Le GIEC en est virtuellement certain…

par Prof. Dr. Jean N.

Le dernier rapport spécial du GIEC vient de sortir. Ce rapport, appelé SROCC (« Special Report on the Ocean and Cryosphere in a Changing Climate« ), a été approuvé à la 51e session du GIEC tenue les 20 et 23 septembre 2019. Il a déjà fait beaucoup parler de lui dans les médias. Le résumé du rapport à l’intention des décideurs (SPM) a été présenté lors d’une conférence de presse le 25 septembre 2019. Pour ceux qui comprennent l’anglais, qui ont une formation scientifique et surtout qui ont le temps de lire 1170 pages, le fichier PDF de ce rapport est disponible sur le site du GIEC. Le présent article analyse le chapitre 4 de ce rapport, celui qui traite de la montée des océans. Rassurez-vous, nous n’allons pas critiquer la montée du niveau des océans qui est un phénomène bien réel. Nous allons plutôt montrer que les auteurs ont étrangement omis certaines explications qui relativisent la portée de leurs conclusions, notamment concernant la cause de la hausse du niveau marin.

1. Structure du chapitre 4

Ce chapitre 4 consiste en 168 pages et a pour titre « Élévation du niveau de la mer et conséquences pour les îles, les côtes et les communautés de faible altitude« . Les deux auteurs coordonnateurs de ce chapitre sont Michael Oppenheimer (USA) et Bruce Glavovic (Nouvelle Zélande). Les auteurs principaux sont au nombre de 13 et les auteurs contributeurs sont au nombre de 31. Au final, 46 scientifiques ont donc contribué à écrire ce chapitre. Rien que pour ce chapitre les auteurs citent un peu plus de 1500 références, essentiellement des articles scientifiques.

Qu’apprend-t-on dans le chapitre 4?

Pour faire simple, nous y apprenons : (1) Que le niveau moyen des océans monte toujours et que la vitesse s’accélère; (2) Que cette montée du niveau marin est essentiellement causée par l’homme; (3) Que l’on peut calculer ce qui va se passer dans le futur grâce aux modèles numériques; (4) Que l’on peut éventuellement se protéger de la hausse du niveau marin par toute une série de mesures.

Nous allons maintenant nous focaliser sur les points n°1 (montée du niveau) et n°2 (les causes).

2. La montée du niveau moyen des océans selon le SROCC

Si l’on consulte les données issues des marégraphes (les premiers sont entrés en service vers 1700), le GIEC estime qu’il est très probable (very likely) que le niveau moyen global des océans ait augmenté de 1,5 [1,1 à 1,9] mm/an entre 1902 et 2010, pour un total d’élévation du niveau marin de 0,16 [0,12–0,21] mètres. Dans un précédent article publié sur SCE, le Prof. Y. Battiau (ici) estimait une vitesse semblable (1,6–1,8 mm/an). Selon le GIEC il existe une légère accélération de –0,002 à +0,019 mm/an, entre 1902 et 2010. Remarquons que les marégraphes mesurent un niveau marin relatif (par rapport aux terres émergées).

Si l’on consulte les données fournies par les satellites (disponibles seulement depuis 1992; avec TOPEX/Poseidon et Jason) le GIEC estime que le niveau moyen global des océans augmente de 3,16 [2,79 à 3,53] mm/an entre 1993 et 2015. Remarquons que cette valeur est inférieure à celle publiée par le GIEC en 2013 dans l’AR5 où le chiffre était de 3.3 mm/an. Dans un précédent article publié sur SCE par le Prof. Y. Battiau (ici), il était estimé une vitesse semblable (3,2 ± 0,1 mm/an). Selon le GIEC les satellites détectent également une légère accélération valant ici 0,084 [0,059–0,090] mm/an, entre 1993 et 2015. Remarquons que les satellites mesurent un niveau marin absolu.

