L’Anthropocène n’est pas une unité stratigraphique officielle

Alain Préat, Prof. Emérite, Université Libre de Bruxelles
et
Brigitte Van Vliet-Lanoë, Directeur de recherche CNRS, 
Emérite, Brest, France

Fil conducteur : Depuis que l’idée d’une nouvelle unité géologique, l’Anthropocène, fut lancée en 2000 par Paul Crutzen, un chimiste de l’atmosphère et prix Nobel, la communauté scientifique s’est enflammée dans le contexte du réchauffement climatique actuel, et des débats passionnels n’ont eu cesse entre ceux qui défendent cette nouvelle unité anthropogénique et ceux qui s’y opposent. La discussion a largement débordé la communauté des géologues, pourtant ce sont bien ces derniers, et uniquement eux, qui sont aptes à définir formellement des unités géologiques, ici stratigraphiques. Notre article rappellera les règles de la stratigraphie et montrera que l’introduction de l’Anthropocène comme unité stratigraphique ne respecte pas ces règles. L’Anthropocène vient d’être officiellement rejeté, après 15 ans de débats, comme unité stratigraphique par l’ICS (International Commission on Stratigraphy). En conclusion l’Anthropocène doit être considéré comme une unité ‘Géo-éthique’ et pas comme une unité ‘Géologique’.

Exemple du stratotype GSSP de l’étage géologique Thanétien (Paléocène, voir Figure 1 du texte). GSSP de Zumaia. On note la figuration du clou d’or (= golden spike), voir texte ci-dessous. Photographie: Pierre Thomas.

1. INTRODUCTION

Le temps de la géologie n’est pas une mince affaire… Il faut en effet distinguer deux registres différents et complémentaires : celui de la chronologie qui cherche à établir une succession d’évènements ou le synchronisme de deux événements, et celui de la durée, pendant laquelle se déroulent des phénomènes. Notons que le temps ne se fossilise pas ; il n’est accessible qu’au travers de traces constituant de rares enregistrements de phénomènes qui se sont déroulés. Ces traces permettent d’avoir accès à des repères chronologiques (De Wever et al. 2010). 

La chronostratigraphie est la partie de la stratigraphie consacrée à l’établissement de la chronologie des successions de couches (ou ‘strates’) sédimentaires. La stratigraphie permet d’établir une chronologie stratigraphique relative basée  les  principes de continuité et de superposition (= ‘principe de stratigraphie’, iciet ici). L’analyse stratigraphique fait appel à plusieurs unités hiérarchisées et codifiées  (également ici), dont la plus importante est l’étage  (= ‘stage’) géologique d’une durée de quelques millions d’années (durée moyenne de 5 ou 6 Ma). Ces divisions ou unités sont chacune représentées par des ensembles de couches auxquelles  on fait correspondre des intervalles de temps, qui sont des divisions géochronologiques (svt71Gastou, 2011). Leur contenu en fossiles permet d’effectuer des corrélations à distance (= paléontologie stratigraphique). En tenant compte de la nature lithologique des couches, de leur âge, on définit ainsi formellement des divisions lithostratigraphiques, des divisions biostratigraphiques et des divisions chronostratigraphiques, à ces dernières on leur fait correspondre un ensemble de couches constituant des intervalles de temps ou divisions géochronologiques. La division de base est l’étage. D’autres unités stratigraphiques très utiles ont complété celles de la stratigraphie classique, il s’agit de la stratigraphie isotopique, de la stratigraphie séquentielle, de la cyclostratigraphie, de la stratigraphie sismique, de la chimiostratigraphie, de l’écostratigraphie, de la magnétostratigraphie  etc.

