Emmanuel Le Roy Ladurie A (re)lire absolument…

par Prof. dr Alain Préat, Université Libre de Bruxelles

 

S’il est un livre, et un des premiers, à s’être penché de manière aussi détaillée sur l’évolution (récente) du climat, c’est celui d’Emmanuel Le Roy Ladurie ‘Histoire du climat depuis l’an mil’, publié en 1967, et toujours disponible en livre de poche (deux volumes, ici).

Rappelons cependant le livre précurseur de Joseph-Jean-Nicolas Fuster publié en 1845 et récemment analysé ici même à SCE (et toujours disponible, voir ici).

 

1/ Introduction

A lire ou relire ce livre de 366 pages (Figure 1), on ne peut qu’être stupéfié par l’analyse rigoureuse qui met en évidence la variabilité naturelle du climat aux échelles pluriséculaire et décennale, qui décortique et privilégie  avec finesse le caractère local du climat par rapport à un climat global et fournit à partir d’indicateurs fiables des fourchettes de températures pour les variations climatiques observées à l’échelle pluriséculaire.

 

                       Figure 1. Histoire du climat depuis l’an mil, Flammarion, publié en 1967

Avant d’aborder ce sujet en détail, il semble qu’aucun modèle sorti des ‘computers’ (GIEC) n’ait été jusqu’à présent capable de rendre compte des évolutions rapportées dans le livre d’ Emmanuel Le Roy Ladurie, ces modèles se prétendent ‘globaux’, contrairement à la conclusion du livre en question qui insiste particulièrement sur le caractère local des climats. Enfin il s’agit d’un livre de 366 pages bien illustré (photographies, cartes et graphiques) dans lequel il n’est pas mentionné une seule fois ‘le poison’ des temps modernes, à savoir le CO2. L’auteur, en 1967 (faut-il le rappeler …), propose ou explore quand  même des pistes pour rendre compte de la succession d’épisodes ‘froids’ et ‘chauds’, tout au long de ces 1000 années d’histoire, qui en fait  débutent il y a 3500 ans (mais pour ces temps historiques plus reculés, les données fiables sont moins nombreuses).

 

2/ Alors que dit Emmanuel Le Roy Ladurie ?

2.1. Les méthodes

Mentionnons d’abord la méthode suivie, c’est-à-dire les indicateurs ou ‘proxies’ utilisés. Ces indicateurs sont nombreux et dépendent en partie des périodes concernées, on y trouve de très nombreux comptes rendus historiques (documents municipaux et ecclésiastiques, rapports judiciaires des 17ème et 18ème siècles, etc.), la phénologie ou vendémiologie (date des vendanges), la date des moissons, la dendrochronologie (modes croissance des arbres), la composition des forêts (hêtres, noisetiers, aulnes, tilleuls…),  la palynologie, parfois la pluviométrie, la sécheresse, la datation de sédiment dont ceux des tourbières (carbone 14), les taches solaires, les aurores boréales, la succession (accumulation, divagation et ablation) des moraines et des langues glaciaires et l’archéologie (y compris la pédologie). Enfin pour la période plus récente, les relevés thermométriques sont utilisés. La région investiguée concerne l’Europe du Nord (surtout les Alpes) et l’Amérique du Nord (États-Unis et Canada). Ces méthodes lui permettent ainsi de reconstituer une histoire quantitative du climat depuis le 16ème siècle, illustrée sous forme de différents tableaux et d’un ‘dépliant’ hors-texte.

Le sujet est abordé de la manière la plus complète qui soit, chacune des méthodes est discutée, et parfois le lien ou ‘corrélation’ entre différentes méthodes est tenté avec par exemple un excellent résultat entre dates de vendanges et courbe thermique donnant lieu à un diagramme précis de la fluctuation des températures de 1600 à 1790 à partir des Alpes, de la Forêt Noire et du Massif Central. Par contre d’autres méthodes sont manifestement à prendre avec des ‘pincettes’, par exemple la dendrochronologie. Voici, sur ce dernier point, la conclusion de l’auteur après un examen détaillé, notamment repris de l’étude des arbres d’Arizona (séquoias, sapin de Douglas, pin Ponderosa, pin Bristelcone etc.), sur les périodes 600-1950 : « Il faut donc cesser de demander aux courbes de croissance des arbres des renseignements sur une loi universelle d’évolution cyclique du climat ». C’est également la conclusion du géographe J.C. Flageollet (2010), professeur de l’Université Louis Pasteur de Strasbourg. Pour rappel une grande partie de ces arbres a servi à l’établissement de la fameuse courbe en forme de hockey ou courbe de Mann et al. (1998) du GIEC. En effet ces arbres ne pouvaient – et ne peuvent- convenir car ils n’enregistrent pas la température sensu stricto, la largeur des anneaux de croissance dépendant des conditions d’humidité liées aux précipitations, et donc du lieu (voir par exemple ici). L’auteur s’intéresse aussi à la fluctuation du prix (et de la production) des denrées alimentaires  (céréales surtout), mais se garde bien d’en tirer trop de conclusions car ce paramètre dépend aussi des pratiques agricoles diverses, déjà présentes en ces temps historiques reculés.

Voyons ce que l’étude de dendrochronologie, utilisée avec précaution, a fini par apporter pour l’Ouest des Etats-Unis : la première conclusion est celle-ci : « c’est la stabilité générale du climat dans le dernier millénaire, et en fait depuis 2000 ans au moins ». La seconde conclusion « concerne l’existence d’assez larges fluctuations météorologiques, ici pluviométriques. Pendant des périodes qui peuvent atteindre 20 ou 30 ans, et parfois même un siècle, la courbe s’écarte notablement de la position moyenne… la plus importante de ces fluctuations (de sécheresse ou d’humidité prolongées) se situe autour des années 1300… il y aurait eu un 13ème siècle aride, un 14éme siècle humide’. Cette sécheresse, longue d’un siècle fait suite à celle très sévère des années 1200 et  fut plus prononcée que celle de la fin du 16ème siècle et que celle des années 1900 et 1934 (illustrée par les Raisins de la colère de J. Steinbeck).

Ceci fixe le cadre général, mais l’analyse détaillée de ces différentes périodes de sécheresse est un avertissement pour les études actuelles, reprenant un auteur américain (Schulman, 1951, 1956) : ‘il y a d’importantes nuances régionales dans la répartition de cette sécheresse, très forte en Californie [1571-1597, et jamais égalée de 1450 et 1950, date de l’étude], intense dans le Colorado [1573-1593], peu prononcée dans le Nord [1565-1599]…’. Ainsi pour Emmanuel Le Roy Ladurieune telle différenciation géographique a son importance et revêt une portée générale : il est tout à fait vain d’étendre abusivement et absolument aux régions tempérées humides les conclusions valables pour les zones arides’. A méditer aujourd’hui en ces temps de globalisation à outrance ? D’ailleurs l’étude d’arbres très âgés d’Europe nordique montre que ‘le dernier millénaire a mis en évidence non pas tellement une oscillation séculaire, mais des successions intra-décennales, ou décennales ou inter-décennales, qui groupent tantôt des étés chauds, tantôt frais dans leur majorité’. Ces successions ne sont pas synchrones par rapport à leurs homologues américaines.

2.2. Les résultats

Après ce détour par l’Ouest américain aride, venons-en au cœur du livre consacré à nos régions tempérées et humides depuis l’Angleterre à l’Ukraine en passant par le Groenland et nos pays y compris le Portugal, l’Italie …. Reprenant les travaux de Aario (1945) et de Mayr (1964), cinq épisodes séculaires ou multiséculaires de même type que le ‘Petit Age Glaciaire’ (voir ci-dessous) sont identifiés. ‘Ces cinq épisodes se répartissent dans deux millénaires fort contrastés avec le premier millénaire avant J.C. occupé par deux longues poussées glaciaires, à peine séparées par un intervalle d’un siècle de retrait. Au contraire, au cours des deux derniers millénaires (de notre ère) … les intervalles chauds ou doux, de retrait, l’emportent nettement, en durée, sur les intervalles frais’.


Ces cinq épisodes majeurs des derniers 3500 ans (de – 2000 à aujourd’hui) se présentent comme suit suivant l’auteur 

  • -1400 à -1300 ans : maximum des glaciers alpins avec la langue terminale à 750 m en aval de son maximum de 1850;
  • -900 à -300 ans : maxima des glaciers suivant deux poussées successives dont chacune se prolonge pendant deux ou trois siècles, elles sont séparées par un intervalle de retrait qui dure un siècle et demi;
  • +400 à +750 ans : après un retrait intermédiaire [entre environ -250 et 400 ans = Optimum Climatique Romain avec la célèbre traversée des Alpes par Hannibal et ses éléphants], nouveau maximum glaciaire;
  • +1150 ?/+1200 à +1300/+1350 ans ? : brève poussée glaciaire;
  •  +1550/+1590 à  +1850 ans : nouveau maximum glaciaire.

