope radioactif soit divisé par deux) est extrêmement variable, de quelques fractions de seconde à plusieurs dizaines de milliards, selon les éléments. Se reporter à A. Jambon et A. Thomas, 2009 : Géochimie, géodynamique et cycles, Dunod.
  9. La protoTerre se serait formée par accrétion de matière résiduelle au sein d’une nébuleuse primitive, il y a environ 4 560 Ma. Pendant la phase d’accrétion, le choc des particules (bombardement des météorites) libère de l’énergie, et donc de la chaleur. La matière constituant notre planète primitive a donc dû être majoritairement en fusion. Sous l’effet de la gravité (énergie gravitationnelles) les éléments les plus lourds (fer, nickel) se sont dirigés vers le centre pour former le noyau, tandis que les plus légers (silicium, aluminium) sont restés en périphérie. Egalement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Had%C3%A9en
  10. Voir fig.11, paragraphe 2 dans http://www.exobiologie.fr/index.php/vulgarisation/geologie-vulgarisation/lenvironnement-de-la-terre-primitive-larcheen-et-lhadeen/
  11. Ainsi les éléments radioactifs donc la période de demi-vie est petite par rapport à l’âge de la Terre ou du système solaire ont complètement disparu, et on parle alors de radioactivité éteinte pour des éléments. Tout élément radioactif en se désintégrant libère une quantité importante d’énergie qui va réchauffer le milieu environnant. L’26Al est un élément radioactif de courte période (0,7 Ma) a pu ainsi contribuer à réchauffer l’intérieur des objets célestes, et y permettre la fusion d’un noyau métallique. Egalement : http://www.laradioactivite.com/site/pages/radioactiviteeteinte.htm et https://fr.wikipedia.org/wiki/Radioactivité_éteinte
  12. Il faut noter qu’il n’y a pas unanimité sur cette hypothèse, de nombreux auteurs, surtout anglo-saxons estiment que la tectonique des plaques de type actuel fonctionnait déjà à l’Archéen.
  13. Transformation s’une roche à l’état solide du fait d’une élévation de température et/ou de pression, avec cristallisation de nouveaux minéraux et acquisition de structures et textures particulières. Les caractéristiques de la roche originelle sont perdues.
  14. Revenons sur ce point essentiel. Actuellement la température passe de 0 à 1000°C à 50 km de profondeur. Dans l’Archéen, la limite des 1000°C était à 20 km. En conséquence, selon les géologues anglo-saxons (cf. ci-dessus dans le texte) la déformation des terrains archéens serait directement liée à des instabilités à l’intérieur de la protolithosphère plutôt qu’à des forces aux limites induites par les déplacements d’entités rigides (in C. Allègre et R. Dars, 2009. La géologie, présent et avenir de la Terre, Belin, Pour la Science, 304p. Egalement et plus spécialisé : https://www.sciencedaily.com/releases/2012/06/120601120606.htm, http://www.nature.com/nature/journal/v485/n7400/full/nature11140.html
  15. Les périodes sont sujettes à discussion, cf. la littérature, mais la succession générale est unanimement reconnue.
  16. Enveloppe de la Terre située sou la croûte continentale ou océnaique. Egalement : https://fr.wikipedia.org/wiki/Structure_interne_de_la_Terre
  17. Bouclier : Vaste portion stable de socle ancien constitué surtout de roches magmatiques (par exemple granites) et de roches métamorphiques (par exemple gneiss) généralement d’âge précambrien, dépourvu de couverture sédimentaire plus récente (exemple bouclier canadien, bouclier baltique). Définition in A. Foucault et J.F. Raoult, 2010 (7ème édition) ; Dictionnaire de géologie, Dunod, 383p.
  18.  Laurentia : important pour la géologie de l’hémisphère nord, est un paléocontinent, formant le sous-bassement de l’Amérique du Nord et du Groenland. Egalement connu sous le nom de craton nord-américain. Se reporter à https://fr.wikipedia.org/wiki/Laurentia
  19. Amasia http://www.nature.com/news/supercontinent-amasia-to-take-north-pole-position-1.9996
  20. P. De Wever et F. Duranthon, 2015. La valse des continents. EDP Sciences, 88p.
  21. La cratonisation est le processus géologique majeur pour la formation de masses continentales stables à grande échelle. Ce processus a débuté assez tôt au Précambrien et se poursuit actuellement.
  22. D. Howell, 1986. Des terrains déplacés : les terranes. Pour la Science, janvier 1986. Egalement D. Howell, 1989. Principle of Terrane Analysis. New applications for global tectonics. Topic in Earth Sciences, 8, 245p., Chapman & Hall.
  23. https://fr.wikipedia.org/wiki/Altération_des_silicateshttp://planet-terre.ens-lyon.fr/article/himalaya-pompe-co2.xml, http://acces.ens-lyon.fr/acces/terre/CCCIC/ressources/himalaya
  24. Par exemple : http://io9.gizmodo.com/5744636/a-geological-history-of-supercontinents-on-planet-earth, http://js.ing.uni.wroc.pl/teksty/seminar/3.pdf
  25. http://www.space.com/20789-harrison-schmitt-astronaut-biography.html

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *