L’Union européenne divisée par les politiques énergétiques 

Jean-Pierre Schaeken Willemaers, Institut Thomas More ,
Président du pôle Énergie, Climat, Environnement

En adoptant la théorie du GIEC selon laquelle le réchauffement climatique est dû principalement aux émissions   de gaz à effet de serre provenant des activités humaines,  l’Union européenne est censée se priver des productions d’électricité thermiques, malgré les considérables progrès en matière de pollution. Elle considère, en effet, que pour limiter l’augmentation de la température de l’atmosphère à 1,5°C, il faut atteindre la neutralité carbone en 2050.

Même si l’UE ne s’est jamais opposée à l’électronucléaire, elle a souvent eu à son égard une position ambigüe. Finalement, elle a fini par lui accorder le label vert, mais a refusé que lui soient concédés les avantages dont bénéficie le renouvelable intermittent, en particulier, les aides d’États alors que ces dernières sont très (trop) généreusement distribuées au l’éolien  et au photovoltaïque. Pareille  discrimination est incohérente vu que l’électronucléaire est vert, sûr et bon marché, toutes les centrales européennes étant amorties, et que la prolongation de la durée de vie de nombre d’entre d’elles ne posent pas de problème technique.

Le rejet du thermique et le manque de soutien au nucléaire conduisent  à un déploiement accru de l’éolien et du photovoltaïque. Or ceux-ci fonctionnent de manière intermittente et requièrent, en l’état actuel des choses,  une production électrique pilotable  pour assurer la sécurité d’approvisionnement, c’est-à-dire thermique et donc émettrice de GES.
La mise en place de ce scénario divise profondément l’Union européenne (le consensus actuel dans le cadre du drame ukrainien est-il  circonstanciel ?) : d’une part, les États membres qui privilégient une énergie abondante et bon marché pour assurer la prospérité de leur pays et le bien-être des citoyens, l’électricité nucléaire (considérée comme incontournable par un nombre croissant de politiques et de citoyens) en faisant partie et, d’autre part, les adeptes de la priorité absolue donnée à la décarbonation  de l’économie quoiqu’il en coûte et quel que soit l’impact délétère sur la population.
Les premiers défendent un mix électrique diversifié incluant l’électronucléaire, une pénétration limitée du renouvelable intermittent et une production thermique (de préférence à partir de gaz) pour répondre à la demande  et pour assurer la stabilité du système, les autres sont partisans d’une production à terme entièrement renouvelable, dont une pénétration  massive de l’éolien et du photovoltaïque ce qui les oblige,  de tolérer le thermique, un comble, pour éviter les ruptures de fourniture électrique. Ces derniers sont idéologiquement  opposés au nucléaire. Mais voilà, les partisans du tout  renouvelable sont rattrapés par la réalité des faits. L’invasion de l’Ukraine par les Russes a changé la donne. Pour atténuer l’impact de l’explosion du prix du gaz résultant de la pénurie de celui-ci sur le marché européen (réaction des marchés au mélange explosif de menaces et de rétorsions), ils sont contraints de renoncer à leur politique radicale et notamment à leur opposition  au nucléaire. C’est une illustration particulièrement pertinente  du bien-fondé du mix électrique diversifié (nous reviendrons sur ce point dans ce qui suit)  permettant la plus grande indépendance énergétique. 

Ceux qui en Europe ne l’ont pas compris en subissent les conséquences en termes de coûts, de gestion des contradictions dans la mise en œuvre de leur politique, etc. L’Allemagne est à cet égard un cas d’école (case study).
Sa décision inopinée et irrationnelle  de sortir du nucléaire à hauteur de 50% quasi immédiatement après la catastrophe de Fukushima (et ensuite progressivement, les dernières unités devant être arrêtées en 2022) a entraîné un gonflement du prix de l’électricité et en a fait l’un des pays européens les plus polluants. En effet, pour rester compétitive sur le marché international, exigence pour un pays dont les exportations sont essentielles à sa prospérité, elle a dû construire des nouvelles centrales au charbon et au lignite extrêmement polluantes et émettrices de CO2alors qu’elle se voulait la championne de la politique bas carbone. Contre toute logique, elle a confirmé récemment la fermeture des centrales nucléaires restantes en 2022. 