Entre les périodes glaciaires s’intercalent des épisodes ‘doux’ ou chauds avec décrue, pour l’actuelle, des glaciers alpins dès 1860. Signalons également entre 750 et 1150 une période de retrait glaciaire initialement nommée ‘ Optimum Climatique ou Wärmezeit », aujourd’hui Optimum Climatique Médieval ou (OCM).  Il y aurait donc eu répétition d’au moins cinq cycles froids (= glaciers) de type 1550-1850 et chauds (= décrue) de type 1860-2000’ (le cycle actuel) au cours des 3500 dernières années.  Ces oscillations ou alternances ne sont pas régulières (en fait elles résultent de la somme -approximative- de plusieurs sinusoïdes de période différente, voir Scafetta, 2019 à la fin de l’article). Les périodes de poussées glaciaires durent environ 250 ans (entre 1590 et 1850 = Petit Age Glaciaire (ou PAG, voir plus loin), à peine  plus de 100 ans (1150-/1200 à 1300) ou plus de 300 ans (-900 à -300 ans). Inversement, les phases de retrait  et donc de climat doux ou chaud, peuvent atteindre 100 ans ou durer 300 à 400 ans, voir davantage. Concernant cette homogénéité temporelle l’auteur signale ‘que beaucoup de climatologistes pensent qu’en définitive toutes les oscillations du climat sont de même type, qu’elles soient annuelles, décennales, séculaires, millénaires… ou d’ordre de grandeur géologique’.

Quel est ou serait alors l’écart de température entre ces phases ou épisodes formant un ‘cycle’. Reprenant les travaux de Manley (1965) consacrés aux relevés thermométriques anglais sur 250 ans (il s’agit des seuls relevés complets disponibles en Europe, voir ci-dessous ces relevés complétés jusqu’en 2019, ce qui donne une continuité de 359 ans, Figure 2), ‘lécart observé en moyennes annuelles, des périodes les plus ‘fraîches’ aux plus récentes, atteindrait +1,6°C pour les périodes de 10 ans, 0,7°C pour les périodes de 40 ans, 0,4°C pour les périodes de 80 ans ou périodes quasi-séculaires’.

Figure 2. Série la plus complète (de 1660 à 2019) de relevés thermométriques existant à l’échelle mondiale  provenant d’un seul endroit situé en Angleterre.

 Et Emmanuel Le Roy Ladurie de conclure qu’il s’agit ‘d’écarts modestes que l’historien du climat doit considérer comme vraisemblables quant aux fluctuations enregistrées  lors des deux ou trois derniers millénaires…’.  Notons que depuis 1850, soit depuis près de deux siècles (exactement 170 ans de 1850 à 2020), l’augmentation de la température moyenne globale (pour autant qu’elle ait une signification, voir ici et ici) est inférieure à 1°C  (près de  0,9°C in  Scafetta, 2019) restant dans les ‘normes’ historiques. Ces dernières ne sont bien entendu pas connues sensu stricto (en fait elles ne sont pas connues du tout !) vu d’une part le manque de  données, notons que les valeurs rapportées par Emmanuel Le Roy Ladurie à partir des travaux de Manley 1965 ne concernent qu’un seul endroit d’une seul pays de la planète (Figure 2), et d’autre part par le bien-fondé même d’une ‘température moyenne globale’ (comme déjà discuté dans SCE, voir-ci-dessus les liens).

Ces écarts de température font l’objet d’une attention très particulière de l’auteur, qui analyse l’OCM en soulignant d’abord son caractère mondial (outre l’hémisphère nord, il est repéré aux latitudes équatoriales en Colombie et dans l’hémisphère sud en Nouvelle-Zélande). Depuis lors il a été reconnu dans de nombreuses régions africaines de l’hémisphère sud (par exemple ici en 2019). En se basant notamment sur des analyses palynologiques (noisetiers…) l’auteur conclut ‘prudemment’ ’qu’un écart thermique nettement supérieur à 2°C ou davantage, n’est pas nécessaire pour expliquer les caractères originaux de la période tiède de l’an mil.

Cette période de retrait glaciaire est surtout marquée pas d’assez fortes sécheresses, résultant d’une pluviosité défaillante et d’une forte évaporation. Finalement ‘le maximum de chaleur se situe entre 5000 et 3000 ans avant J.C. (= Optimum Climatique Holocène), avec végétation ‘optimale’ et glaciers très réduits’.

Vient ensuite chronologiquement après l’OCM, le ‘Petit Age Glaciaire’  dont les premières manifestations apparaissent à la fin de 16ème siècle, précisément en 1588 dans les Alpes suisses où le glacier de Grindelwald défonce sa moraine terminale. Dès lors la fin de la décennie et les trois siècles suivants verront les glaciers descendre de plus en plus bas dans les vallées avec tous les dégâts que cela suppose. Une chronologie des poussées glaciaires ‘agressives’ est établie à partir de nombreux documents historiques (dates des vendanges, datation des arbres fossiles pris sous les moraines, avancées morainiques et des modifications des topographies). Les maxima historiques des glaciers alpins se situent en 1599-1600 et entre 1640 et 1650. Dès 1660 un reflux modéré a lieu dans les Alpes témoignant d’une variabilité du climat à l’échelle décennale. Ces périodes d’avancées (‘crues glaciaires’) et de reflux sont la règle tout au long de ces siècles de période globalement plus froide. Ces reflux ‘sont également moindres que les reflux de notre époque plus chaude : par exemple le retrait alpin à la fin du 17ème siècle et à l’extrême début du 18ème siècle est limité à 500 m au plus au lieu de 1 à 2 km au 20ème siècle’. Il faut noter que ces oscillations présentent un caractère local  à l’échelle pluri-décennale (entre 25 et 50 ans) comme le montrent notamment les positions des langues glaciaires terminales (Llibourty, 1964). Pour ce dernier auteur, ce décalage serait plus le fait de facteurs météorologiques (locaux) que des caractéristiques intrinsèques des glaciers (temps de réaction, dimension, débit). Au final les phases paroxysmales des glaciers alpins (du Petit Age Glaciaire) se sont individualisées en 1660-1610, 1628, 1640-1650, 1676-1680 et 1716-1720 avec la plupart du temps des glaciers nettement plus importants qu’au 20ème siècle. Des périodes de décrue secondaire ont parfois lieu avec par exemple  200 à 300 m de retrait horizontal  à Chamonix en 1784-1790. La période paroxysmale des glaciers est autour de 1740-1750 pour l’hémisphère nord.

Le reflux commencera ensuite dès les années 1860-1870 et concerne tous les glaciers alpins : ‘l’ampleur du recul  est considérable, et pour la première fois depuis trois siècles un point de non retour est assez rapidement atteint’. La mer de Glace (Chamonix) recule de 150m en un an (1867-1868) et de 757m en dix ans (4 nov. 1868 – 27 sept. 1878) soit 76m par an.  La phase multiséculaire de crue glaciaire est donc terminée et inaugure la période actuelle.  Le réchauffement se marquera par des premières neiges plus tardives  et des dernières neiges plus précoces, traduisant le raccourcissement de la saison froide.

Pour visualiser ces oscillations voici une figure  (Figure 3) reprise dans Emmanuel Le Roy Ladurie (2007) retraçant l’histoire complexe des grands glaciers alpins du 16ème au 20ème siècle.

Figure 3.  La figure (Emmanuel Le Roy Ladurie , 2007) montre un recul modéré, vers 1547-1560, ensuite une première poussée glaciaire de 1595 à 1640-1650. Puis situation de ‘petit âge glaciaire’ depuis à peu près le milieu du 17ème siècle jusque 1814 (Petit Age Glaciaire sensu stricto), puis nouvelle poussée des grands glaciers alpins atteignant leurs positions maximales de 1815 à 1859-1860 (‘hyper Petit Age Glaciaire’ suivant la terminologie de l’auteur). Finalement recul  à partir de 1860 avec puissante régression de 1860 à 1880, et puis de 1930 à nos jours (ici 1992) poursuite de la régression. Abscisse : échelle temporelle, Ordonnée : minima glaciaires (vers le bas) et maxima vers le haut.

La figure 3 montre que de nombreuses fluctuations ont eu lieu, l’auteur  en répertorie 11 (de durées comprises entre 16 et 60 ans) comprenant chacune deux séquences (de durées comprises entre 4 et 37 ans) auxquelles il a attribué un nom. Ce découpage est mentionné ici pour mémoire et a fait l’objet de critiques (par exemple ici). Il n’est plus suivi aujourd’hui, son seul mérite est d’avoir souligné la récurrence des fluctuations  l’échelle (pluri)-décennale.