3. La cause de la montée du niveau marin selon le SROCC

Selon le SROCC, il existe 5 contributions principales à l’origine de la hausse du niveau moyen des océans (Table 4.1, page 531). Chaque contribution peut être mesurée sur le terrain (par satellite ou avec des bouées Argo); nous les citerons par ordre d’importance décroissante pour la période 2007–2015 : (1) l’expansion thermique des océans (1,40 mm/an); (2) la fonte de glace au Groenland (0,77 mm/an); (3) la fonte de glaciers hors Groenland et Antarctique (0,61 mm/an); (4) la fonte de glace en Antarctique (0,43 mm/an); (5) le stockage d’eau sur terre (construction de barrages, etc.) (–0,21 mm/an). L’ensemble représente 3,00 mm/an, une valeur proche de la mesure obtenue par les satellites.

Hormis la contribution n°5, qui est par définition de nature anthropique sensu stricto, les autres contributions sont liées au réchauffement global. Cependant, les données de terrain ne donnent pas directement la ou les cause(s) à l’origine de ce réchauffement… Que nous dit le GIEC? Voici ce qu’il est écrit à la page 542 du chapitre 4 du SROCC. Il s’agit du point 4.2.2.5.2 intitulé « Attribution du changement global du niveau de la mer moyen au forçage anthropique » (nous avons gardé le style « lourd » des phrases du GIEC pour la traduction…) :

 » (…) Dangendorf et al. (2015) ont détecté qu’une fraction du changement observé du niveau de la mer était inexpliquée par la variabilité naturelle et conclurent par inférence qu’il était virtuellement certain qu’au moins 45% de l’augmentation observée du niveau de la mer depuis 1900 est imputable au forçage anthropique. De même, Becker et al. (2014) ont fourni des preuves statistiques que la tendance observée dans la variation du niveau de la mer, à la fois pour la moyenne globale et un marégraphe sélectionné, n’est pas compatible avec la variabilité interne non forcée. Ils en ont déduit que plus de la moitié de la tendance observée au niveau moyen mondial du niveau de la mer au 20ème siècle est imputable au forçage anthropique. »

 » Slangen et al. (2016) ont reconstruit le niveau moyen mondial de la mer entre 1900 et 2005 sur base de simulations numériques (modèles CMIP5) en séparant les composantes individuelles du forçage climatique radiatif et en combinant les contributions des variations thermostériques du niveau de la mer (= dilatation des océans) avec perte de masse des glaciers et des inlandsis. Ils ont constaté que la cause naturelle du changement du niveau de la mer, incluant l’ajustement à long terme du niveau de la mer pour la période précédant 1900, a causé 67 ± 23% du changement observé entre 1900 et 1950, mais seulement 9 ± 18% entre 1970 et 2005. Le forçage anthropique a causé 15 ± 55% de la variation observée du niveau de la mer entre 1900 et 1950, mais 69 ± 31% entre 1970 et 2005. La somme de toutes les contributions n’explique que 74 ± 22% de la hausse du niveau de la mer moyen mondial observé au cours de la période 1900-2005, en considérant la moyenne des reconstructions de Church et White (2011), Ray et Douglas (2011), Jevrejeva et al. (2014b) et Hay et al. (2015). Cependant, le budget pourrait être bouclé en prenant la contribution des glaciers qui ne figurent pas dans l’inventaire mondial ou ont déjà fondu (Parkes et Marzeion, 2018) et qui n’ont pas été pris en compte dans Slangen et al. (2016). »

4. Un raisonnement circulaire?

Comme nous pouvons le lire au point précédent, le GIEC est virtuellement certain que l’essentiel de la hausse du niveau marin est d’origine anthropique. Mais attention, il pourrait s’agir d’un raisonnement circulaire, comme le suggérait J. Munshi en 2018[1].

Les auteurs du SROCC n’insistent en effet pas beaucoup sur la méthode employée pour arriver à cette conclusion. Clairement, les seuls éléments dont nous disposons sont bien entendu les mesures issues de marégraphes ou celles provenant des satellites, et ce que nous mesurons sont des hauteurs d’eau, des volumes de glace ou des températures d’eau de mer. Mais rien dans ces données ne nous donne la cause du réchauffement à la base de la montée des eaux. Pour savoir comment on arrive à la conclusion que le grand responsable est l’homme, il faut lire les 13 publications citées au point 4.2.2.5.2 du SROCC. Et c’est en les lisant que la lumière jaillit!

En réalité la conclusion provient de l’emploi de modèles numériques. Comme vous le savez peut-être, ces modèles sont composés d’une série d’équations et tiennent comptent de nombreux paramètres ajustables (rayonnement solaire, présence de nuages, surface de glace, concentration de ‘gaz à effet de serre’, sensibilité climatique au CO2, courants marins, etc.). Pour la plupart de ces modèles informatiques, toute augmentation de concentration en CO2 atmosphérique provoquera une hausse de la température moyenne globale de la troposphère, car ces modèles sont basés sur l’hypothèse de l’effet de serre telle que définie par le GIEC dans l’AR5. Bien entendu de nombreuses rétroactions sont prévues par les modèles pour modérer ou amplifier le réchauffement causé par le CO2.

Mais un modèle numérique ne représente pas la réalité, surtout s’il est basé sur des hypothèses! Il ne faut pas oublier ce fait indiscutable. La réalité est bien trop complexe pour être modélisée. L’atmosphère, qui n’est pas homogène, réagit au rayonnement  solaire, interagit avec les terres et les océans, ainsi que tous les écosystèmes, elle est soumise à la gravité et aux rayonnements ionisants en provenance de lointaines galaxies. Comme écrit dans l’AR5 par le GIEC lui-même, les processus microphysiques menant à la formation des nuages ne sont pas encore bien compris… Comment alors établir un modèle global? Il y a tellement de paramètres et la Terre est tellement vaste qu’il est impossible de modéliser correctement la biosphère, et ce à toutes les échelles (du microscopique au macroscopique). Et pour couronner le tout, l’atmosphère se comporte de manière chaotique (voir ici).

Les modèles informatiques sont utiles, ils font progresser nos connaissances, mais on ne peut pas dire que ce qu’ils produisent corresponde à la réalité! (voir ici). Ceci est d’ailleurs démontré lorsque les modèles informatiques sont comparés aux observations; voir par exemple le récent article de Santer et al. (2017)[2] publié dans Nature Geosciences, et dont l’un des co-auteurs n’est autre que Michael E. Mann, le père de la courbe en crosse de hockey. Un autre article, publié par Liu et al. (2018)[3] nous montre également que les modèles ne marchent pas bien pour reproduire la température du passé, comme pour l’Holocène (ce phénomène a été appelé « The Holocene Temperature Conundrum », conundrum voulant dire « casse-tête ou énigme). Tout ceci est également bien résumé dans une récente publication de Nicolas Scafetta (2019)[4].

Les personnes qui lisent un peu trop vite les rapports du GIEC oublient que l’effet de serre n’est qu’une hypothèse et qu’elle n’a jamais été testée en conditions réelles sur le terrain. Il n’est en effet pas possible de comparer, au même instant, deux planètes Terre semblables en tous points sauf dans leur concentration en CO2 atmosphérique… Pour plus de détails sur la théorie de l’effet de serre et ses problèmes voir ici. Les modèles informatiques sont donc basés sur une hypothèse qui pourrait finalement se révéler fausse… Le GIEC emploie donc des modèles informatiques qui se comportent comme on le leur a demandé, et c’est ici que le raisonnement circulaire intervient. Les modèles proposent un réchauffement quand le CO2 croît, sans être certain que ce phénomène corresponde à la réalité (voir aussi ici et ici).

5. Conclusions
  • Le niveau des océans monte, oui c’est certain. Mais nous avons seulement gagné 16 cm en 108 ans, entre 1902 et 2010, selon les marégraphes. Si cela continue à ce rythme l’espèce humaine devrait pouvoir s’y adapter…
  • Il existe bien une accélération de la montée du niveau marin, mais elle est très légère et assez difficile à mesurer car pour les marégraphes on arrive à un chiffre de maximum 0.019 mm/an. Cela correspond à 19 micromètres (μm) par an, soit 19 bactéries à la queue-leu-leu… Et la fourchette donnée par le GIEC va de –0,002 à +0,019 mm/an, donc en moyenne l’accélération est encore plus faible…
  • Quant à la cause de la montée des eaux restons prudents. Lorsque les scientifiques du GIEC nous disent qu’ils sont virtuellement certains que la montée des eaux est causée par l’homme, il faut prendre le « virtuellement certain » au sens strict: c’est dans un monde virtuel, celui des ordinateurs, qu’on en est certain. Dans le monde réel, c’est une autre paire de manches!
Références

[1] Munshi, Jamal, Circular Reasoning in Climate Change Research (February 26, 2018). Available at SSRN: https://ssrn.com/abstract=3130131 or http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.3130131

[2] Santer BD, et al. (2017) Causes of differences in model and satellite tropospheric warming rates. Nature Geosciences 10:478–485.

[3] Liu Y et al. (2018) A possible role of dust in resolving the Holocene temperature conundrum. Scientific Reports  8:4434.

[4] Scafetta N (2019) On the reliability of computer-based climate models. Italian Journal of Engineering Geology and Environment 1:49–70.

6 réflexions sur « Le GIEC en est virtuellement certain… »

    1. Merci pour votre question. Le GIEC évoque ces phénomènes dans sont rapport et donne des références. Par exemple à la page 526 au point 4.2.1.5. (Processus Géodynamiques). Mais ces processus auraient plutôt un effet local. Ils peuvent parfois faire descendre le niveau relatif des océans et parfois le faire monter. Ils ne sont donc pas repris dans la liste des causes principales (Table 4.1).

      1. Si le niveau de la mer monte régulièrement depuis 10 000 ans (maximum holocène) alors que globalement la température de la terre baisse c’est bien à cause du réajustement isostatique ; si ce relèvement du niveau de la mer s’accélère depuis l’installation de marégraphes ou de satellites c’est bien à cause du réchauffement climatique , mais quel % est lié aux GES

        1. @fritz : pour éclairer les béotiens que (je, peut-être nous) sommes, en invoquant par deux fois le réel « réajustement isostatique » c-à-d lié à un rebond d’élévation terrestre post-glaciaire… [1] il serait intéressant que vous documentiez en plus de détails ce mécanisme et hypothèses quant à son ampleur évaluée (avec qq. références) ?

          De même, s’il est confirmé de découvertes récentes [2] une thèse antérieurement connue d’existence potentielle d’immense réserves d’eau douce sous l’Atlantique (ici East Coast USA), quelles seraient vos sources d’autres apports importants quantifiés, mais largement méconnus à ce jour ?

          Enfin, accomplissant un retour à l’article récent de la professeure – océanographe française – dont je ne retrouve pas ici la réf. SCE, comment chiffreriez-vous l’action RCA et GES sur ces hausses respectives océans ET terres environnantes (mesures relatives VS absolues des satellites récents) ?
          Sorry, j’ai cherché, sans trouver d’articles très probants. Merci.

          [1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Rebond_post-glaciaire
          [2] A Massive Freshwater Sea Is Buried Beneath the Atlantic Ocean
          By Laura Geggel June 24, 2019 https://www.livescience.com/65779-giant-freshwater-aquifer-east-coast.html

  1. Merci pour ce post. C’est assez vicieux effectivement ce raisonnement circulaire, il fallait le voir.
    Par ailleurs, effectivement la lecture de ce rapport est affreusement lourde, avec par exemple sur les cyclones des phrases ou des passages qui se contredisent à cause d’une petite parenthèse !

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