2. L’ETAGE GEOLOGIQUE

Revenons à l’étage, clé d’entrée ou unité de base de l’échelle internationale chronostratigraphique. Il a une longue histoire, débutant au XVIIIème siècle et se concrétisant pour la première fois au XIXème siècle.  Au XIXème siècle les géologues, et plus spécialement les stratigraphes ont regroupé, sur un même affleurement de référence (= section-type) des ensembles de couches sédimentaires partageant des caractéristiques paléontologiques communes. Ces affleurements ou sections-types, sont naturels ou artificiels (carrières et même forages), et appelés stratotypes. Ils représentent donc des sites de référence pour définir des intervalles de temps spécifiques: les étages, chacun caractérisé par sa durée ou son âge. Le nom de l’étage est le plus souvent désigné de celui d’un lieu géographique auquel on ajoute le suffixe -ien (exemples du Frasnien de Frasnes en Belgique, de l’Aptien d’Apt en France…). Ce lieu est généralement, mais pas obligatoirement, celui où se trouve le stratotype (par exemple dans les falaises de Givet, à Givet pour le Givétien, mais sur le flanc d’un djebel au Maroc pour l’Eifelien…). Plusieurs étages forment une série (l’équivalent géochronologique est l’époque), ensuite plusieurs séries font un système (équivalent géochronologique = période), puis plusieurs systèmes font un érathème (équivalent géochronologique = ére) et plusieurs érathèmes font un éonothème (équivalent géochronologique = éon) (Figure 1). Des divisions plus petites divisent l’étage, la plus utilisée est la chronozone (équivalent géochronologique = chrone). 

3. LES REGLES STRATIGRAPHIQUES

Retenons le principe fondamental de la gestion de ces unités : on a des divisions matérielles (= les couches géologiques, exemple = l’étage) qui ont des durées (exemple l’âge pour chaque étage) hiérarchisées et valables pour l’ensemble des temps géologiques et  valables aux échelles globales, régionales et locales. Des Commissions Nationales et Internationales  de Stratigraphie (ICS)  ont été créées au cours du XXème siècle pour traiter la gestion de ces unités  (définition, création, abandon etc.) qui sont en constante voie d’amélioration suite à l’acquisition de nouvelles données géologiques (affleurements, cartographie, paléontologie, forages, sismique etc.). Un code ou guide stratigraphique a été établi et est suivi par la communauté des géologues afin de faciliter une méthode et un langage communs. Il est systématiquement enseigné dès les premières années de baccalauréat aux étudiants de géosciences. Il s’agit bien ici de la base de l’apprentissage de la géologie. Episodes  est le ‘Journal of International Geoscience’ qui discute de ces points et rapporte les décisions officielles prises dans ce domaine, en fonction des études les plus récentes. Toute unité validée par la communauté devient officielle et formelle. Les unités non validées sont rejetées et peuvent être utilisées de manière informelle. Ce journal en Open Acess est le lien qui relie la communauté des géologues à la plus large échelle internationale qui soit. L’historique de la nomenclature  des unités stratigraphiques y est régulièrement abordé et des recommandations suggérées. Il s’agit d’un chantier en perpétuelle activité.

Il n’est pas question ici de rentrer dans le détail de l’analyse stratigraphique dont le point clé est la définition des ou du stratotype(s) (= ‘coupe-type ou section-type de référence’) des différentes unités et particulièrement de celle de l’étage. La science géologique a fortement évolué dans les 30 dernières années et aujourd’hui l’accent est mis sur des ‘niveaux marqueurs’ d’un étage (ou autre unité), plutôt que sur la coupe de référence historiquement retenue. Cette nouvelle façon de faire est basée sur le concept de GSSP (Global Boundary Stratotype Section and Points) ou stratotypes de limite (temporelle) (Walsh et al. 2004. Autrement dit chaque étage (ou autre unité) est défini en un endroit précis de la planète (cf. coordonnées GPS) par un marqueur temporel c’est-à-dire une ligne temps que l’on matérialise en posant ou fixant un clou (Veltz, 2020), parfois une plaque. C’est le fameux ‘clou d’or ‘ (=’golden spike’) des géologues que l’on retrouve sur l’échelle des temps géologiques  (Figure 1, cf. la première figure dans la section ‘Fil conducteur ) aux différents limites d’étages pour celles où la définition a été validée par Episodes

Figure 1. Les différents étages géologiques (base de la géologie) sont datés par chronologie absolue et certains sont matérialisés par un marqueur temporel figuré pour un ‘clou en or’ dans chaque stratotype concerné. Cette échelle n’est pas figée et améliorée tous les quatre ans environ suite à l’acquisition de nouvelles données et les résultats d’études plus détaillées (d’après stratigraphy.org.).

