Puissances en jeu dans le système Terre/atmosphère (2/3)

par J.C. Maurin, Professeur agrégé de physique

Flux sortants de l’atmosphère  

La première partie de l’article (ici) a exploré le bilan énergétique entre flux entrants et flux sortants, ainsi que les caractéristiques du flux solaire entrant. Cette deuxième partie présente les ordres de grandeur pour les rayonnements qui sortent de l’atmosphère : à savoir le flux infrarouge émis par le système Terre/atmosphère et la partie réfléchie du flux solaire. Ces 2 flux ont-ils varié depuis 1980?

1. Introduction.

Depuis 1980, on mesure, au-dessus de l’atmosphère (TOA = Top of Atmosphère), les flux énergétiques [1] du système Terre/atmosphère.

Figure 1. Les flux énergétiques au-dessus de l’atmosphère (TOA = Top of Atmosphère ≈ 100 km). Le flux sortant est séparé en 2 composantes suivant la longueur d’onde: flux IR [2] émis par le système Terre/atmosphère (OLR) pour λ > 4 µm (LW = LongWave) et flux solaire réfléchi (RSF) [3] pour λ < 4 µm (SW = ShortWave), flux lié à la couverture nuageuse [4]. Les flux instantanés sont les plus élevés côté jour, dans la zone 30S-30N.

2.  Rayonnement IR. 

Le flux infrarouge (OLR = Outgoing Longwave Radiation) est mesuré depuis 1979 à l’aide de satellites équipés de radiomètres [2].  Par exemple, CERES/ERBE (ici) utilise un radiomètre à trois canaux : 0,3-5 µm (SW), 0,3-200 µm (TOT) et 8-12 µm (WN, désormais remplacé par un canal LW  5-35 µm). On peut ainsi séparer, suivant la longueur d’onde, le flux sortant IR (OLR) et le flux ondes courtes = SW, interprété comme solaire réfléchi (RSF). L’incertitude (ici) proprement instrumentale doit être majorée à cause des nombreuses corrections/modélisations (ici ou ).

2.1. Le rayonnement IR sortant est surtout émis dans l’atmosphère tropicale.

Le rayonnement IR sortant dépend de la position géographique, du moment de la journée et de la saison. La figure ci-dessous illustre la moyenne des observations + modélisations/ corrections sur plusieurs années.

Figure 2a. Rayonnement ORL moyen sur 16 ans  (Mean all sky CERES OLR 2001-2017) d’après fig 1 ici.

Notons que les zones tropicales concentrent l’essentiel des émissions IR et que les zones fortement émettrices sont peu corrélées avec les limites des continents. L’émission infra-rouge se produit donc principalement dans l’atmosphère, entre les latitudes 30S et 30N, zone correspondant à 50% de la surface du globe.

2.2  Le rayonnement IR sortant est variable dans l’année.

Cette animation illustre les variations du rayonnement IR, mois par mois, sur plusieurs années, et permet d’observer l’influence de la distance Terre/Soleil ainsi que le balancement des saisons. La figure 2b ci-dessous compare les effets saisonniers pour le flux solaire entrant et le flux IR sortant.

Figure 2b. Les flux réels reçus (solaire en bleu) et émis (IR en rouge) par le système Terre/atmosphère entre 2003 et 2006 [5]  (sources ici et ici). La courbe bleue donne les mesures brutes (non corrigées pour 1 UA) du flux solaire entrant. La courbe bleu foncé correspond à la TSI : les mesures brutes sont corrigées pour obtenir une valeur théorique à 1 UA du Soleil.
  • On remarque l’opposition de phase entre flux IR sortant (en rouge) et flux solaire incident (en bleu). En janvier, l’OLR est minimal (ici fig.4a) alors que le flux solaire est maximal, l’inverse se produit en juillet.
  • Entre 2003 et 2006, début janvier (périhélie), le flux solaire réel est proche de 1406 W/m² ; début juillet (aphélie), il est proche de 1316 W/m², soit une variation de 90 / 1361 = 6,6% ou  ± 3,3%. Les variations relatives du flux IR (246-237)/241 ≈ 3,7 % ou ± 1,9% sont plus faibles que celles du flux solaire. En 6 mois, les puissances globales instantanées varient (en opposition) de ≈ 11,5 PW (P = Péta = 1015) pour le flux solaire entrant et ≈ 4 PW pour le flux IR sortant.
  • Non représenté ici, le flux solaire réfléchi RSF (voir figure 3c) est en phase avec le flux solaire entrant: maximal en janvier et minimal en juillet.

2.3. Le rayonnement IR sortant est en croissance.

Plusieurs institutions fournissent les données après traitements/corrections. La figure ci-dessous illustre l’évolution de ce flux infrarouge depuis 1980.

Figure 2c. Le rayonnement IR sortant est en croissance au cours des 4 décennies de mesures [5] (source NOAA/UMD , voir aussi ici ).   En haut : OLR mensuel (W/m²) entre 1980 et 2020, en bas : OLR min, max, moyen annuel.
  • On retient pour l‘article la moyenne sur 40 ans (≈ 239 W/m² ± 2,5 W/m²) correspondant à la puissance totale IR sortante 122 PW ± 1,3 PW  (P = Péta = 1015).
  • En comparant la moyenne 1979-1983  versus moyenne 2015-2019  [5], on trouve une croissance relative de (241-237,7) / 237,7 = + 1,4% . Cette croissance correspond à une puissance supplémentaire (241-237,7) * 5,12 1014 = 1,68 1015 W ≈ + 1,7 PW, supérieure à la marge d’incertitude de ± 1,3 PW.
  • Cette croissance (+ 1,7 PW soit + 1,4%) du rayonnement infrarouge sortant est moins médiatisée par le GIEC ou l’OMM que la croissance des indicateurs de température UAH ou RSS (+0,6 K soit + 0,2%).
    Peut-être faut-il éviter de troubler l’opinion publique avec ce nouveau mystère de « l’effet de serre » : plus il y a de CO2 et plus le rayonnement infrarouge s’échappe vers le vide spatial.


3. Rayonnement solaire réfléchi.

3.1. Albédo moyen

La fraction de l’énergie solaire entrante réfléchie par le système Terre/atmosphère vers l’espace est appelée albédo planétaire. L’albédo est donc calculé à partir des ondes courtes (SW) analogues au spectre solaire. L’albédo, variable dans l’année (animation ici), dépend surtout de l’atmosphère (aérosols et vapeur d’eau). La figure ci-dessous illustre l’albédo moyen annuel.

Figure 3a. Mean annual total sky albedo  CERES-Aqua 2003-2004 (ici). L’albédo moyen annuel ≈ 0,27 à 0,32  (selon Nasa, albédo = 0,306). Entre un albédo moyen de 30% ou de 31%, l’écart de puissance, pour le rayonnement solaire réfléchi, correspond à ≈ 1,7 PW. 

L’albédo indique seulement le rapport entre flux solaire entrant et flux réfléchi: le flux réfléchi (W/m²) dépend donc de la valeur du flux solaire entrant. Le paragraphe suivant présente ce flux réfléchi [3].

3.2. Flux solaire réfléchi moyen.

La couverture nuageuse est la source de la majorité du flux solaire réfléchi (désigné indifféremment par RSF, RSR, flux SW avec λ < 4 µm). La figure ci-dessous donne la moyenne des mesures + modélisations/corrections sur une décennie.

Figure 3b. Reflected Solar Flux en moyenne décennale selon CERES (ici).
La moyenne sur 10 ans, varie, selon la zone géographique, entre 50 et 175 W/m².

3.3.  La variabilité saisonnière : une contre-réaction.

Début janvier, la Terre est proche du Soleil et le flux solaire entrant est maximal. Il en est de même pour sa part réfléchie dont la variation saisonnière est illustrée par la figure ci-dessous.

Figure 3c. Variation saisonnière 2000-2017 du flux solaire réfléchi RSF = flux SW (selon CERES).

Entre 2000 et 2017, le flux réfléchi est maximal en janvier (≈ 109 W/m² soit 56 PW), il est minimal en juillet (≈ 93 W/m² soit 48 PW). La variation relative est de ± 7,5%  alors que le flux solaire entrant (en phase avec RSF) varie seulement de ± 3,3 %. Il existe donc aussi une variation annuelle de l’albédo, ce qui constitue une contre-réaction à la variation du flux solaire entrant (ici fig. 5d).

Grâce à cette variation d’albédo (couverture neigeuse + couverture nuageuse), le flux solaire net  = [flux solaire entrant – flux solaire réfléchi] est peu variable. En 6 mois, la variation de puissance du flux solaire entrant est ≈ 11,5 PW alors que la puissance pour le flux solaire net varie seulement de ≈ 4 PW (≈ 8 PW si albédo constant ou pas de contre-réaction). La puissance mise en jeu dans cette contre-réaction naturelle (8 – 4 = 4 PW) est supérieure à celle de l’« effet de serre/forçage radiatif » (≈ 1 PW), hypothèse défendue par le GIEC ou l’OMM.


3.4. Influence de la couverture nuageuse.

La figure ci-dessous illustre la corrélation entre le flux solaire réfléchi (flux SW) et la couverture nuageuse.

Figure 3d. Anomalie désaisonnalisée du flux SW à la TOA versus couverture nuageuse (selon fig 16 ici). La corrélation flux SW/couverture nuageuse est excellente dans la zone tropicale, zone où le flux SW est le plus élevé.
  • Le flux solaire réfléchi est influencé par la couverture nuageuse tropicale que l’on ne sait pas prévoir pour les prochaines décennies. Il y a là une difficulté majeure pour des prévisions scientifiques sur le climat.
  • On suspecte des influences indirectes sur l’albédo: la partie UV du spectre solaire (ici) ainsi que le flux de particules extraterrestres (ici §4) pourraient modifier la couverture nuageuse et donc le flux solaire réfléchi.

L’incertitude sur la mesure de RSF (ici) est affectée par les nombreuses corrections + modélisations utilisées. Aucun instrument n’a effectué de mesures en continu pendant 40 ans et les modélisations/corrections dépendent de la compréhension de la couverture nuageuse. L’article retient, pour la moyenne pluriannuelle, un flux solaire réfléchi (RSF) de 101,5 ± 3 W/m² correspondant à la puissance globale P ≈ 52 PW ± 1,5 PW.

4. Puissances globales moyennes au-dessus de l’atmosphère. 

L’article adopte les valeurs moyennes suivantes: TSI = 1361 W/m² (341 W/m²); RSF = 101,5 W/m² ; OLR = 239 W/m². Pour comparaison, l’AR5 à la figure 2.11 propose : incoming solar  340 W/m², solar reflected 100 W/m², Thermal outgoing  239 W/m² ; tandis que Dewitte et Clerbaux (2017)  proposent : TSI = 1362  W/m²  (340,5 W/m²), Albédo = 0,298 soit RSF=101,6 W/m², OLR=238 W/m².

Le schéma ci-dessous illustre les puissances globales (moyennes pluriannuelles), pour l’ensemble du système Terre/atmosphère.

Figure 4a. Les puissances moyennes globales au-dessus de l’atmosphère.
Les valeurs entre crochets donnent les extrêmes pour les puissances instantanées : en juillet, le maximum pour l’IR correspond à un minimum pour le flux solaire entrant et le flux solaire réfléchi ; l’inverse se produit en janvier lorsque la Terre est proche du Soleil.
  • En 40 ans, la variation (hausse? baisse?) de la puissance solaire semble inférieure à 0,2 PW (ici § 2,2), et on semble proche de l’équilibre (à 0,2 PW) entre flux entrant et sortants (ici § 1,3). Dans ces conditions, la hausse du flux IR sortant (+ 1,7 PW selon NOAA/UMD) devrait être compensée par une légère baisse du flux solaire réfléchi.
  • Ce sens probable (voir ici) des variations est indiqué à la figure 4a et la figure ci-dessous illustre les évolutions opposées des flux sortants.
Figure 4b. Variations 2000-2016 des flux sortants (selon fig 9 ici) : légère baisse pour le flux solaire réfléchi (SW = RSF), légère hausse pour le flux IR (LW = OLR).