2.3.  Les conséquences

 L’étude d’Emmanuel Le Roy Ladurie accorde une importance primordiale aux périodes ‘fraîches’ ou ‘froides’, correspondant à l’avancée des glaciers. Cette ‘asymétrie’ entre périodes froides et chaudes rend en définitive assez  compliqué la succession de ces épisodes pluriséculaires qui sont ‘calés’ sur les périodes froides (voir ci-dessus 2.2.) alors qu’aujourd’hui la littérature privilégie les épisodes ‘chauds’ qui conditionnent les analyses.

Pourquoi donc cette autre approche de la succession des épisodes chez Emmanuel Le Roy Ladurie ? Simplement parce que son étude est basée sur des documents historiques et que ceux-ci relaient sans cesse des événements ‘catastrophiques’ liés à l’avancée des glaciers qui détruisent de nombreuses maisons, des zones de cultures, parfois des villages entiers. Ces avancées de glaciers étaient donc une menace permanente pour les habitants qui organisaient régulièrement des processions avec un représentant de l’église afin de  conjurer le sort. Ainsi en juin 1644  une procession et bénédiction près de Chamonix  regroupant environ 300 personnes furent organisées suite à l’évolution dramatique du glacier des Bois … ‘et fort heureusement après la bénédiction épiscopale la menace paraît s’éloigner….’. A ces effets négatifs pour les habitants s’ajoutaient ceux des pénuries et destruction des biens alimentaires (céréales, vignobles …) dont les prix pouvaient s’envoler.  Un exemple parmi d’autres  témoignant de la froideur en ces périodes : ‘en 1468 on débitait le vin à la hache et les gens le transportaient en glaçons dans leurs chapeaux’ (Pédelaborde, 1957). Ainsi et d’une manière générale une certaine forme de ‘catastrophisme’ était associé aux longs épisodes froids, on faisait bien avec, il n’y avait pas tous les jours des médias pour en ‘rajouter’, une situation tout à fait à l’opposé de l’actuelle, période chaude, où le ‘catastrophisme’ est mis à toutes les sauces, puisqu’on nous annonce rien de moins que la fin du monde. Pour les paysans des périodes historiques froides il ne s’agissait certainement que de la fin des mois et rien de plus.

 3/ Discussion

Après cet inventaire factuel il est temps de dresser les interprétations qu’en donne l’auteur et éventuellement les confronter aux données et interprétations actuelles. Plusieurs phases glaciaires ont eu lieu au cours des quatre derniers millénaires avec des oscillations séculaires ou multiséculaires. Ne discutons pas ici les nombreuses subdivisions parfois contradictoires de cet intervalle et retenons que finalement le Petit Age Glaciaire couvrira la période 1660-1850. Pour l’auteur ‘en dépit  de fluctuations diverses…. le trend séculaire des températures moyennes, de 1590 à 1850 serait généralement demeuré … de 0,3°C à 1°C en -dessous du niveau contemporain’.  En prenant les relevés de température à Annecy et ‘en comparant -chiffres à chiffres-  les moyennes 1173-1842 et 1843-1913, on voit que les différences au profit de la seconde période sont assez faibles, de l’ordre de 0,5° à 1°C, il n’en faut pas plus pour mettre en déficit les budgets glaciaires’. Cette estimation faite par l’auteur est remarquablement en accord avec les études les plus récentes qui montrent que le Petit Age Glaciaire s’est développé avec des températures  de 1,0 à 1,5°C plus froides (par exemple ici)  par rapport à la période actuelle plus chaude.