4. LES STRATOTYPES

Il existe donc pour chaque étage géologique une coupe-type ou section de référence correspondant à un temps écoulé, il s’agit de stratotypes (un par étage) qui furent définis (‘plus ou moins bien’) dès la fin du XIX siècle. Au XXème siècle  les étages sont marqués par une limite, à savoir un marqueur temps et on passe alors aux stratotypes de limites ou ‘limitotypes’ (GSSP). Les deux systèmes sont utilisés aujourd’hui, le second de plus en plus. Rappelons le but ultime qui est de corréler au mieux des couches à la plus grande échelle globale qui soit. Avec cette nouvelle approche la base ou limite inférieure d’un étage (ou autre unité) est définie par le marqueur retenu (matérialisé par le ‘clou d’or dans un site protégé) et le sommet de l’étage en question correspond à la base de l’étage suivant (Figure 1). Prenons l’exemple de l’étage Givétien dont le stratotype historique ou coupe de référence fut établi à Givet en 1879. Ce choix s’est avéré au fil du temps mal approprié (voir historique in Préat et Bultynck, 2006), et aujourd’hui la base de l’étage Givétien est définie par un marqueur biostratigraphique (GSSP) dans la coupe du Jebel Mech Irdane, dans l’Anti-Atlas du sud marocain. Il s’agit du banc n°123 entériné par Episodes en 1995 (voir Walliser et al., 1995) suite à la validation par l’ICS (International Commission of Stratigraphy) et l’IUGS (International Union of Geological Sciences). S’agissant d’une décision officielle, la communauté des géologues est tenue de s’y référer. Dans le ‘nouveau‘ concept de limitotype le sommet d’un étage est défini par la base du suivant. Le sommet du Givétien correspond donc à la base de l’étage suivant, le Frasnien donc le limitotype a été fixé, par les mêmes commissions internationales mentionnées ci-dessus, sur base biostratigraphique, dans la coupe du Puech de la Suque en Montagne Noire dans le sud de la France (Klapper et al., 1987Galbrun, 2022). La Figure 1 montre que la durée de l’étage Givétien s’étend de 387,7 ±0,8 Ma à 382,2 ±1,6 Ma. Tous les quatre ans environ ces âges sont revus ou précisés à la lumière de nouvelles études. On peut en voir un exemple avec la base du Thanétien datée à 59,2 Ma (Figure 1, 2023) alors qu’elle était datée à 58,7 Ma (cf. le panneau sur la première figure liée à la section Fil conducteur).

 La pratique quotidienne de la stratigraphie pour établir les unités temporelles à l’échelle globale implique que plusieurs critères incontournables soient rencontrés : (1) une continuité sédimentaire  et  (2) une modification importante des zones temporelles (principalement – mais pas uniquement – des biozones, basées sur l’évolution des (micro)faunes (exemple des foraminifères…), (micro)flores (exemples des algues…) ou d’organismes d’affinité incertaine (exemple des acritarches…). Il faut noter que les limites d’étages peuvent aussi correspondre à une phase tectonique majeure (collision ou réajustement de plaques tectoniques), comme la crise messinienne en méditerrannée qui est reconnue mondialement (Aslanian et al. 2019), ou à d’autres indicateurs (par exemple géochimiques …)

L’unité de base de la géologie est l’Etage de durée de 5 à 6 Ma (parfois plus, parfois moins, voir Figure 1) et sa base est fixée par un limitotype (si les données sont suffisantes, voir Figure 1) dont l’âge est connu à ± 1Ma d’année (parfois plus, parfois moins, voir Figure 1) ou sans qu’une précision n’en soit encore donnée (id.). On voit donc que la clé d’entrée pour comprendre la géologie à la plus grande échelle utile qui soit est le million d’années ou quelques millions d’années. Vouloir créer une nomenclature spécifique pour des événements particuliers amène rapidement à des incohérences, voire à des conflits.

Il suffit de voir l’importance accordée à l’apparition de l’Homme à l’origine du mot ‘Quaternaire’ considéré à tort jusqu’il y a peu comme une Ere, alors que sa durée est inférieure (officiellement 2,58 Ma, le Gélasien ou Pliocène supérieur) depuis la dernière décision parue dans Episodes (29 juin 2009) à celle d’un étage géologique (Gibbard and Head, 2009). Depuis 2009, le Quaternaire n’est plus une Ere et est rattaché au Cénozoïque ou Ere Tertiaire. Les subdivisions du Quaternaire font encore l’objet de nombreuses discussions et conflits (Episodes). Le rang de l’unité géologique de l’Holocène qui marque la dernière époque du Quaternaire, alias stade isotopique 1 (MIS 1), et donc du Cénozoïque montre à quel point cette unité d’une durée actuelle de 11700 ans est très différente de toutes les unités de l’échelle chronostratigraphique internationale. Pour les Quaternaristes, cette unité isotopique correspond au dernier interglaciaire en cours. La Figure 1 montre que l’Holocène contient trois étages géologiques, et correspond au rang d’une Série/Epoque. Retenons donc trois étages géologiques pour 11700 ans au lieu de 15 Ma en prenant une durée moyenne de 5 Ma pour un étage (cfr. Figure 1). La stratigraphie de l’Holocène est particulièrement complexe et basée sur de nombreux proxies.

5. L’ANTHROPOCENE

Face à la situation du Quaternaire également de durée inférieure à celle d’un étage géologique, avec une stratigraphie fort détaillée, et d’un Holocène qui ne représente quasiment rien d’un point de vue temporel à l’échelle géologique (0,2% d’un étage moyen), la proposition d’ajouter une nouvelle ‘unité’, l’Anthropocène est-elle raisonnable ? Rappelons d’abord que suivant les règles de la stratigraphie, proposer une limite pour la base de l’Anthropocène revient de facto à définir la limite supérieure de l’étage précédent (ici le Meghalayien, Figure 1). Dans le cas où l’Anthropocène serait défini et débuterait pas un étage géologique (le Crawfordien, voir ci-après), on ne connaîtrait ni la limite supérieure de l’Anthropocène en tant que Série/Epoque, ni celle de ce nouvel l’étage  qui est à venir ! S’il ne s’agit pas d’un étage géologique défini correctement (et ici, il ne le peut pas), alors il ne peut apparaître sur la charte chronostratigraphique internationale, et n’a pas de sens géologique puisque cette charte a pour but de présenter des unités globales. L’introduction de l’Anthropocène ne fait qu’accentuer l’incohérence de la définition et de la place prise par le Quaternaire. Elle fait pourtant partie de la même logique, à savoir, celle de l’apparition de l’Homme sur Terre, mais tandis que pour le Quaternaire il n’y avait pas de jugement sur cette apparition, pour l’Anthropocène, au contraire, il y a jugement, l’Homme étant considéré comme un agent géologique à part entière se manifestant principalement pas son côté destructeur de la Planète, surtout depuis de la Révolution Industrielle. Certains souhaitent même remplacer l’Anthropocène par le Capitalocène (sic), traduisant la dégradation de la Planète par le capitalisme. 

On peut discuter sans fin de cet aspect, mais il sort de la (bonne) logique stratigraphique, qui est celle qui a cours depuis ‘Archéen’ que cette proposition n’a aucun sens. Considérons donc l’Anthropocène et voyons les impasses où il nous mène. C’est Paul Crutzen, chimiste de l’atmosphère et prix Nobel qui lors d’un colloque en 2000 au Mexique annonça ‘Non ! nous ne sommes plus dans l’Holocène mais dans l’Anthropocène, il faut ajouter un nouvel âge à nos échelles stratigraphiques … pour signaler que l’Homme en tant qu’espèce est devenu une force géologique majeure..’(Crutzen and Stoermer, 2000). En 2002 il propose dans un article de Nature de faire débuter ce nouvel âge en 1784, date du brevet de James Watt sur la machine à vapeur. On voit déjà ici la méconnaissance de la notion d’âge par rapport à sa signification en géologie. Lors du 34ème congrès de l’IUGS qui s’est tenu en 2012 à Brisbane il a été décidé de créer un groupe de travail sur la proposition (voir l’historique des différentes mises au point de la Sous-Commission Internationale Stratigraphique du Quaternaire, Waters et al., 2018,  Head et al., 2023, Episodes, 2024).