5. Conclusions.

  • Depuis 40 ans, les mesures par satellites ont amélioré la connaissance des flux énergétiques au-dessus de l’atmosphère. Néanmoins, la précision est insuffisante pour mettre directement en évidence un éventuel déséquilibre (sur le long terme) pour la puissance entre le flux solaire entrant ≈ 174 PW et les flux sortants ≈ 122 PW + 52 PW (1 PW = 1015 W). 
  • Elaborées à partir de mesures brutes sur plusieurs instruments satellitaires, les estimations des flux sortants sont très dépendantes de multiples corrections et modélisations concernant la distribution angulaire et l’heure locale.
  • Il est particulièrement difficile de prévoir l’évolution à long terme du flux solaire réfléchi, lié à la couverture nuageuse. Un simple changement de 1% sur l’albédo correspond à une modification ≈ 1,7 PW pour la puissance solaire réfléchie.
  • Plus généralement, aucun des 3 flux (solaire entrant, solaire réfléchi, infra-rouge sortant) ne dispose actuellement d’un modèle confirmé, permettant d’anticiper leur valeur. La prévision scientifique du climat reste donc, à ce jour, un projet très optimiste voire hasardeux.
  • En 6 mois, la variation de la distance Terre-Soleil entraîne un changement ≈ 11,5 PW pour la puissance solaire entrante, mais le système Terre/atmosphère est capable de s’adapter naturellement pour compenser partiellement ce changement de puissance.
  • Grâce à la couverture nuageuse, un léger rééquilibrage des 2 flux sortants s’est peut-être produit en 40 ans : une faible hausse du flux IR aurait été en partie compensée par une faible baisse du flux solaire réfléchi.
  • Sur 4 décennies, l’augmentation simultanée du flux infrarouge sortant et du CO2 atmosphérique peut susciter des interrogations. La notion d’« effet de serre », si chère aux organismes intergouvernementaux, serait-elle comparable à la notion d’éther dans la physique du XIX e siècle ou même à l’impetus dans la physique médiévale?
     

La dernière partie de l’article complètera le schéma de la figure 4a avec des estimations pour les puissances en jeu dans l’atmosphère. Une discussion sur l’attribution d’un éventuel déséquilibre entre flux entrant et sortants sera proposée.

Références

[1] BILAN
Dewitte et Clerbaux (2017)   https://gerb.oma.be/people/gerb/remotesensing-09-01143-v2.pdf
CERES   https://ep3vztogsj3zdd6p6fxpuoxcry–ceres-larc-nasa-gov.translate.goog/#ceres-carousel
NASA/CERAS  Earth’s Energy Budget https://ep3vztogsj3zdd6p6fxpuoxcry–ceres-larc-nasa-gov.translate.goog/science/#earths-energy-budget
The_global_radiative_energy_budget_in_MERRA
Dewitte, Clerbaux, Cornelis  (2019)   Decadal Changes of the Reflected Solar Radiation and the Earth Energy Imbalance
Remote sensing of earth’s energy budget: synthesis and review    https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/17538947.2019.1597189

[2] OLR
The Climate Monitoring SAF Outgoing LongwaveRadiation from AVHRR  https://www.mdpi.com/2072-4292/12/6/929    
https://climexp.knmi.nl/select.cgi?umd_olr
https://www.ncdc.noaa.gov/cdr/atmospheric/outgoing-longwave-radiation-daily
http://olr.umd.edu/
https://giovanni.gsfc.nasa.gov/giovanni/
https://data.nodc.noaa.gov/cgi-bin/iso?id=gov.noaa.ncdc:C00875
https://psl.noaa.gov/cgi-bin/data/timeseries/timeseries1.pl
https://journals.ametsoc.org/view/journals/atot/28/1/2010jtecha1521_1.xml
https://ceres.larc.nasa.gov/instruments/
https://www.mdpi.com/2072-4292/10/10/1539

[3] Albédo/RSF
The albédo of Earth  https://doi.org/10.1002/2014RG000449
https://earthobservatory.nasa.gov/images/84499/measuring-earths-albedo
http://www.globalbedo.org/index.php
https://svs.gsfc.nasa.gov/30604#
https://giovanni.gsfc.nasa.gov/giovanni/
http://research.iac.es/galeria/epalle//reprints/Palle_etal_Science_2004.pdf
https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2016GL068025
https://www.researchgate.net/publication/271590174_The_Albedo_of_Earth
https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1029/2006GL028196
https://www.mdpi.com/2072-4292/11/24/2919/pdf
https://agupubs.onlinelibrary.wiley.com/doi/full/10.1002/2014RG000449
The Observed Hemispheric Symmetry in Reflected Shortwave Irradiance  
Uncertaintie in CERES Top-of-Atmosphere Fluxes Caused by Changes in Accompanying Imager  

[4]  Couverture nuageuse
NASA Earth Observations Cloud fraction
https://journals.ametsoc.org/view/journals/clim/31/2/jcli-d-17-0208.1.xml

[5]  La feuille de calcul Puissances en jeu_2.xls  met en forme les données d’observation.

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