La France a évité de justesse de tomber dans le piège écologiste. Après avoir fermé Fessenheim 1&2, le Président Macron s’est ravisé et s’est lancé dans une politique diamétralement opposée, incluant la prolongation, au-delà de 40 ans, de la durée de vie d’unités nucléaires et la construction de nouvelles centrales. Ce revirement salutaire souligne l’aberration de la politique initiale visant à réduire de 75% à 50% la production nucléaire : vouloir, sous la pression du politiquement correct, changer le mix électrique d’un pays quasiment  indépendant  dans ce secteur d’activités et faible émetteur de GES, grâce au nucléaire et à l’hydraulique, était un non-sens.

Les pays de l’Est européen ont également privilégié une politique réaliste. Pour assurer leur prospérité et  rattraper  leur retard économique par rapport à  l’Ouest, ils n’ont pas hésité à adopter un mix électrique diversifié qui inclut, entre autres, la production thermique  notamment à partir de charbon  bon marché, et… le nucléaire. 

Les ressources en combustibles  sont abondantes  et les performances énergétiques ne font que s’améliorer ce qui diminue la consommation par unité de production. La quatrième génération de réacteurs nucléaires utilise très peu de combustible frais et le rendement des nouvelles centrales à gaz  à cycle combiné atteint des rendements dépassant  60%.

La guerre en Ukraine a eu un autre effet inattendu. Elle semble avoir réveillé l’intérêt de l’UE pour le gaz de roche-mère. Des bassins avaient  été explorés, il y a plusieurs années,  dans plusieurs pays européens tels que l’Allemagne, la Pologne, la  Roumanie ou la Suède. Ces explorations ont été abandonnées vu les difficultés rencontrées pour l’obtention des licences requises et la pression exercée par  les organisations anti-fracturation hydraulique (fracking). La nécessité défendue par l’UE de moins, voire de ne plus dépendre  des importations de gaz russe  pourrait conduire à une reprise  des travaux de sondage et d’évaluations de la richesse  des gisements de gaz non conventionnel.

Le projet EUOGA  (European Unconventional Oil and Gas Assessement) portant sur les ressources en Europe en gaz de roche mère, tight gas, etc., estime le volume de ceux-ci  à 89 billions (1000 milliards) de m3. Il ne s’agit, toutefois, pas de réserves récupérables et encore moins prouvées. L’estimation des quantités de gaz  pouvant être récupérées  est entachée de grandes incertitudes vu le manque de données, les explorations et analyses n’ayant  pu être poursuivies comme il se doit.

La Russie continue, pour l’instant, de fournir du gaz à l’UE qui dépend des fournitures russes à hauteur de 40% de sa consommation de ce combustible. C’est la raison pour laquelle l’UE se refuse, jusqu’à présent, d’inclure ce dernier dans la liste des sanctions.
À ce propos, la  recommandation insistante que le  Président Biden a adressée à cette dernière de ne plus acheter du gaz russe au motif que ces achats  alimentent le financement de la guerre, n’est pas susceptible de réduire les revenus russes du montant de ceux-ci, le Kremlin pouvant  réorienter ce gaz (avec, il est vrai, des concessions sur le prix)  vers la Chine toujours en quête de sources supplémentaires d’énergie pour soutenir sa croissance.
En revanche, l’embargo sur l’importation de gaz russe impliquerait, pour l’Union européenne, de grands sacrifices et souffrances surtout pour les plus défavorisés  et serait préjudiciable à son industrie tandis qu’il affecterait beaucoup moins les États-Unis. Pourquoi l’UE hésite-t-elle tant à défendre le bien-être de ses ressortissants et la solidité de son économie ? Ses tergiversations et procrastinations ne sont-elles pas de nature à diminuer sa crédibilité internationale et ainsi  à l’affaiblir par rapport  aux grandes puissances mondiales ?

Il faut, néanmoins, se poser la question de savoir s’il y a des solutions réalisables d’un point de vue technique, économique et politique permettant de pallier l’absence de fournitures russes. Passons en revue quelques-unes d’entre elles.