Se pose d’emblée la date du début de ’Anthropocène et se mêlent rapidement des considérations diverses liées à l’activité humaine (cycle de l’azote, cycle du phosphore, augmentation des teneurs en plomb, pourtant maximales à l’époque Romaine (-52 ± 300 AD), exploitation des hydrocarbures par les Mésopotamiens à l’âge du bronze ; en mercure dans les sols, ce qui a poussé les Mayas à abandonner en 1520 AD le vaste site de Tikal pour cause de pollution mercurielle, biodiversité modifiée au tout début de l’Holocène surtout avec les défrichements du Néolithique, explosions nucléaires et radionucléides artificiels … ), événements  climatiques propagés par le GIEC (cycle du CO2, du CH4, NO2 …acidification …) et encore d’autres phénomènes également liés à l’activité de l’Homme (exemple des (micro)plastiques et nouveaux polymères, pesticides, des suies et poussières volantes de combustion, des ‘techno-minéraux’, bêton, ..). Ensuite où placer précisément le début de ’Anthropocène? Avec l’apparition d’Homo sapiens il y a environ 300 ka (Smith et al. 2007) ou plus tôt celle du genre Homo vers 3.0-2.0 Ma avec sa pratique du feu, de la chasse et de la fabrication d’outils en Afrique (Gibert et al. 2022), ou encore il y a environ 5000 ans quand la déforestation, les rizières et l’élevage (gaz à effet de serre ?) sont devenus intensifs (Ruddiman, 2003) ? De nombreuses propositions ont été envisagées… (Yusoff, 2018, Wallenhorst, 2021).

L’Anthropocène a finalement été rejeté par l’IUGS comme unité au rang de Série/Epoque par 12 voix contre 4 le  5 mars 2024 (ici  et Witze, 2024 in Nature, Figure 2, également Hansen, 2024). Si la proposition avait été acceptée, l’Holocène débutant il y a 11700 années serait suivi d’une nouvelle époque, l’Anthropocène, qui lui succèderait en 1952 dans les sédiments d’un lac contaminé par l’industrie à Crawford, près de Toronto au Canada (Witze, 2023). L’étage Crawfordien serait alors le premier étage de l’Anthropocène et le GSSP qui le définit est situé à la base d’une lamine ou varve noire déposée en 1952 et présente à 17,0 cm dans  le sondage CRA23-BC-1F-B effectué dans le lac. De nombreux changements chimiques ont lieu dans cette lamine, notamment une augmentation rapide du 229/240Pu et du 14C suite aux tests atomiques des années 1940’- 1950’ (Waters et al., 2023).

Neuf autres sites avaient été pressentis car ils ont aussi enregistré les premières manifestations de l’activité humaine à l’échelle globale (Prillaman, 2022). Inutile de dire que les tenants de l’Anthropocène ont été déçus par le refus de l’IUGS et souhaitent continuer le combat ‘For now, the SQS and the ICS will sort out how to handle Zalasiewicz and Head’s request for a vote annulment. Meanwhile, scientific and public discussions about how best to describe the Anthropocene continue … “By voting ‘no’, they [the SQS] have made a stronger statement,” Ellis says: “that it’s more useful to consider a broader view — a deeper view of the Anthropocene.” (Witze, 2024). Notons aussi que placer précisément une limite temporelle entre l’Holocène et l’Anthropocène est impossible, puisque l’activité de ‘re-modelage’ de la Terre par l’Homme est par essence diachronique.

