Fake News à l’ONU-2, la saga continue

par Ludwik Budyn, Licencié en Sciences Chimiques, Université Libre de Bruxelles

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Il y a quelques semaines nous avons publié un article [1] démontrant la supercherie du rapport de l’UNDRR [2] (United Nations Office for Disaster Risk Reduction) de 2020 intitulé : 

« Coût humain des catastrophes — Un aperçu des 20 dernières années — 2000–2019 [3] »

Nous présagions alors que c’était une des prémices d’un mouvement plus large.

Et, cette année, c’est l’OMM (Organisation Météorologique Mondiale) qui s’est dévouée pour nous donner raison [4].

Le 31 août 2021, l’OMM, en collaboration avec le CRED [5] (Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres) et l’UCL (Université catholique de Louvain), a publié un rapport intitulé :

« ATLAS DE LA MORTALITÉ ET DES PERTES ÉCONOMIQUES DUES À DES PHÉNOMÈNES MÉTÉOROLOGIQUES, CLIMATIQUES ET HYDROLOGIQUES EXTRÊMES (1970-2019) [6]».

On y trouve ce graphique, regroupant par décennie les catastrophes naturelles et les pertes économiques qu’elles engendrent, accompagné des commentaires suivants :

« Le nombre de catastrophes a été multiplié par cinq au cours de la période de 50 ans : alors qu’on avait enregistré 711 catastrophes entre 1970 et 1979, ce chiffre est passé à 3536 pour la période de 2000 à 2009 », et

« Les pertes économiques dues aux phénomènes météorologiques, climatiques et hydrologiques extrêmes ont été multipliées par sept entre les années 1970 et 2010 (voir la figure 4). Les pertes répertoriées entre 2010 et 2019 (383 millions de dollars É.-U. par jour en moyenne sur la décennie) étaient sept fois supérieures au montant enregistré entre 1970 et 1979 (49 millions de dollars É.-U.) ».

Il y aurait donc eu quintuplement du nombre des désastres naturels et septuplement des pertes économiques engendrées durant la période considérée !

Au sujet des catastrophes, d’emblée, quelques questions surgissent :

  • Pourquoi comparer la première décennie à l’avant-dernière et non à la dernière ? Est-ce parce que le résultat obtenu ainsi est plus effrayant ?
  • A-t-on vérifié si le nombre des pays, déclarant ces désastres, est du même ordre pendant ces deux périodes ? Car ce n’est pas le cas, une moyenne annuelle de 47 pays pendant la première décennie pour 126 lors de l’avant-dernière.  Or, l’utilisation, dans ces deux cas, d’un échantillon statistique différent, rend illusoire toute comparaison.
  • Pourquoi enfin ne pas comparer les deux dernières décennies ? Adressant deux périodes consécutives, donc plus comparables à tout point de vue, avec un nombre de pays déclarants proche, 126 et 119, on dévoilerait un tableau plus réaliste de l’évolution de la situation. Mais, aussi, et cela répond à la question, on verrait une diminution du nombre des désastres depuis le début du XXIe siècle.

À propos des pertes économiques, on sait qu’entre 1970 et 2019 :

  • le nombre de pays déclarants est passé de 45 en 1970 à 126 en 2019, soit une augmentation de 180% ;
  • la population mondiale [7] est passée de 3,7 à 7,7 milliards soit une croissance de 108% ;
  • la population urbaine est passée de 1,35 à 4,30 milliards soit une hausse de 218%, ce qui a induit une exposition croissante aux risques ;
  • le nombre et le coût des infrastructures réalisées ont progressé proportionnellement ;
  • le progrès a généré de nouvelles cibles potentielles.

Pourtant, les auteurs ne considèrent pas ces éléments comme des facteurs dont il faudrait tenir compte pour relativiser leurs comparaisons entre les données des deux périodes.