Le recours au GNL (Gaz naturel liquéfié)
En 2021, les échanges mondiaux de GNL ont atteint 5400 TWh, dont 750 TWh pour l’UE [1]. Si les sanctions étaient étendues aux hydrocarbures,  l’Europe devrait augmenter sa part  du commerce global de gaz liquéfié ce qui est loin d’être évident :
-le marché est caractérisé par une proportion importante de contrats à long terme réduisant fortement la possibilité de trouver des quantités disponibles et encore davantage à des prix abordables ;
-une part importante des importations supplémentaires de GNL devrait provenir des flux actuellement destinés à l’Asie où les prix sont nettement plus intéressants pour les exportateurs. Les citoyens européens sont-ils disposés à payer un prix encore plus élevé pour leur gaz ?  L’arrêt de la fourniture de gaz russe ne provoquerait-t-il pas la colère de la population appauvrie et des manifestations violentes du type « gilets jaunes » ? ;
-l’UE est limitée par sa capacité de regazéification. Jusqu’à présent, le gaz était largement importé par gazoduc et pouvait être injecté directement dans les tuyaux de distribution ;
la nécessité de stockage suffisant à préparer dès à présent en vue de répondre aux besoins de l’hiver prochain. Aux prix actuels, cela coûterait au moins 70 milliards d’euros, contre 12 milliards les années précédentes [2].

La  réduction de la demande
serait particulièrement pénible tant pour les ménages (surtout les plus pauvres) que pour l’industrie surtout si elle était imposée. Une telle décision résulterait d’ailleurs plus d’une posture politique (la décroissance) que d’une bonne gestion de la sécurité d’approvisionnement.
Elle nuirait à la prospérité et contribuerait à affaiblir l’UE par rapport aux grandes puissances.

L’augmentation massive de l’éolien et du photovoltaïque comme moyen de substitution à la sortie progressive de la production thermique d’électricité et totale ou partielle du nucléaire n’est pas la solution miracle défendue par les écologistes.

Les productions éolienne et photovoltaïque perturbent fortement la gestion du système électrique. Elles ne peuvent en assurer l’équilibre  vu leur intermittence  et la technologie actuelle ne permet pas d’y remédier  de manière adéquate.
En outre, la fabrication des éoliennes (terrestres et maritimes) et des cellules photovoltaïques dépend de métaux rares, voire de terres rares, dont les prix explosent  en raison  d’une demande  croissante  que leur rareté ne permet pas de satisfaire. Bientôt, si l’UE ne prend pas les mesures nécessaires,  la fabrication de  leurs composants les plus pointus pourrait être l’apanage de quelques pays, dont  la Chine. C’est une autre forme de dépendance énergétique, les matériaux de substitution, bon marché  et en quantité suffisante,  n’étant pas encore disponibles. 

Il faut se rendre à l’évidence que la prolongation de la durée de vie du plus grand nombre possible de centrales nucléaires  est une contribution essentielle et économique  à la résolution de la crise énergétique qui n’a  pas été déclenchée par  l’invasion russe  de l’Ukraine, mais a été fortement amplifiée par cette dernière.

Comment harmoniser les politiques des États membres ? Le réalisme ne pourrait-il pas l’emporter sur les postures rigides ? La Commission européenne ne pourrait-elle pas permettre à certains pays de l’Union de déployer leurs propres stratégies énergétiques le temps d’améliorer les conditions de vie de leurs citoyens quitte à déroger à certains objectifs de la transition énergétique ?

NOTES

[1] L’Europe peut-elle survivre sans le gaz russe ?, Ben McMillan et al., Grand Continent, 3 mars 2022
[2] Ibidem

2 réflexions sur « L’Union européenne divisée par les politiques énergétiques  »

  1. Tandis que l’UE (Commission & Parlement, svp) nous forcent à des contraintes dites vertueuses mais largement absurdes, à l’autre bout de notre belle planète, la CHINE vient de décréter ceci : = = China plans massive increase in coal mining = = (*)

    Source : Climate Depot March 15, 2022 : https://www.climatedepot.com/2022/03/15/china-plans-massive-increase-in-coal-mining/

    Ce faisant, l’Empire du Milieu nous présente un sérieux pied-de-nez qui s’oppose aux diktats et aux mensonges de la sphère COP21 quémandeuse de Paris 2015 !