Figure 2. Rejet par la Sous-Commission Internationale Stratigraphique du Quaternaire de la proposition de créer une nouvelle Epoque (l’Anthropocène) qui suivrait l’Holocène (Witze, 2024 in Nature). Egalement ici.

Les raisons du rejet (et de la discussion) du vote sont reprises dans le New York Times (Zhong, March 5, 2024).

6. CONCLUSION 

Notre longue explication de la stratigraphie et de ses règles pratiquées depuis des décennies par les géologues, montre à quel point cette proposition est incohérente : on part d’une Epoque, l’Anthropocène, ensuite on lui donne un âge minimum, le Crawfordien (Waters et al., 2024) et sa durée est inconnue. Il y a de quoi perdre un géologue, qu’il soit de terrain ou par exemple géochimiste ! D’un point de vue géologique cette proposition est incohérente, c’est ce que la Sous-Commission Internationale Stratigraphique du Quaternaire a signifié avec raison et la décision a été entérinée par l’instance stratigraphique la plus haute, l’IUGS.

Alors quid de l’Anthropocène ? Nous estimons, comme beaucoup d’autres, qu’il représente un événement particulier de la Terre fort empreint de sociologie, voire de culpabilité de l’action de l’Homme sur la Terre, à la manière de l’hypothèse Gaia de J. Lovelock (SCE, 2022). Cet événement appuie aussi les scénarios catastrophiques liés à l’alarmisme climatique qui ne cesse d’être mis en avant aujourd’hui. Finalement la Terre a connu bien des événements qui l’ont ‘modelée’, l’apparition des bactéries permettant à une atmosphère oxygénée de voir le jour au Protérozoïque (= Great Oxidation Event), on parle d’ailleurs d’Holocauste de l’oxygène !, de la conquête des aires continentales (= cratoniques) par la végétation au Silurien, de la sortie des eaux des vertébrés au  Dévonien, etc. Egalement la Terre ‘Boule de Neige’ (‘Snowball Earth’) au Cryogénien, fin du Précambrien…. Il s’agit de processus qui ont significativement transformé notre Planète et dont l’action se déroule à l’intérieur d’un Etage, d’une Epoque ou autre unité  en fonction de leur durée. On parle aussi l’’Ere ’des Poissons de l’’Ere’ des Dinosaures, etc. sans que cela ait la moindre signification formelle, tout comme on mentionne par exemple … le Néolithique, la Renaissance …  qui sont des périodes qui n’ont rien à voir avec l’échelle des temps géologiques. En rejetant formellement (= ‘officiellement’) cette proposition le terme Anthropocène ne déroge pas à cette règle de bon sens de la géologie, à savoir que quelques événements particuliers peuvent être signalés sans que pour chacun d’eux une nomenclature formelle soit créée. On peut ainsi se contenter de parler de ‘l’Ere de l’homme moderne…’ . Mais est-ce bien utile… ? Peut-être pour les anthropologues et le sociologues… Cela pourrait correspondre à l’Optimum des grattes-ciels ou encore à l‘Ere thermo-industrielle … !

Terminons avec la conclusion de Hansen (2024) : “The Anthropocene is, at its very best, a propaganda term invented by the environmental movement.  It is always used to imply the negative consequences of the rise of Humans and their civilizations.

I am heartened that The Geologists, even if for the wrong reasons, have rejected, so far, enshrining this basically anti-human propaganda term in the Geological History of the planet. 

There is no doubt that humans have become a or the major biological force on Earth, altering their environments to their liking and their own purposes.  Humans have certainly been successful.  Darwin might have said this means humans are “the fittest”. 

.. et “At this moment, the Anthropocene is one of the following:  1) Dead, 2) Postponed, or 3) Pending (Figure 3).