Devant l’ensemble des faits climatologiques rapportés, Emmanuel Le Roy Ladurie ne peut, en tant qu’historien, en donner une interprétation  scientifique et estime qu’il faut s’en remettre à ‘un pur météorologiste’. Il s’en réfère alors à Pédelaborde (1957) et Shapiro (1962) qui mettent en avant ‘la circulation atmosphérique d’ensemble sur la répartition des masses d’air et du jet stream’. Emmanuel Le Roy Ladurie  tente aussi une corrélation entre périodes froides et chaudes à partir de l’activité solaire (taches solaires) et des perturbations magnétiques (aurores boréales). Ce sujet n’est pas approfondi et pour en venir à la période actuelle (réchauffement du 20ème siècle) l’auteur conclut ‘à une très lente montée de l’indice d’activité solaire depuis 1900-1920’. Parmi d’autres processus, l’auteur considère l’impact du réchauffement sur les océans dont le volume peut s’accroître.  Mais assez rapidement il reconnaît que cette vue mène à une impasse car il ne lui est pas possible de distinguer la variation absolue du niveau marin (à partir des données marégrahiques) des phénomènes glacio-eustatiques  (qui provoquent des variations relatives) induits par la tectonique, par exemple la subsidence. Force est de reconnaître que l’auteur n’a pas de ‘théorie’ pour rendre compte de l’ensemble de ses conclusions basées sur les observations ? De même pour P. Ascot (2009), historien du climat et chercheur CNRS. Cependant cet auteur  insiste sur le fait que le CO2 suit l’augmentation de température et n’est sans doute pas le bon cheval à suivre… (on semble l’avoir oublié aujourd’hui !).

Arrivé à ce stade de l’analyse, nous voyons qu’Emmanuel Le Roy Ladurie, qui n’est pas scientifique -ce qu’il reconnaît volontiers- ne peut avancer dans l’interprétation des observations. Il terminera néanmoins en vérifiant si les fluctuations séculaires du climat pourraient être attribuées aux activités humaines ‘à tel épisode majeur de l’histoire des hommes’. Au vu des connaissances scientifiques du moment et aussi de sa formation d’historien, l’auteur conclut sans grande surprise qu’il n’est pas possible de l’établir ou d’écarter un lien entre activité humaine et fluctuations climatiques. Finalement à la suite de Pédelaborde (1957), Emmanuel Le Roy Ladurie estime que les fluctuations pluriséculaires sont liées à la circulation générale de l’atmosphère avec un flux d’ouest de la zone tempérée qui charrie entre le 40ème et 70ème parallèle vers l’est les particules d’air  ‘encerclant le globe comme un anneau’. Ce flux étant soumis à d’importantes variations commanderait l’évolution du climat en Europe ‘à toutes les échelles’, avec circulation complète induisant les  périodes de refroidissement et ‘circulation contractée’ pour les périodes de réchauffement. Emmanuel Le Roy Ladurie développe les détails de cette dynamique climatique conditionnée par une circulation zonale (‘les cyclones et anticyclones suivent une trajectoire Ouest-Est …’)  et une circulation méridienne (perpendiculaire à la précédente) opérant à long terme. Dans le premier cas il y  un refroidissement, dans le second un réchauffement.  ‘Ce schéma simplificateur ne vaut que pour nos régions…’.  Finalement pour cet auteur la climatologie dynamique est à même d’expliquer ‘le problème des relations soleil-circulation-climat-intempéries’ aussi bien pour aujourd’hui que pour le 12ème ou 17ème siècle.

 

4/ Que conclure de cette discussion ?

D’abord qu’Emmanuel Le Roy Ladurie ne fait appel qu’à des processus naturels (‘climatologie dynamique’) pour décrire (du moins essayer d’expliquer) les cycles climatiques aux différentes échelles. Ensuite il montre :

 

  • Que les phénomènes climatiques depuis près de 4000 ans sont les mêmes et présentent des ‘cyclicités à court terme’ (‘intra-séculaire’) de même ordre de grandeur tout au long de ces millénaires, mais qu’elles ne sont pas parfaitement périodiques ;
  • Que les périodes de refroidissement et  de réchauffement sont de longue durée à l’échelle humaine, à savoir plusieurs siècles ;
  • Que les écarts thermiques entre ces périodes sont faibles, voisins de 1°C ;
  • Que ces fluctuations ne sont pas synchrones à l’échelle pluri-décennale et que l’évolution du climat présente un aspect local indéniable ;
  • Que les effets négatifs pour nos activités sont plus importants en périodes de refroidissement important ;
  • Que nous sommes dans une période de réchauffement depuis 1860 et qu’elle pourrait durer plusieurs siècles (à moins que le hiatus actuel ne corresponde à un maximum sur la courbe de cyclicité comme suggéré par Mao et al. , 2019, et aussi par exemple ici et ici).

