Les ressources naturelles : sont-elles inépuisables?

 

Texte de A. Préat (Université libre de Bruxelles).

Professeur émérite de l’Université Libre de Bruxelles. Citer comme A. Préat, « Les ressources naturelles : sont-elles inépuisables?» http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2608

Les ressources naturelles1 peuvent-elles satisfaire sans fin nos exigences de bien-être ? À long terme sûrement pas, les gisements (métaux – uranium, thorium, or… et pierres précieuses – diamants, saphirs, topazes…), les hydrocarbures (gazeux, liquides, solides) et les géomatériaux (roches, sables, granulats…) ne sont pas renouvelables.

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                                        Mine de cuivre (Eric Guinther, Wikimedia)

 

L’économie internationale étant contrainte en premier lieu par la géologie, il en résulte une distribution inégale des richesses de la Terre et une lutte pour se les approprier, nécessitant un développement technologique pour accroître les volumes récupérables. Certains vont même jusqu’à parier que les futures ressources seront à prendre sur d’autres planètes, sur des astéroïdes ; des équipes y travaillent déjà. En attendant, tentons un bilan de la situation actuelle : reste-t-il assez de ressources sur notre planète ? Pour combien de temps ? Estimer leur volume ultime2 est assez facile grâce à l’exploration de plus en plus efficace, mais prédire leur durée d’exploitation est une autre paire de manches car elle dépend de facteurs économiques et politiques aléatoires aussi bien dans les court et moyen termes. Les réserves ne peuvent qu’évoluer au cours du temps en fonction des moyens et les déclarer est un acte politique et économique de grande importance.

Depuis plus de 15 ans, les pics pétrolier et gazier sont régulièrement annoncés comme atteints. Pourtant, force est de constater qu’il n’en est rien. Pour preuve, les réserves prouvées tant de pétrole et gaz conventionnels, subconventionnels que non conventionnels3 s’accroissent régulièrement.

 

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Mine à ciel ouvert en Allemagne (Raimond Spekking, Wikimedia Common)

 

Il en va de même de la production mondiale qui a toujours pu satisfaire la demande même lorsque celle-ci était soutenue. Y aura t-il un pic à l’échelle mondiale ou un long plateau avec ou sans pics mineurs ? Est-ce la bonne question ? Ne faudrait-il pas plutôt parler d’adéquation entre l’offre et la demande4 ? Cette problématique est de premier ordre, nous dépendons depuis plus d’un siècle à plus de 80 % des énergies fossiles et les acteurs du monde énergétique ne prévoient pas de modifications majeures d’ici 2030, et même 2050, période durant laquelle la demande d’énergie primaire va s’accroître, la population mondiale augmentant chaque jour de 200 000 personnes (naissances moins décès) et le niveau de vie des pays émergents s’élevant continûment. Toutefois, les progrès technologiques, l’efficacité énergétique et les considérations environnementales conduiront, probablement à moyen terme, à une réduction progressive de la demande. Bien entendu, les réserves de combustibles fossiles ne sont pas infinies, mais de nouvelles réserves sont découvertes, d’anciens champs sont optimisés, les progrès technologiques (techniques de prospection, forages horizontaux, amélioration du taux de récupération primaire5…) permettent de valoriser toutes les ressources d’hydrocarbures. Sur une ressource pétrolière conventionnelle estimée à 6 000 milliards de barils (Gb), au moins 1 200 Gb ont déjà été produits (aujourd’hui à raison de près de 32 Gb/an, soit un peu plus de 85 000 millions de b/jour, ou encore environ 1 000 b/seconde – 1 baril = 159 litres). Que reste-t-il à récupérer ? Pour les pessimistes, environ 1 200 à 1 500 Gb, pour les optimistes 2 000 à 3 000 Gb. La fourchette est large et principalement pilotée par l’économie (le prix du baril) et la politique (géostratégie). À cela s’ajoutent (i) le pétrole non conventionnel (au moins l’équivalent de 7 000 Gb) dont les schistes bitumineux, les oil shales, les shale oil ou huiles de schiste, les tight sands, les tar sands, etc.6, et (ii) le gaz conventionnel et non conventionnel (« shale gas » et clathrates)7, également plus abondants que le pétrole conventionnel. Enfin, ajoutons le combustible le plus abondant, le charbon, avec des réserves prouvées trois fois plus élevées que celles du pétrole conventionnel. Hors considérations environnementales, ces combustibles sont encore utilisables pour très longtemps (au moins 70 à 100 ans pour l’ensemble) et nous quitterons sans doute l’ère du pétrole alors qu’il en restera, de la même façon que l’homme préhistorique n’a pas quitté l’âge de la pierre faute de pierres8. Tant mieux car nous n’avons pas dans le court terme de substituts pour les avions et la carbochimie. Même constat avec l’uranium, près de 100 ans de réserves à consommation constante, ensuite possibilité de production d’énergie nucléaire à partir du thorium, trois à quatre fois plus commun que l’uranium.

Et les ressources minérales ? Les métaux sont partout (plus d’une vingtaine dans notre smartphone…), le poids de ces ressources extraites atteint plus de 60 Gt/an, plus que l’ensemble du sable déplacé sur la planète par les rivières et les fleuves. Leur exploitation étant liée à l’amélioration des techniques d’extraction et de purification, il est dès lors possible d’augmenter les réserves puisque les gisements à faibles teneurs deviennent rentables. Bien entendu, on a commencé par les gisements à la fois étendus et à fortes teneurs. Aujourd’hui, ce sont surtout les gisements petits à fortes teneurs et d’autres beaucoup plus grands mais avec de faibles teneurs qui sont exploités. Ces gisements nécessitent de gigantesques capitaux et de lourds investissements (évacuation d’immenses volumes de roches et consommation de grandes quantités d’eau et d’énergie). À nouveau, il est difficile d’estimer précisément les réserves des métaux ou matières précieuses, d’autant plus que pour des raisons technologiques, tous les gisements n’ont été entamés que dans la partie la plus superficielle de la croûte terrestre : la mine la plus profonde au monde exploite de l’or dans un mince filon de quartz vieux de 3,5 milliards d’années à 3,9 km de profondeur, près de Johannesburg. Il n’y a pas de raisons géologiques pour que de tels filons d’or ou des gisements d’autres métaux ne continuent pas à plus grandes profondeurs. Le drainage des gisements sous-marins, volcaniques ou non, est à l’étude. Tout comme pour le pétrole, l’impact environnemental est important avec les déboisements, les nappes phréatiques, etc.

Les réserves naturelles sont diversifiées et encore abondantes. Leurs exploitations, lorsqu’elles sont mal gérées, détériorent l’environnement, ces réserves correspondent en réalité plus à un concept économique qu’à un concept physique. Leur qualification de « réserves » dépend des prix et des efforts que nous sommes prêts à consentir pour les récupérer. Jusqu’à présent, nous restons des énergivores invétérés… Que d’énergie fossile et de métaux variés (combustibles et matériaux) dans les 24 000 avions transportant à chaque instant 500 000 personnes autour de la Terre ! Cela fait aussi partie de la question9.

 

Notes

1 Volumes estimés en place dans le sous-sol, indépendamment des conditions économiques pour leur valorisation.

2 Volume total de la ressource qui sera extraite d’un champ (hydrocarbures) ou d’un gisement (minéraux, métaux) du début à la fin de la production. Il ne s’agit que d’une fraction des ressources, celle qui est extraite.

3 Les réserves sont classées en trois catégories, en fonction du degré de connaissance que l’on a : réserves 1P ou prouvées (90 % de probabilité de les récupérer), réserves 2P ou probables (50 % de probabilité) et 3P ou possibles (10 % de probabilité). Le pétrole et le gaz conventionnel représentent les hydrocarbures piégés dans les roches réservoirs (porosité et perméabilité élevées), les hydrocarbures non conventionnels sont restés dans les roches mères (porosité et perméabilité très faibles), les hydrocarbures subconventionnels (« pétrole offshore » ou « ultra-profond ») sont piégés dans des réservoirs situés par plus de 300 m d’eau (aujourd’hui, on dépasse 3 000 m d’eau).

4 Jean-Pierre Schaeken-Willemaers, Pic pétrolier, pic gazier, sans cesse reportés. Éditions Académie royale de Belgique, Collection Académie en poche, novembre 2015.

5 Après exécution d’un forage dans une roche réservoir, seulement 15 % (en moyenne) du pétrole peut-être récupéré facilement, le reste étant retenu par les forces de capillarité des grains et cristaux de la roche réservoir. Des récupérations « assistées » onéreuses permettent d’augmenter ce taux de récupération primaire.

6 Il faut noter que, contrairement à leur appellation, les schistes bitumineux ne contiennent pas de bitume, mais bien du kérogène, i.e. de la matière organique immature, précurseur du pétrole.

7 Ou hydrates de méthane, i.e. un mélange d’eau et de méthane piégé au fond des océans ou dans le permafrost des régions arctiques.

8 Citation du Cheik Yamani, ministre saoudien du pétrole et des ressources naturelles de 1982 à 1986.

9 Science et pseudosciences, 310, octobre 2014, Gaz de schiste et gaz de roche mère

3 réflexions sur « Les ressources naturelles : sont-elles inépuisables? »

  1. Face à l’engouement politique mondial envers l’hypothétique objectif « zéro carbone 2050 » appuyé sur des orientations massives en EnRI, sur la mobilité électrique, sinon encore sur un recours à du « carburant H2 » et à leurs dérivés technologiques associés, il n’est pas trop tard pour réfléchir les dilemmes qui restent/seront posés à nos sociétés occidentales et la génération Z+ !

    Ainsi, en matière de consommation des ressources naturelles, il est intéressant de suivre les études et publications du MONDE RÉEL, surtout par leurs CHIFFRES, soit des aspects sur lesquels nos « idéologisés verts » et les « partisans de la décroissance économique » ne préfèrent qu’à s’en tenir à du verbiage et des éléments vagues afin d’insécuriser davantage l’opinion publique. LISONS :

    1) Encart d’été 2022 consacré à la TRANSITION VERTE et à la société NYRSTAR (spécialisée dans le traitement de métaux) – journal L’ECHO belge…

    « Quelle quantité de métal trouve-t-on dans la batterie d’une voiture électrique » ?
    RE : 8 kg de lithium ; 14 kg de cobalt ; 20 kg de manganèse ; 35 kg de nickel ; etc…

    2) Article de European Scientist : By Alex Reis – 25.04.2022
    https://www.europeanscientist.com/en/energy/we-need-more-metals-to-reach-climate-neutrality-by-2050/

    « We need more metals to reach climate neutrality by 2050 » , dont texte :

    [[ Reaching climate neutrality by 2050 will require 35 more times lithium and up to 26 more times the amount of rare metals compared to today’s limited use, according to a study by a team of researchers from the Belgian university KU Leuven. The study “Metals for Clean Energy” was commissioned by Eurometaux, Europe’s association of metal producers.

    This is the first study to offer EU numbers regarding the need for specific metals to help end our reliance on fossil fuels. The energy transition will also need a greater amount of aluminium (about 30% more compared to what is used today), silicon (45%), nickel (100%), copper (35%), and cobalt (330%). These are essential to cover Europe’s plans to produce electric cars and batteries, as well as products for renewable energy and the infrastructure to achieve climate neutrality.

    Despite the news that Europe could cover 40 to 75% of its metal needs by 2050 by recycling alone, it still faces some severe shortfalls in the next 15 years without mined and refined metals to trigger the start of this clean energy system. If nothing gets done, Europe will face problems by 2030 with global shortages of five metals especially: lithium, nickel, cobalt, rare earths, and copper.

    EU demands will peak by 2040, by which stage, recycling should help towards self-sufficiency. This is assuming significant investments are made toward recycling infrastructure. “Europe needs to decide urgently how it will bridge its looming supply gap for primary metals. Without a decisive strategy, it risks new dependencies on unsustainable suppliers,” said Liesbet Gregoir, lead author at KU Leuven. Europe needs to develop new supply sources with high environmental and social standards.

    According to the authors, Europe could find new mines to cover between 5% and 55% of its by 2030, especially for lithium and rare earths. However, at this stage, most projects have an uncertain future because they’re struggling with local community opposition and permit challenges or rely on untested processes.
    Europe also needs to open new refineries to convert mined ores into metals ready for use. However, investment in this area is challenging, and skyrocketing power prices have already caused the closure of half of Europe’s existing refineries for aluminium and zinc, while production has increased in other parts of the world.

    The study also found that, by 2050, locally recycled metals could represent ¾ of all Europe-made batteries, all of permanent magnets production, and significant amounts of aluminium and copper.

