par Jean-Pierre Schaeken-Willemaers
Dans le cadre de son objectif de neutralité carbone à l’horizon 2025, l’Union européenne a décidé de mettre fin aux ventes de voitures thermiques d’ici à 2035 et d’accélérer la transition vers les véhicules électriques. Or, les ventes de ces derniers ont baissé de près de 6 % en 2024, selon l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), qui n’anticipe pas de retournement de la situation en 2025. Cette régression, à laquelle on pouvait s’attendre compte tenu des graves lacunes du système des voitures électriques, vient s’ajouter à la crise que traverse le marché des voitures thermiques, en particulier en Allemagne qui en a été le leader européen.
Combien d’usines sont et seront condamnées, combien d’emplois sont et seront perdus à cause du remplacement précipité d’une industrie automobile prospère et solide par une autre incertaine, mais conforme à l’évangile décarboné de l’Union européenne ?
Un impact environnemental loin d’être négligeable
Une voiture électrique dépend essentiellement de la capacité et de la qualité de sa batterie qui est son composant le plus lourd, le plus coûteux et le plus contraignant. Sa capacité conditionne l’autonomie du véhicule : plus elle est élevée, plus l’autonomie est grande. Toutefois, plus le moteur est puissant, plus la consommation électrique augmente : ce qui accroît la durée de la recharge et diminue l’autonomie. Cette dernière est d’autant plus faible que le véhicule se déplace plus rapidement, que la température ambiante est plus extrême (vu qu’elle conditionne la consommation d’énergie électrique du chauffage ou de la climatisation) et que le relief est plus accidenté.
Quant à l’impact environnemental de la voiture électrique s’il est inférieur à celui des voitures thermiques, il est loin d’être négligeable si l’on prend en compte le cycle complet de vie. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent, en effet des modes d’extraction des matériaux (dont les métaux rares) et de la fabrication ; de l’autonomie de la voiture (c’est-à-dire de la capacité de la batterie) et du nombre de kWh consommé pour chaque recharge de celle-ci.
L’empreinte carbone des berlines et SUV électriques avant usage (c’est-à-dire leur production, notamment celle des batteries) est deux à trois fois supérieure à celle de l’équivalent thermique, selon l’Ademe elle-même ! À l’usage, les bonnes performances « carbone » des voitures électriques dépendent du type de sources d’électricité pour la recharge des batteries. Dans les pays qui font la part belle aux centrales thermiques, les bénéfices environnementaux de ces véhicules sont fortement dégradés. En outre, plus l’autonomie de ces dernières est grande, c’est-à-dire plus la capacité de leur batterie est élevée, plus lourde est leur empreinte « carbone ». Ainsi, les SUV et les voitures électriques spacieuses ont un bilan carbone bien moins avantageux.
Des infrastructures sous-dimensionnées
Mais le déploiement des voitures électriques est également indissociable de la disponibilité d’infrastructures adéquates, et plus particulièrement de suffisamment de stations de recharge le long des routes et des autoroutes. Il faut que ces points de recharge soient équipés de bornes d’au moins 400 kW pour assurer une charge rapide et à des distances suffisamment rapprochées pour être en mesure de servir tous les automobilistes. En Europe, la situation est très contrastée selon les pays. Le Conseil et le Parlement européen ont trouvé un accord provisoire, en mars 2023, pour installer d’ici à 2026 de telles bornes tous les 60 km le long des autoroutes principales de l’UE.
Une étude d’Eurelectric, la fédération européenne de l’industrie électrique, estime qu’il faudrait trois millions de bornes de recharge (on en est bien loin actuellement) pour alimenter trente millions de véhicules électriques souhaités par l’UE en 2030. La facture s’élèverait à 80 milliards d’euros (dont 60 proviendraient du secteur privé), sans compter le coût de l’impact électrique et l’arrivée, selon une étude d’Ernst & Young cette fois, sur le marché de plus de dix millions de véhicules utilitaires électriques. Or, au lieu d’une accélération des investissements en infrastructure, on assiste à la tendance inverse. En effet, une étude de l’ACEA, publié en avril 2024, révélait que les ventes de véhicules électriques avaient augmenté trois fois plus vite dans l’UE que l’installation de bornes de recharge entre 2017 et 2023. Le risque n’est donc pas négligeable d’arriver bientôt à un goulot d’étranglement
Vers un sabordement de l’industrie automobile
A ces deux points noirs, déjà de taille, il convient d’ajouter une question fondamentale à laquelle il est urgent de répondre : la production électrique européenne sera-t-elle demain suffisante pour la recharge de tous ces véhicules électriques si ces derniers devaient remplacer l’ensemble des voitures et utilitaires thermiques ? Le doute est permis puisqu’alors que les besoins en énergie d’origine électrique explosent et vont croître massivement partout à l’avenir, l’Europe est la seule région du monde à privilégier les énergies renouvelables sur le nucléaire dans la production électrique.
L’accélération de la transition vers les voitures électriques, voulue par la Commission européenne, fait ainsi preuve d’aussi peu de bon sens que de prudence en conjuguant affaiblissement de son industrie automobile, coût trop élevé et impact environnemental non négligeable des véhicules, et retard dans le déploiement des infrastructures nécessaires à leur bon fonctionnement. Tout cela, à l’heure de la concurrence implacable de la Chine, qui est en train de mettre une large gamme de voitures électriques à bas coûts sur le marché européen. Ce n’est pas une stratégie que propose la Commission européenne, c’est un sabordement pur et simple.