 

Au vu de ces caractéristiques (valables a minima pour nos régions, sinon pour l’hémisphère nord), on peut conclure sur le caractère local ou régional des fluctuations climatiques (échelle pluri-décennale) qui furent la règle sur plusieurs milliers d’années et qui devraient continuer à être la règle aujourd’hui. Même si les causes de ces fluctuations ne sont pas fondamentalement comprises il faut rester prudent dans l’interprétation du GIEC basée en grande partie sur le ‘bouton CO2’. De plus la référence constante des organismes climatiques officiels   (voir ci-dessus 2.2 , rapports et autres études) à une température moyenne globale est plus que probablement une mauvaise idée, la température étant une valeur intensive et non extensive, comme le suggèrent les reconstitutions de Emmanuel Le Roy Ladurie. Enfin nous avons montré ici à SCE l’importance du choix de la fenêtre temporelle pour tenter des extrapolations concernant l’évolution de cette ‘température moyenne globale’ (ici).

Où réside alors l’importance du travail de l’auteur. Tout simplement dans l’observation minutieuse des faits révélant aux échelles millénaire, (pluri)-séculaire, pluri- et intra-décennales une succession de périodes  de refroidissement et de réchauffement. Cette succession semble uniquement liée aux processus naturels affectant la planète, non compris à l’époque de cette étude, et toujours non compris à l’heure actuelle.

Il reste donc une fois de plus à rester prudent et ne pas mettre la charrue avant les bœufs…

5/ A-t-on réellement compris ce qui se passe ?  Probablement pas !

Avec le recul il est possible de mettre en doute l’explication des zones de circulation zonale et méridienne proposée par Emmanuel Le Roy Ladurie : en effet cet auteur rapporte ‘que de 1899 à 1948 la circulation méridienne a notablement diminué (in Dzerdzeevskii, 1961) alors que la circulation zonale se serait intensifiée. Ceci devrait amener une période de refroidissement à l’échelle pluri-décennale, ce qui n’a pas été montré a posteriori  puisque la ‘température moyenne globale’ enregistre un léger réchauffement encadré de deux légers  refroidissements de durées équivalentes (ici). Notons enfin que les hypothèses ou interprétations météorologiques proposées  par l’auteur furent établies lors d’une période où l’analyse par les satellites n’était pas encore développée.


Epilogue ?

Finalement Emmanuel Le Roy Ladurie s’est rallié en 2015 à l’hypothèse  ou ‘théorie’ de l’effet de serre (ici) :

« Pendant des décennies, il était impossible de dire à un collègue historien que l’on s’intéressait à l’histoire du climat… Mais, la situation a évolué depuis, la discipline s’est finalement peu à peu imposée. Par ailleurs, si je suis personnellement convaincu du rôle joué par le CO2 dans le réchauffement, j’estime que l’on n’a pas à exiger de quelqu’un qui s’intéresse à l’histoire du climat qu’il partage cette conviction ; je veux pouvoir éventuellement côtoyer des climato-sceptiques de façon à ce qu’il y ait un débat assez large. Nous devons naturellement être très respectueux des scientifiques qui sont considérés avec raison comme les plus importants. De leur côté, les scientifiques admettent volontiers aujourd’hui que les historiens apportent leur pierre à l’édifice. Et c’est heureux, car les scientifiques ignorent souvent ce qui s’est passé avant le XIXe siècle et ne savent pas le latin, ce qui est tout à fait indispensable quand on étudie le XIIIe siècle... »

 Parole pleine de sagesse ?


6/ Pour aller plus loin ?

Pour une personne bien informée, la climatologie est une science encore en développement, et  ses modèles, notamment ceux du GIEC, se révèlent très peu fiables. Tout scientifique ‘sérieux’ peut le constater par lui-même, la bibliographie est presque sans limite et SCE traite très régulièrement de ce sujet. Il n’est donc pas question dans cet article consacré au livre d’ Emmanuel Le Roy Ladurie de (re)prendre ce sujet. Mentionnons seulement ce graphique (Figure 4)  instructif très diffusé et commenté montrant l’important écart entre les prédictions des modèles du GIEC et les observations :

 

Figure 4. In A. Budbromley, 2017 : ‘Climate scientists admit their models are wrong’ .
Un graphique vaut souvent mieux que bien des discours….