Ils estiment que ni la population, ni l’environnement économique [8], ni le nombre de pays déclarants n’ont changés pendant ces 50 dernières années et que, par conséquent, on peut comparer, tels quels, les données absolues [9] des deux périodes. Il leur suffit donc de constater qu’en multipliant par 7 les pertes économiques de la première décennie on obtient un résultat proche de celui de la dernière décennie, pour pouvoir décréter « mettre en évidence [une] tendance perceptible dans le temps » au cours des 50 années écoulées : le septuplement des dommages économiques. Effarant !

D’autant plus effarant lorsque, parlant des conséquences des désastres naturels, on lit :

« Du point de vue de l’analyse des catastrophes, la croissance démographique et les modèles de développement économique sont plus importants que le changement climatique ou les variations cycliques du temps pour expliquer cette tendance à la hausse. Aujourd’hui, non seulement plus de personnes sont menacées qu’il y a 50 ans, mais la construction dans les plaines inondables, les zones de tremblements de terre et d’autres zones à haut risque a augmenté la probabilité qu’un aléa naturel de routine devienne une catastrophe majeure [9] ».

Qui est à l’origine de ces constations pleines de bon sens ?

Le CRED, la principale source du rapport de l’OMM, dans une étude de 2015, il y a donc quelques années à peine.

On peut donc affirmer, sans peur de se tromper, que le nombre de catastrophes, de morts ainsi que le montant des dommages économiques [11] résultant des désastres naturels ont tous, en valeur relative, diminué ou sont restés stables au cours de toutes ces années. Et ce sont les données du CRED qui nous le confirment [12].

Les scientifiques de l’OMM, du CRED et de l’UCL, réunis pour rédiger le rapport, étaient, sans aucun doute, bien conscients de ces réalités mais, malgré tout, ont décidé de les ignorer.

Et rien de surprenant à tous ces « oublis ». Car, manifestement, leur but n’était pas de nous décrire la situation réelle du monde dans lequel nous vivons.

Leur but est politique. Il s’agit de présenter une image effrayante [13] de la situation, qui permettra à différents groupes d’intérêt d’influencer les décisions des autorités, de manière à défendre leurs propres intérêts. Et cela par la mise en place de politiques qui correspondent à leur vision de l’avenir, vision très différente de celle de la grande majorité de la population. Ce rapport, ainsi que celui de l’UNDRR, ne sont que des instruments pour atteindre ces objectifs. Et cela avec la bienveillante complicité de quelques scientifiques.

Et, puisque de toute façon personne ne prend la peine de vérifier les données ou d’examiner les conclusions qu’on en tire, pourquoi se gêner. Quintuplons et septuplons sans complexe.

Ce qui fait dire aux auteurs, inconscients de l’ironie du propos :

« Pour cette deuxième édition [du rapport], l’OMM a placé la barre encore plus haut ».


Mais revenons un instant aux chiffres et voyons ce qu’en dit leur source, le CRED.

Le rapport de l’UNDRR envisageait les 40 dernières années, de 1980 à 2019, avec un total de 11560 désastres naturels recensés pour cette période.

Celui de l’OMM considère les 50 dernières années, de 1970 à 2019, mais ne prend pas en compte les désastres géophysiques [14] et biologiques [15]. Cela explique le total légèrement plus bas, 11072 désastres dénombrés, alors que la période examinée est plus longue.

Néanmoins, la différence entre les deux totaux demeure minime, de l’ordre de 4%.

Nous nous trouvons donc dans un cas idéal.

En effet, les deux rapports :

  • traitent du même sujet, l’évolution de la fréquence des désastres naturels ;
  • utilisent la même base de données, EM-DAT [16] ;
  • couvrent quasiment la même période ;
  • annoncent, pour la période couverte, un chiffre global très proche.

La logique voudrait donc qu’ils arrivent aux mêmes conclusions, ou à peu de choses près.

Or ce n’est pas le cas. Ils aboutissent à des conclusions très différentes.

Alors que, concernant le rapport l’UNDRR, on se contentait de parler d’un maigre « doublement [17]» du nombre des désastres naturels sur la période considérée…  

… l’OMM, plaçant « la barre encore plus haut »,  y découvre un « quintuplement » !

Alors, doublement ou quintuplement [18] ?

Ce qui est sûr, en tous cas, c’est que les deux affirmations ne peuvent être vraies simultanément. L’arithmétique ne le permet pas.

Et, en vérité, aucune des deux ne l’est.

Comme nous l’avons montré en détail dans notre précédent article [19] traitant du rapport de l’UNDRR,  le CRED, à de nombreuses reprises, a soutenu que l’augmentation des désastres naturels, au XXe siècle, résulte essentiellement d’une meilleure collecte de l’information.

Dans un article de 2011, au sujet de l’« accroissement » des désastres naturels pendant la période 1900–1999, la directrice du CRED déclare :

« Les données représentées dans la figure 2.1 [on constatera la similitude dans l’allure générale de ce graphique et de celui de l’OMM] pourraient laisser penser que les catastrophes se produisent plus fréquemment aujourd’hui qu’au cours des décennies précédentes. Cependant, il serait faux de tirer une telle conclusion en se basant uniquement sur ce graphique… L’un des principaux facteurs contribuant à cette augmentation apparente des catastrophes naturelles est l’amélioration de la collecte des données [20]» :

On retrouve des affirmations identiques dans les rapports de 2004 [21], 2007 [22],  et 2015 [23]

Ainsi, d’après le CRED lui-même, l’apparente croissance des catastrophes naturelles jusqu’au début du XXIe siècle, résulte d’une meilleure collecte de l’information grâce, entre autres, à la progression du nombre des pays déclarants. Ensuite ce nombre se stabilise, puis décroît légèrement.

En d’autres mots, ce sont les 21 dernières années qui sont les plus représentatives de la réalité.

Or, ces années ne montrent ni « doublement » ni « quintuplement » du nombre des catastrophes naturelles. Bien au contraire.Les données du CRED révèlent une diminution de la fréquence annuelle des désastres naturels depuis le début du XXIe siècle. Et, pour nous en convaincre, laissons le mot de la fin au graphique du CRED :

NOTES

[1] https://www.science-climat-energie.be/2021/11/05/fake-news-a-lonu/

[2] https://www.undrr.org/

[3] « Human cost of disasters — an overview of the last 20 years — 2000–2019 » : https://www.undrr.org/sites/default/files/inline-files/Human%20Cost%20of%20Disasters%202000-2019%20FINAL.pdf

[4] https://public.wmo.int/en/media/press-release/weather-related-disasters-increase-over-past-50-years-causing-more-damage-fewer?fbclid=IwAR0yDVBy8i0H2hu45_uJKbLXz36UBWm4XzKSawhD6gEPnxwSP_-9aoXNpAE

[5] Toutes les données utilisées dans l’Atlas proviennent du CRED (https://www.cred.be/), un centre de recherche de l’Université Catholique de Louvain. Il fait partie de l’École de Santé Publique située à Bruxelles, en Belgique. Il collabore à des études internationales portant sur les conséquences humanitaires et sanitaires des catastrophes naturelles. A cet effet, il gère une base de données, EM-DAT, qui recense les désastres naturels survenant sur toute la planète. Les résultats du CRED sont repris par Our world in data (https://ourworldindata.org/natural-disasters), une publication en ligne de l’Université d’Oxford.

[6] https://library.wmo.int/doc_num.php?explnum_id=10919

[7 ]https://www.worldometers.info/world-population/world-population-by-year/

[8] Or : « In constant 2017 US dollars, both weather-related and non-weather related catastrophe losses have increased, with a 74% increase in the former and 182% increase in the latter since 1990. However, since 1990 both overall and weather/climate losses have decreased as proportion of global GDP » in « Tracking progress on the economic costs of disasters under the indicators of the sustainable development goals » : https://www.tandfonline.com/doi/figure/10.1080/17477891.2018.1540343?scroll=top&needAccess=true

[9] Seuls les prix, en dollars U.S., sont actualisés à leur valeur de 2018.

[10] « The Human cost of Natural Disasters — 2015 — A global perspective » : « From a disasters analysis point of view, population growth and patterns of economic development are more important than climate change or cyclical variations in weather when explaining this upward trend. Today, not only are more people in harm’s way than there were 50 years ago, but building in flood plains, earthquakes zones and other high-risk areas has increased the likelihood that a routine natural hazard will become a major catastrophe » :https://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/PAND_report.pdf

[11 ]« Results show a clear decreasing trend in both human and economic vulnerability, with global average mortality and economic loss rates that have dropped by 6.5 and nearly 5 times, respectively, from 1980–1989 to 2007–2016 » : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0959378019300378

[12] https://www.science-climat-energie.be/2021/05/21/la-catastrophe-planetaire-annoncee-pour-quand-exactement/

[13] https://www.lavenir.net/cnt/dmf20210901_01610155/climat-le-nombre-de-catastrophes-a-ete-multiplie-par-cinq-en-50-ans

[14] Essentiellement les tremblements de terre et le volcanisme.

[15] Le CRED range généralement les désastres naturels dans 5 sous-groupes : biologiques, géophysiques, climatologiques, hydrologiques et météorologiques.

[16 ]https://public.emdat.be/

[17] C’est bien ainsi que le rapport a été perçu, comme le souligne le titre de l’agence de presse de l’ONU : « Le changement climatique, moteur du doublement des catastrophes naturelles au cours des 20 dernières années » : https://news.un.org/fr/story/2020/10/1079642

[18] Petit détail amusant, les deux organisations, UNDRR et OMM, sont situées à la même adresse à Genève, donc sans doute dans le même bâtiment. Peut-être devraient-elles parfois se concerter.

[19] https://www.science-climat-energie.be/2021/11/05/fake-news-a-lonu/

[20] « The data represented in Fig. 2.1 might lead one to believe that disasters occur more frequently today than in earlier decades. However, it would be wrong to reach such a conclusion based solely on this graph… One of the main factors contributing to this apparent increase in natural disasters is improved reporting » : https://www.researchgate.net/publication/225207827_Earthquakes_an_Epidemiological_Perspective_on_Patters_and_Trends

[21] « Thirty years of natural disasters 1974–2003 : the numbers » : « Figure 2 might lead one to believe that disasters occur more frequently today than in the beginning of the century. However, reaching such a conclusion based only on this graph would be incorrect. In fact, what the figure is really showing is the evolution of the registration of natural disaster events over time » : https://www.preventionweb.net/files/1078_8761.pdf

[22] « Annual Disaster Statistical Review — The Numbers and Trends 2007 » : «Indeed, justifying the upward trend in hydro-meteorological disaster occurrence and impacts essentially through climate change would be misleading… For instance, one major contributor to the increase in disasters occurrence over the last decades is the constantly improving diffusion and accuracy of disaster related information » : https://reliefweb.int/report/world/annual-disaster-statistical-review-numbers-and-trends-2007

[23] « The Human cost of Natural Disasters2015 : A global perspective» : « The arrival of CRED in 1973 further improved data recording, while the development of global telecommunications and the media, plus increased humanitarian funding and reinforced international cooperation, also contributed to better reporting of disasters. Thus part of the apparent increase in the frequency of disasters in the past half-century is, no doubt, due to improved recording » : https://reliefweb.int/report/world/human-cost-natural-disasters-2015-global-perspective

2 réflexions sur « Fake News à l’ONU-2, la saga continue »

  1. Merci Ludwig pour ce travail précis et inquisiteur!! Il reste encore des libres penseurs refusant le « main stream » à l’ULB. Il faudrait traduire ce texte en Anglais sur le site.

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