    “Recycling is Europe’s best chance to improve its long-term self-sufficiency. It’s a step-up that our clean energy system will be based on permanent metals which can be recycled indefinitely, compared with today’s constant burning of fossil fuels,” the authors wrote in the study. Europe “must act strongly now to raise recycling rates, invest in the necessary infrastructure, and overcome key economic bottlenecks.” The study notes that metals recycling saves between 35% and 95% of the CO2 compared with primary metals production.

    However, this will not happen until after 2040. “These applications and their metals are only just being put on the market and will not be available for recycling for the next 10-15 years.” ]]

    D’Où TROIS SIMPLES QUESTIONS SUBSIDIAIRES ?
    VOS RÉPONSES Y SERONT LES BIENVENUES …

    – Incidences géopolitiques et dépendance sur les producteurs (BRICS) de ces ressources absolument critiques ? Recycler n’est pas une panacée…
    – Ordre de grandeur des subsidiations ( = dettes) publiques, nécessaires pour soutenir la R&D et les « producteurs/consommateurs » de cet engouement aveuglé ?
    – Comment et où dans l’UE acceptera-on les défis « environnementaux » posés par ces volumes accrus ? Car d’évidence, les plans de la Commission UE écartent toute pollution en nos murs ! Sans compter les hauteurs (TWh) d’énergies pour satisfaire les dires …
    VOS RÉPONSES Y SONT LES BIENVENUES …

    3) Lire une collection d’articles « promotionnels du H2 »,
    dans le N° spécial du magazine CHALLENGES (papier, mai-juillet 2022)
    « Hydrogène, de l’utopie à la réalité » …
    Plus de 10.000 milliards d’€ d’investissements, etc…

  2. Je me souviens avoir lu, il y a plusieurs années, un article relatant les travaux dans les années 1960, de deux charcheurs russes, qui affirmaient que la Terre continue à fabriquer du pétrole. Selon ces messieurs, des mécanismes physico-chimiques seraient toujours à l’oeuvre dans les profodeurs de la crôute terrestre. Leurs conclusions ont été réfutées à l’époque par les autorités.

    Pour les métaux, ceux nécessaires à la construction des voitures électriques, je me demande tout de même si il y en aurait assez pour renouveler entièrement le parc automobile mondial, et si oui, à quel prix ? Financier, politique, et environnemental…

    En supposant que cela soit possible, il faut ensuite fournir des quantités d’électricité considérables pour faire rouler toutes ces autos. Cela revient en gros à remplacer toute l’énergie actuellement consommée dans les moteurs thermiques par de l’ électricité. En recouvrant la planète d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques ? (Et de lignes à haute tension…) Ce qui va nécessiter également beaucoup de métaux. Et pas sûr que ça marche…
    Rappelons que, outre leur phobie du CO2, les écologistes sont contre l’énergie nucléaire…

    Cette affaire de transition énergétique « verte » paraît tout même assez surréaliste dans l’état actuel de l’art.
    Espérons qu’une découverte scientifique majeure, suivie d’une innovation technologique révolutionnaire, apporteront une solution. En attendant…

    1. Il y a de nombreux bassins sédimentaires dans lesquels le pétrole est en voie de formation à l’heure actuelle (ou ‘subactuelle’). Tout est une question de temps et pour que la matière organique d’aujourd’hui finisse par donner du pétrole il faut un minimum de 8 à 10 millions d’années, fonction du degré d’enfouissement lié la subsidence du ou des bassins, du degré géothermique et du temps de résidence dans les zones aux différentes températures. Pour un gisement il faudra encore tenir compte de la concentration et du type de matière organique, et enfin du type de roches couvertures pour les gisements ‘classiques’. Tout cela fonctionne depuis plusieurs milliards d’années (cf. le Précambrien). Bien entendu pour aujourd’hui on ne peut compter que sur le pétrole formé il y a une dizaine ou plusieurs dizaines, ou encore centaines de millions d’années.

      Pour les métaux, effectivement il est grand temps de voir les quantités disponibles et surtout qui les détient majoritairement. La géopolitique, tout comme pour le pétrole, va prendre le dessus, si ce n’est déjà fait.

      La transition énergétique ‘à marche forcée’ va nous réserver bien de mauvaises surprises….

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