Mentionnons quand même pour terminer les travaux de N. Scafetta de l’Université de Naples. Ce physicien qui a publié de nombreux articles dans des revues de haut rang (Earth Science Reviews, Global and Planetary Change etc.) vient de publier une étude en ‘open access’ dans Italian Journal of Engineering Geology and Environment (2019) qui démontre pourquoi les modèles du GIEC sont tous inadéquats, aucun n’est capable de mettre en évidence les fluctuations historiques (notamment celles rapportées par Emmanuel Le Roy Ladurie), tous ‘surchauffent’ (notamment car la valeur de la sensibilité climatique utilisée par le GIEC est trop élevée jusqu’à au moins un facteur cinq). Pour Scafetta, la physique de l’atmosphère n’est pas encore suffisamment connue pour se permettre des modélisations à coup d’ordinateurs, modélisations aboutissant à des résultats qui n’ont (plus) rien à voir avec les données d’observation comme illustré dans le graphique précédent. L’auteur propose un modèle semi-empirique basé sur les oscillations naturelles  liées à des paramètres astronomiques et aux forçages induits par le Soleil et la Lune.  Les périodes de fluctuations sont de 9,1-10,4-20-60-115-1000 ans.

Reste plus qu’à consulter cette étude pour se convaincre du bien-fondé ou non de la démarche de Scafetta (2019) … car la différence dans la reconstitution des températures (et donc du réchauffement) entre l’approche ‘GIEC’ et celle intégrant les phénomènes naturels est grande comme le montre aussi  la Figure 8 de Scafetta, 2019, reproduite ci-dessous (Figure 5).

 

Figure 5. Capture d’écran de la Figure 8 de Scafetta (2019) : On the reliability of computer-based climate models. IJEGE, 19, 49-70. En comparant les deux courbes on peut se demander si l’on parle de la même chose ! (RWP Roman Warm Period, DACP Dark Age Cold Period ou période froide post-romaine, MWP Medieval Warm Period, LIA Little Ice Age, CWP Current  Warm Period). Pour rappel la courbe A du haut, est la fameuse courbe en forme de hockey de Mann et al. 1998 du GIEC.

Finalement en n’importe quel point du globe et depuis longtemps, les températures fluctuent suivant des phases de réchauffement, de stagnation et de refroidissement, ces phases n’étant pas synchrones suivant les différentes zones géographiques (ici et ici). Cette situation est typique d’oscillations cycliques avec un comportement intermittent non parfaitement périodique (Masson, 2018).

En matière de climatologie, on voit (Figure 5) bien que le débat scientifique est loin d’être clos. A titre instructif on consultera cet article qui montre que lorsqu’une erreur est reconnue, elle n’est hélas pas répercutée dans les médias, qui avaient fait leurs gros titres avec la publication de l’article erroné.

 

 

Notes

Aario, L. 1945. Ein nachwärmrezezeitlicher Gletschervorstoss in Oberfernau. Acat geographica (revue finlandaise) (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Ascot, P. 2009. Histoire du climat. Perrin, collection Tempus.

Dzerdzeevskii, B.L. 1961. The general circulation of the atmosphere. New York, , A.S., vol. 95, art. 1,5 : 188-200 (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Flageollet, J.C. 2010. Le réchauffement climatique en Europe. Depuis quand, Pourquoi ? De Boeck.

Le Roy Ladurie, E. 1967. Histoire du climat depuis l’an mil. Flammarion, 366p., hors annexes.

Le Roy Ladurie, E. 2007. Trente-trois questions sur l’histoire du climat. Du Moyen-Age à nos jours. Arthème Fayard, collection Pluriel.

Lliboutry, L. 1964. Traité de Glaciologie, Paris, vol. 1 et vol. 2 (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Manley, G. 1965. Possible climatic agencies in the development of post-glacial habitats. Proceedings of the Royal Society, B, 161, 363-375 (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Mayr, F. 1964. Unterschungern über Ausmass und Folgen der Klima und Gletscherschwankungen seit dem Beginn der postglazialen Wärmzeit. Ausgewälte Beipiele aus den Stubaiaer Alpen in Tirol. Zeitschrift für Geomoprphologie (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Pédelaborde, P. 1953. La circulation sur l’Europe occidentale. Annales de géographie (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Pédelaborde, P. 1957. Le climat du Bassin parisien, Paris (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Shapiro, R. 1962. Circulation pattern. Communication dans les Proceedings d’Aspen, p.59 sq. (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Schulman, E. 1951. Tree-ring Indices of Rainfall, Temperatures and River Flow. Compendium of Meteorology. The American Meteorological Society, Boston (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

Schulman, E. 1956. Tree-ring and History in the Western United States. Smithonian Report for 1955, 459-473, Smithonian  Institute of Washington (in Emmanuel Le Roy Ladurie, 1967).

 

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