Figure 3. At this moment,  the Anthropocene is one of the following:  1) Dead, 2) Postponed, or 3) Pending (Hansen (2024) 

Bien entendu nous ne contestons pas l’impact de l’Homme sur la Planète, mais estimons qu’il n’y a pas lieu de mêler des ‘sentiments ou ressentis’ dans le cadre rigoureux des règles de la stratigraphie. Il nous apparaît que l’Anthropocène est plus une nouvelle unité ‘Géoéthique’ que ‘Géologique’. Lorsque les règles de la stratigraphie ne sont pas validées formellement (par l’IUGS), une unité peut être utilisée informellement mais n’a pas sa place dans l’échelle chronostratigraphique internationale. Dans ce cadre l’Anthropocène n’est qu’un événement parmi d’autres dans l’Holocène. De très nombreux événements, même extraterrestres, ont eu un impact sur notre Planète. A nouveau ils ne font pas l’objet d’une définition formelle (Stein, 2024).

Une réflexion sur « L’Anthropocène n’est pas une unité stratigraphique officielle »

  1. Géo-éthique ? Keske C ke ça ?
    Il est heureux d’y faire allusion, afin de définir ce dont il s’agit !
    Divergeons donc quelques instants des rigueurs de la géologie ?

    Prof. Arnaud Brennetot (géographie politique, Rouen): « La GÉO-ÉTHIQUE se présente alors comme une branche de l’éthique environnementale qui se développe depuis plusieurs décennies, à la croisée de la philosophie morale et des études sur l’environnement. »
    https://journals.openedition.org/cybergeo/35653

    Dont une fraction des ‘Conclusions’ de cet article :
    [[ Dans cette perspective, les NORMES géo-éthiques sont importantes car elles représentent une ressource que les acteurs ont à leur disposition pour produire de la compréhension, de la mobilisation collective, pour susciter des engagements, pour construire de la légitimité ou de la contestation, du soutien ou de la critique, pour surmonter des conflits ou créer des CONSENSUS, c’est-à-dire pour bâtir des RÉGIMES géo-éthiques ou activer des controverses. L’approche constructiviste [1] envisage alors les normes géoéthiques comme un facteur parmi d’autres de l’organisation de l’espace géographique, au même titre que les intérêts, la force matérielle, la culture ou les institutions.]]

    Ici apparaît un conflit évident entre le ‘temps long géologique’ et celui d’un ‘temps court, turbulent, de la géo-politique’ !
    Serait-ce une thèse propice à cibler des foules humaines que l’on sait vite influençables ? Car l’examen des mots clés de la conclusion ci-avant se prête assez bien aux phénomènes sociaux que nous observons au travers de médias avilis (et même dans certains cercles sous influence, encore dits scientifiques) ?
    Dilemme de l’échauffement des esprits et des foules apeurées, hors ces quelques degrés C d’une hypothétique ‘température mondiale moyennée’ !

    Notons que si l’ère de la vapeur-énergie serait d’après Crutzen and Stoermer, 2000 fixée à l’ère industrielle britannique en 1784, ils eurent pu la dater antérieurement pour faire plus fondamental [2]. :o)

    Certains penseurs du XXIe veulent-ils ainsi nous faire tomber dans les bas-étages culturels, d’une durée comparable à celle de l’adolescence ?
    L’homme de l’ère PC-Internet-GSM a mieux à gagner que de se laisser con-vertir à des croyances RCA et à ses nouveau prophètes !
    Heureux que l’IUGS et vous-mêmes nous en ayez tenus informés !
    ……………………………………………

    [1] «  constructiviste » (Piaget 1923) : [[ Le constructivisme fonde sa théorie sur le principe que le nouveau savoir n’est effectif que s’il est reconstruit pour s’intégrer au réseau conceptuel de l’apprenant. Il suppose donc que l’apprenant possède un capital, une histoire, des expériences, qui s’opposent à le considérer comme une table vierge. ]] Serait-ce le cas type pour la jeune Greta Th. ?

    [2] Les premiers travaux sur la vapeur d’eau et son utilisation remontent à l’Antiquité : Héron d’Alexandrie conçut et construisit au Ier siècle son éolipyle qui, bien que considéré comme un jouet du fait de sa faible puissance et de son utilité, n’en était pas moins un moteur à vapeur, à réaction.
    https://fr.wikipedia.org/wiki/Machine_%C3%A0_vapeur

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