    Humainement, il faut admettre qu’avec 10.000 exploitations minières procurant du « travail durable » à des dizaines de millions de bouches ET assurant une part de leur autonomie énergétique nationale pour les décennies/siècles à venir, on ne peut imiter le jeu sordide de la fine bouche par nos idéologues s’agitant en chambres législatives! Réalisme oblige…
    Surtout lorsqu’on sait que les chinois maîtrisent mieux que l’Occident les techniques de filtrage des fines poussières de combustion …
    et que la thèse taux CO2 futur = RCA garanti reste à leur démontrer !

    (*) [[ China « produces and consumes more than half of global supply, and it’s the biggest contributor to its world-leading greenhouse gas emissions. » …
    China will « boost domestic production capacity by about 300 million tons, according to people familiar with the matter. It also plans to build a 620 million-ton stockpile of the fuel. »

    China plans a massive increase in coal mining, a move that will dramatically reduce its reliance on imports and deal a blow to its near-term climate actions.

    The National Development and Reform Commission, the nation’s top economic planner, told officials from major mining regions at a meeting late last week that it wants to boost domestic production capacity by about 300 million tons, according to people familiar with the matter. It also plans to build a 620 million-ton stockpile of the fuel split between government, miners and users.

    Such an increase in output would cut the country’s already scant dependence on foreign imports after global prices hit record levels in the wake of Russia’s invasion of Ukraine. The measures also highlight concerns that China’s reliance on fossil fuels remains as entrenched as ever, as it seeks to enhance energy security to limit disruptions to economic growth, regardless of the impact on its climate goals.

    It’s hard to overstate the importance to China of coal, the most-polluting fossil fuel. The nation produces and consumes more than half of global supply, and it’s the biggest contributor to its world-leading greenhouse gas emissions. China has said that coal consumption should begin to fall off in the second half of this decade as it strives to peak emissions across the economy by 2030.

    The production increase would be split, with 150 million tons of capacity coming from new, upgraded operations and another 150 million from open-pit mines and some mines that had previously been shut. Daily output should average 12.6 million tons, according to the NDRC, which is even higher than the record-breaking levels reached in the fall after shortages caused widespread industrial brownouts.

    The NDRC didn’t give a timeline for the ramp-up, but if last year’s all-out push on production is anything to go by, it could happen relatively quickly. The added 300 million tons of capacity is equivalent to China’s typical annual imports. The nation produced over 4 billion tons of its own coal last year.

    The new edicts on supply follow other measures intended to guarantee a smoothly running power system, which still relies on coal for about 60% of its needs. The government has ordered mines and power plants to sign medium and long-term contracts for 100% of their generation, and will enforce a price range of between 570 and 770 yuan a ton for those supplies. ]]
    ………………………………………………………………………………………………..
    QUI sont vraiment les esprits étroits ? Pas les gens aux yeux bridés !

    En un simple rappel (WIKI) : [[ Les réserves prouvées mondiales de charbon sont estimées fin 2020 à 1 074 Gt (milliards de tonnes) ; elles sont disséminées sur tous les continents dans plus de 70 pays. Les principales réserves sont situées aux États-Unis (23,2 %), en Russie (15,1 %), en Australie (14,0 %), en Chine (13,3 %) et en Inde (10,3 %). (( https://fr.wikipedia.org/wiki/Charbon ))

    L’Allemagne de Mme Merckel ayant nié les qualités du nucléaire après FUKU-2011, il faut se balader entre Aix-la-Chapelle et Cologne pour que se révèlent certains champs de lignite (dont les caractéristiques « néfastes pour une planète verte » sont lisibles dans le même article WIKI ci-dessus). Mais bon, c’est une industrie nationale de tradition… un peu comme les immenses réserves/tonnages de Mr Xi !
    ça et malgré tout, 25% de l’énergie nationale via le gaz russe.

    N’avons-nous pas appris que les deux membres d’une équation peuvent être égaux … pour autant que les valeurs de leurs variables sont bien équilibrées ?
    (s) Mr MIX …

Répondre à Emmanuel Simon Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *