Alain Préat, Prof. Emérite, Université Libre de Bruxelles
et
Brigitte Van Vliet-Lanoë, Directeur de recherche CNRS,
Emérite, Brest, France
Fil conducteur : S’il est un sujet délicat à traiter, celui de l’augmentation du niveau marin en est bien un. Que de discordances entre les données fournies par les marégraphes et par les satellites, parfois même entre les données des satellites. L’article d’aujourd’hui veut attirer l’attention sur un aspect assez méconnu et souvent passé sous silence : il s’agit de la distinction entre niveau marin absolu et niveau marin relatif. Ce dernier présent aux échelles locales et régionales est principalement lié à la subsidence (affaissement) sédimentaire et tectonique et aux relèvements (élévations), le plus souvent tectoniques. Ne pas tenir compte de ces facteurs conduit à une interprétation erronée de l’évolution du niveau marin et du processus qui pilote cette évolution à toutes les échelles de temps.
1. Introduction
SCE (2018) a consacré un court article sur l’Archipel de Tuvalu, constitué de neuf atolls coralliens dans l’Océan Pacifique. Pour le GIEC, les médias…. cet archipel est un des symboles majeurs du changement climatique qui devrait mener à la disparition des atolls. Afin de frapper les imaginations sur fond de catastrophisme quasi-quotidien, le ministre Simon Kofe, représentant des Tuvalu, parla de manière théâtrale pour la COP 26 les pieds dans l’eau (Figure 2 in SCE, 2021). Effet garanti ?
L ’alarmisme ambiant concernant ces submersions ‘climatiques’ est-il justifié ? Nous allons montrer à partir de deux exemples (archipels Vanuatu et Tuvalu) que ce n’est pas le cas.
2. L’archipel de Vanuatu
Une étude très documentée des géographes Siméoni et Ballu (2012) sur les îles Torrès (Figure 1), dans l’archipel Vanuatu en Mélanésie (à l’Est de la Papaousie-Nouvelle Guinée et à l’Ouest des îles Fidji, dans le Sud-Ouest Pacifique) permet de répondre à la question posée : quelle sont les origines des variations du niveau marin ?
Figure 1 : Les iles Torrès dans l’archipel de Vanuatu
Cette étude est une bonne illustration de la complexité des variations du niveau marin à court et moyen termes. Le niveau marin, toujours considéré comme ‘absolu’ (c’est-à-dire variant de la même manière à l’échelle du globe), est souvent ‘relatif’ (c’est-à-dire variant aux échelles locales et régionales). Cette notion niveau marin ‘’absolu vs niveau relatif’ est bien connue en géologie (par exemple en stratigraphie séquentielle) et documentée depuis le Précambrien. En chaque endroit le niveau marin (relatif) est la résultante de nombreux processus dont les plus importants sont les apports sédimentaires, la subsidence (sédimentaire, thermique, tectonique…) et l’eustatisme (variation absolue du niveau marin par exemple à la suite de la fonte des inlandsis pour le court terme, ou à l’activité des rides médio-océaniques pour le long terme. On voit ainsi l’importance des phénomènes tectoniques dans cette thématique, et c’est justement ce point qui est relevé dans l’article de Siméoni et Ballu (2012).
Les îles Torrès sont situées sur la bordure ouest de la plaque Pacifique, dans le bassin nord-fidjien (carte 2 in Siméoni et Ballu, 2012), elles longent la fosse de subduction des Nouvelles-Hébrides qui atteint, à l’ouest du pays, une profondeur de près de 7 500 mètres. Au niveau de cette fosse, la plaque australienne plonge sous le bassin nord-fidjien. La vitesse de convergence moyenne des plaques entre la plaque australienne et le bassin nord-fidjien est de 12 cm/an et varie en fonction de la tectonique locale. La région est soumise à de nombreux séismes liés à cette subduction rapide.
Les îles Torrès montrent la superposition de huit terrasses coralliennes pléistocènes (s’étageant de 0m pour l’actuelle à 366m pour la plus ancienne) surmontant un socle volcanique. La plus ancienne et plus haute date d’environ 1,8 Ma. Ces terrasses, tout comme par exemple celles de Papouasie Nouvelle Guinée, sont la résultante d’un soulèvement tectonique induit par la subduction et l’érosion (forte pluviosité). Les datations de coraux montrent que le soulèvement des îles est de l’ordre de 1mm/an sur les 125 000 dernières années, valeur qui donne le moyen terme dans le cadre de cette tectonique active. Les variations sur le court terme dans ce contexte (10’ à 100 ans, ou ‘échelle humaine’) sont dominées par le cycle sismique. Les contraintes liées au mouvement des plaques s’accumulent entre deux séismes (phase intersismique) et sont ensuite relâchées lors de la rupture (séisme). En 1997 un fort séisme de magnitude 7,8 (avec un tsunami) a affecté l’ensemble des îles Torrès, provoquant l’affaissement (= subsidence) de certaines zones côtières sur 50 cm à 1m (observations sur place et GPS). La composante verticale (= altitude) de ces zones furent régulièrement mesurées de 1997 à 2009 et, en supposant que la déformation est linéaire entre deux événements sismiques, le site de Torrès a subi une subsidence de 0,94cm±0,25cm/an, soit 11 cm en 12 ans avec inondations de nombreuses lagunes. Ce taux de subsidence est fort important et un des plus élevés du Globe. En octobre 2009 trois fort séismes (magnitudes 7,6 ; 7,8 et 7,4) surviennent en 70 minutes et provoquèrent cette fois-ci un soulèvement de 19 cm ± 0,5cm avec assèchement des marais et de puits. De tels forts séismes sont récurrents dans les Vanuatu (exemple en 2023) et montrent que les variations du niveau marin relatif sont positives et négatives (figure 2 in Siméoni et Ballu (2012). On en retrouve des analogues en Alaska, toujours le long de la ceinture de feu.
On voit donc que sur le court terme, le niveau marin passe rapidement (en 12 ans !, de 1997 à 2009) d’une augmentation (suite à la subsidence induite par les séismes) à une diminution (soulèvement également tectonique) en octobre 2009. La soudaine augmentation (relative comme on l’a vu) du niveau marin a cependant été attribuée au climat. Le jeu de balancier entre affaissement et soulèvement des bassins sédimentaires ou du substratum géologique est une règle dans les zones de tectonique active comme le bassin pacifique. Sur le plus long terme les études tectoniques et géophysiques montrent que les îles Torrès sont affectées d’un soulèvement général. Bergeot (2004) a effet quantifié par géodésie spatiale et gravimétrie le contexte géodynamique de l’archipel des Vanuatu. Selon cet auteur la présence de reliefs sous-marins importants sur la plaque subductée induit un blocage partiel au niveau des Vanuatu et un soulèvement des îles de plusieurs mm/an ainsi qu’une subsidence intra-arc déterminée à partir des terrasses récifales. L’analyse géologique détaillée des subductions et ou ouvertures océaniques du Pacifique Sud-Ouest est donnée dans Ruellan et Lagabrielle (2005). L’archipel du Vanuatu correspond à des fossés d’arrière arc (ligne d’îles formant une ligne courbe) à l’origine d’un système complexe d’axes d’accrétion actifs (accumulation de croûte océanique en pelures d’oignon successives). L’ouverture océanique (arc de Vitiaz se propageant au Vanuatu et à Fidji) date du Miocène, il y a environ 10 Ma.
Notons également les perturbations d’une ou plusieurs années du niveau marin liées aux oscillations entre El Nino et La Nina , plus particulièrement dans la zone d’accumulation de l’eau chaude liée sur l’Ouest Pacifique à El Nino. Des variations de plus courte durée liées aux marées et phénomènes météorologiques (tempêtes, cyclones) peuvent élever sporadiquement le niveau de la mer de plusieurs mètres par rapport au niveau habituel (surcotes de tempêtes liées à la baisse de la pression atmosphérique) et se combiner avec les autres facteurs.
Les îles Torrès ne sont pas un cas isolé d’interférence de subduction et de variation relative du niveau marin. Une subsidence modérée (1 à 2 mm/an) liée à la dynamique du front de subduction est présente dans l’arc des Petites Antilles (van Rijsingen et al, 2022). Les estimations géologiques des mouvements verticaux dans la partie centrale des Petites Antilles montrent un affaissement sur des échelles de temps allant de 125000 à 100 ans, lié au verrouillage intersismique le long de la mégapoussée de subduction. Cet affaissement correspond à la tendance enregistrée sur 100 ans par de nombreux micro-atolls coralliens. Cependant, les vitesses horizontales des GNSS (Global Navigation Satellite System) montrent que l’interface de subduction des Petites Antilles (par ex. La Barbade) n’accumule actuellement que peu de contraintes élastiques. Les auteurs présentent de nouvelles vitesses verticales actuelles pour les Petites Antilles et les comparent aux mouvements verticaux à court et à long terme liés aux processus sous-jacents. En utilisant des modèles de dislocation élastique, ils montrent qu’une interface de subduction verrouillée ou partiellement verrouillée (= blocage tectonique) produirait un soulèvement de l’arc insulaire, à l’opposé des observations, supportant ainsi en réalité une subduction mal couplée. Cet affaissement à long terme, à l’échelle de la marge, est ainsi contrôlé par des processus dynamiques de la plaque, liés à son recul. De tels processus pourraient également être responsables du caractère asismique de la mégapoussée de subduction. Cette analyse suggère que la subsidence de l’arc antillais à différentes échelles de temps (jusqu’à environ 20 ans avec l’analyse GNSS, 10’-100’ ans à partir des micro-atolls, 1000 à 10000 ans à partir des terrasses marines) est contrôlée par les processus à long terme à l’échelle de la lithosphère. Il ne s’agit donc pas de variations eustatiques générées par le réchauffement climatique.
3. L’archipel de Tuvalu
3.1. Présentation générale
Cet archipel, situé à environ 200 km de celui de Vanuatu, sert aussi dans les médias de mythe de l’ennoiement des atolls par le relèvement actuel du niveau marin des atolls du Pacifique central. Les atolls sont situés à l’aplomb de chambres magmatiques (Figure 2).
Figure 2. Représentation simplifiée d’îles volcaniques à l’aplomb de points chauds (‘hot spots’). L’activité volcanique y est intense et liée à des remontées chaudes du manteau nommées panaches. Avec le mouvement de la plaque tectonique (ici vers la droite), les îles volcaniques s’éloignent du point chaud et sont chaque fois plus anciennes.
Les îles Vanuatu voient leur substrat émerger (en brun) alors que celui de Tuvalu n’émerge que grâce au récifs frangeants (avant dernier à droite).
Tuvalu est un archipel volcanique ancien dans le prolongement des îles Sandwich, une ride de volcans de point chaud basaltique migrant avec la plaque géologique qui la supporte. Ces atolls sont généralement subsidents sous le poids du basalte accumulé (Figure 3).
Figure 3. Carte de l’évolution morphologique récente des différents atolls de l’archipel des Tuvalu (Tuck et al., 2019) : les îlots ont tendance à augmenter en surface. b : ilôt de Fongafale (capitale).
Les îles Tuvalu auraient été colonisées par les Polynésiens vers 500 AD, donc largement après la dernière phase de remontée rapide du niveau marin (Figure 4) se terminant à l’époque romaine, avec un relèvement du niveau marin mondial de l’ordre de 0,3 mm/an (Flemming et al., 1998). Fongafale, la capitale de Tuvalu, est localisée sur un atoll avec grand lagon, ourlé par un cordon littoral surbaissé (Figure 3). Elle est actuellement inondée lors des marées d’équinoxe ou des surcotes de tempêtes.
Figure 4. Evolution holocène du niveau marin global selon Fleming et al. (1998). Ordonnée : mètres, abscisse : âge en milliers d’années. Le ralentissement important de la montée a eu lieu autour de l’époque romaine.
Les îles récifales formées sur ces atolls coralliens sont généralement petites, basses et plates, avec des altitudes de seulement quelques mètres. Elles sont donc très vulnérables aux niveaux élevés de la mer causés par des événements extrêmes, le plus souvent attribuées au réchauffement climatique. Des publications du GIEC clament un relèvement régional du niveau marin régional de l’ordre 1,1 ± 0,6 mm/an de 1950–2009 (Becker et al., 2012 ; IPCC 2014).
Toutes les mesures anciennes depuis 108 ans ainsi que les mesures récentes plus précises (altimétrie satellitaire, données thermostériques du niveau de la mer et des marées) n’ont pas pu vérifier jusqu’à présent d’élévation du niveau de la mer autour des îles Tuvalu (Figure 3).
Aucun cyclone tropical ne peut être directement attribué au changement climatique (Figure 5). On observe une variabilité multi-décennale des cyclones tropicaux dans certaines régions dont les causes, qu’elles soient naturelles, anthropiques ou combinées, sont actuellement débattues. Cette variabilité rend difficile la détection des tendances à long terme de l’activité des cyclones tropicaux. Il est probable qu’une certaine augmentation de la vitesse maximale des vents et des précipitations des cyclones tropicaux se produira si le climat continue de se réchauffer, par exemple en raison de l’activité solaire (SCE, 2023).
L’augmentation récente de l’impact sociétal des cyclones tropicaux a, par contre, été largement causée par l’augmentation des concentrations de population et des infrastructures dans les régions littorales comme à Tuvalu. La vitesse moyenne du vent des cyclones tropicaux s’est accrue de façon spectaculaire au cours des dernières décennies, à la différence de leur fréquence, ce qui complique la détermination de tendances précises. Si l’élévation modélisée du niveau marin en raison du réchauffement anthropique de la planète est atteinte, la vulnérabilité aux inondations causées par les ondes de tempête des cyclones tropicaux sera accentuée par l’homme, en relation avec la surpopulation de ces îles.
Les submersions côtières dans les îles Tuvalu résultent essentiellement de l’érosion côtière, en particulier de l’érosion anthropique et en partie par des cyclones majeurs. Tuck et al. (2019) ont montré que contrairement à ce qui est annoncé, la surface de ces îles s’est accrue de 2,9 % depuis 1943. En utilisant des lasers pour suivre de près les changements altitudinaux, ces chercheurs ont constaté que la zone haute de la flèche de Fongafale augmentait en hauteur en fait de 1,13 m et en surface (Fiigure3) en raison de l’accumulation sédimentaire liée aux tempêtes.
3.2. Les changements climatiques récents
Depuis les années 1998, on assite à un réchauffement marqué de l’océan intertropical, là où se situent ces îles, alors que depuis 2010 l’Arctique continental reçoit moins d’énergie solaire (Climate4you) augmentant le contraste thermique et l’instabilité de la circulation atmosphérique (jet stream polaires). Le réchauffement de l’océan intertropical amène des épisodes très chauds de El Nino et une évaporation plus puissante, qui accentuent non pas le nombre mais plutôt l’intensité des cyclones intertropicaux et donc celle des surcotes de tempêtes (baisse de la pression atmosphérique) qui lorsqu’elles sont couplées à l’équinoxe d’automne (la plus chaude) peut mener à des relèvements plurimétriques vulnérables du niveau marin (3,3 à 4m en 1972 à Tuvalu (Rufin-Solere et Lageat, 2015) ou 6 m à la Nouvelle Orléans (Katrina).
Figure 5. Nombre des cyclones tropicaux/an (Pacifique Central)
La vulnérabilité de l’îlot surpeuplé de Fongafale est liée à ses caractéristiques de relief d’origine : une flèche littorale de sable biodétritique calcaire posée sur le platier corallien, incluant entre les crêtes d’accumulation des basses zones de marécages inondés à marée haute (Xue, 2004). Normalement, ce type d’atoll ajuste son altitude avec l’évolution du niveau marin (Kench et al., 2023) et n’est donc jamais submergé.
L’érosion côtière induite par l’homme dans cette région s’intensifie (Yamano et al., 2007) en raison d’activités inappropriées comme l’extraction de granulats (Figure 6), la construction artisanale de digues avec des morceaux de corail, l’exploitation du sable bioclastique pour les constructions côté lagon. Ces activités réduisent fortement la réalimentation en sédiments de la côte surbaissée, plus particulièrement dans la zone plus calme du lagon parce qu’il y a de plus en plus de projets d’exploitation du sable (pour béton) et d’autres activités humaines sur ces côtes. Cette réduction en apport sédimentaire est devenue chronique depuis l’indépendance.
3.3. Impact des activités humaines (Figures 6 et 7)
Figure 6. Urbanisation de la population de Tuvalu d’après datacatlog wordbank.org
La population a doublé de 5195 en 1955, elle est passée à 11396 en 2023. La densité de population actuelle est de 3 500 hab./km2 pour Fongofale, une des plus fortes au niveau mondial hors conurbations (par comparaison, Java : 1 064 hab./km2). Cet îlot a connu une migration et une urbanisation accrues de la population de l’archipel à partir des années 1970, après l’indépendance de Tuvalu et de Kiribati. C’est un pays à revenus les plus faibles des Nations du Pacifique central.
15% de la population masculine travaillent au long cours sur des navires étrangers. A côté de la pêche (160 navires) avec un petit port côté lagon, d’un aéroport « international » (Figure 7), de tourisme limité (hôtels) et d’une production d’huîtres perlières, l’activité de la population est caractérisée par une activité vivrière de plus en plus restreinte. Cependant, Tuvalu n’a aucune activité touristique organisée à terre et importante d’un point de vue financier. Elle n’est également aucun site remarquable pour la visite de croisières touristiques. Un bidonville a envahi la zone marécageuse vulnérable Est, mal protégé par le récif bordier de l’atoll.
Figure 7. Carrière de Fongofale exploitant le sable coralien blanc côté lagon. A, droite piste de l’aéroport international.
Les recettes financières de l’île proviennent essentiellement de subsides externes : (i) des permis de pêche (payés principalement en vertu du Traité du thon du Pacifique Sud), (ii) du Tuvalu Trust Fund, un fonds souverain international créé au profit de Tuvalu, (iii) de dons directs de donateurs internationaux (des donateurs gouvernementaux) ainsi que de la Banque asiatique de développement et (iv) de revenus du Fonds d’affectation spéciale de Tuvalu. Cet archipel vit donc, depuis son indépendance, sur la base de perfusions financières internationales. Ces revenus financiers internationaux ont considérablement diminué ces dernières années, ce qui expliquerait pourquoi cette île, faute de grive, voudrait profiter d’un statut de réfugier climatique, et être écouté et subsidié dans le contexte actuel entretenu par les COP et les médias.
La population de Tuvalu n’est pas du tout la victime du changement climatique, tout au plus de la violence des tempêtes et la situation actuelle de l’île résulte avant tout des activités humaines, d’une démographie importante avec surpopulation, d’une urbanisation et de la destruction de la structure originelle de la société polynésienne. Son revenu par habitant est en baisse avec une augmentation énorme des besoins alimentaires et l’épuisement du petit aquifère météorique perché sur le plateau coralien. Ce sont donc de réels réfugiés économiques.
4. En guise de conclusion : importance du local/régional vs le global
Cette analyse des événements affectant les archipels Torrès et Tuvalu n’est pas spécifique de ces îles mais revêt un caractère général en ce qui concerne la thématique des variations du niveau marin. Nous avons vu que ces variations peuvent être relatives, qu’elles peuvent être importantes à l’échelle de vie humaine et, que sans leur prise en considération, elles sont à l’origine d’interprétations non-contrôlées et forcées par les médias. Ces îles montrent bien l’importance de la subsidence locale tectonique ou régionale, très commune dans de nombreuses autres situations géologiques, parfois accentuée par l’érosion côtière induite par l’activité humaine (Tuvalu) et de phénomènes météorologiques et océanographiques comme à la Nouvelle Orléans . La subsidence ‘sédimentaire’ (poids de l’accumulation des sédiments dans un bassin ou de roches volcaniques dans les atolls) est un paramètre majeur à prendre en considération lorsqu’il est question du niveau marin. Citons parmi les nombreux deltas du globe,le delta du Mississippi (Nouvelle Orléans) qui subit avec une subsidence moyenne de 1 à 5 mm/an depuis 5000 ans (Morton et al. 2005), mais une rapide subsidence accentuée par l’exploitation pétrolière, atteignant 8 à 12 mm/ an (entre 1965 et 1993). Ces valeurs ‘anodines’ sont importantes à l’échelle humaine et géologique : prenons 10 mm/an (chiffre rond, ci-dessus), cela donne 1m de subsidence en 100 ans et 1 km en 1000 ans. Si le système reste tel quel géologiquement parlant l’accumulation de sédiments dans l’espace (ou le ‘bassin’ ) créé atteindra plusieurs kilomètres d’épaisseur, parfois > 10 km dans les deltas ou bassins sédimentaires les plus subsidents. Cela se rencontre fréquemment aujourd’hui et dans le passé (y compris le Précambrien) dans les bassins sédimentaires, non nécessairement deltaïques, mais fortement subsidents , qui sont favorables à l’accumulation et préservation de la matière organique et à la formation du pétrole.
Des zones naturellement (géologiquement) subsidentes peuvent être aussi accentuées par l’action humaine : de nombreuses villes s’enfoncent suite au pompage de l’eau des nappes phréatiques pour couvrir le besoin des populations (Pays-Bas). Les zones densément construites de Mexico par exemple subissent une subsidence de 100 mm/an, sous le poids des constructions, à l’origine de nombreux effondrements ur plusieurs mètres de buildings et bâtiments publics s (Poreh et al., 2021). Près de 100 villes connaissent le même sort (Venise, New York, Jakarta, Shangaï….) (Wu et al., 2022). Ces villes seront à terme submergées, car les taux de subsidence sont plus importants que l’augmentation seule du niveau marin, sans qu’il y ait ici la moindre relation avec un quelconque changement climatique. Ces phénomènes sont amplifiés dans les zones de deltas qui sont déjà naturellement subsidentes (Brown et al., 2015). On observe des subsidences de même type dans les zones pétrolières dont les gisements ont été vidés de leur huile (>2,5m d’affaissement pour le gisement Ekofisk en Mer Du Nord, Rebeyrol, 1985), menaçant la sécurité des plateformes de forage ou d’exploitation.
Notons que l’évolution des atolls du Pacifique liée à la subsidence fut la première fois correctement élucidée il y a près de 200 ans par Darwin (ici).
Ne mettons pas toujours de manière systématique une élévation du niveau marin sur le compte du climat. Comme on l’a vu, la situation régionale réelle est complexe et multifactorielle.
Références
Becker, M., Meyssignac, B., Letetrel, C., Llovel, W., Cazenave, A. et Delcroix, T., 2012. Sea level variations at tropical Pacific islands since 1950. Global and Planetary Change, 80-81, 85-98. https://doi.org/10.1016/j.gloplacha.2011.09.004
Fleming, K., Johnston P., Zwartz D., Yokoyama Y., Lambeck K.and Chappell J., 1998. Refining the eustatic sea-level curve since the Last Glacial Maximum using far- and intermediate-field sites. Earth and Planetary Science Letters 163 (1-4): 327-342. DOI: 10.1016/S0012-821X(98)00198-8
IPCC (2014), Climate Change, 2014. Impacts, Adaptation, and Vulnerability. Contribution of Working Group II to the Fifth Assessment Report of the Intergovernmental Panel on Climate Change, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1132 p.
Tuck M.E., Kench P.S., Ford M.R., Masselink G., 2019.Physical modelling of the response of reef islands to sea-level rise. Geology; 47 (9): 803–806. doi: https://doi.org/10.1130/G46362.1
Mitrovica, J.X. et Peltier, W.R.,1991, On postglacial geoid subsidence over the equatorial oceans, Journal of Geophysical Research, 96, p. 20 053-20 071. https://doi.org/10.1029/91JB01284
Kench P. S., C. Liang, M. R. Ford et al,. 2023. Reef islands have continually adjusted to environmental change over the past two millennia. Nature Communications | (2023)14:508 https://doi.org/10.1038/s41467-023-36171-2
Rufin-Soler C.and Y. Lageat, 2015. Un atoll emblématique des risques environnementaux ? Funafuti (archipel de Tuvalu) entre menace planétaire et contraintes quotidiennes Dans Annales de géographie https://www.cairn.info/revue-annales-de-geographie-2015-5-page-523.htm&wt.src=pdf
Xue, C., 2004. Causes of land loss in Tuvalu, a small island nation in the Pacific », Journal of Ocean, University of China, 4 (2), 115-123. https://doi.org/10.1007/s11802-005-0004-8
Yamano H., Kayanne H., Yamaguchi T., Kuwahara Y., Yokoki H., Shimazaki H., Chikamori M., 2007. Atoll island vulnerability to flooding and inundation revealed by historical reconstruction: Fongafale Islet, Funafuti Atoll, Tuvalu. Global and Planetary Change, 57 (3-4) , 407-416. https://doi.org/10.1007/s11625-013-0204-x
Je suis effaré par cet article ; si le niveau de la mer monte c’est parce que les calottes polaires fondent ; le reste c’est des variations locales entre subsidence et exondations ; parler de Tuvalu à propos des variations absolues du niveau marin , c’est comme parler des îlots de chaleur urbaines à propos du réchauffement climatique Mais votre conclusion est étonnante : taux de subsidence et augmentation du niveau marin s’ajoute et l’un n’a rien à voir avec l’autre
En plus , je ne vois pas pourquoi vous vous mettez à parler des pétroliers : si la pression dans les gisements baissaient de deux choses l’une , ou on laissait la nappe d’eau se refaire naturellement ou on injectait de l’eau dans celle-ci ; mais je ne pense pas que ceci ait quelquechose à voir avec le relèvement du niveau de la mer ou des histoires de subsidences ou de surrections d’ilots marins
frederic sommer
Réponse de deux auteurs :
Voyez ci-dessous la réponse complète faite à Zagros. La figure 2 de Siméoni et Ballu, rend invalide votre affirmation : toute subsidence tectonique ou anthropique (exploitations diverses) va induire par cumul une augmentation apparente du niveau marin au grand plaisir des médias. Le cas des gisements pétroliers amène comme dans le Golfe du Mexique une subisdence notoire et éventuellement une séismicité, en combinaison avec l’exploitation des tourbières, la réduction de l’apport sédimentaire, bien sûr combinée avec la modeste remontée du niveau marin. Cela dépend surtout de la politique de restauration des sites : subsidence accélérée et effondrement si on laisse la nappe se ré-installer naturellement,
Les exemples pétroliers ou gaziers sont les plus sensibles économiquement, celui des deltas, et des mégapoles côtières ou des îles surpeuplées, des points de vue géopolitique et médiatiques. Ils illustrent l’importance de la subsidence aux échelles locales et régionales, exploitée fallacieusement par les médias. Notons également que comme mentionné en régime tectonique particulier, ce sont des soulèvements, fréquent pour les arcs insulaires, qui peuvent se produire et diminuent donc, relativement, l’amplitude de la (re)montée du niveau marin (comme rapporté aussi par le GIEC, cf. notre article). La surface des îles Tuvalu a augmenté de 2,9% depuis 1943 (situation 2018), voir ici
https://www.science-climat-energie.be/2018/03/15/bonjour-tout-le-monde/
Ces considérations sont pertinentes et intéressantes. Ceci étant si l’on relativise, il y a eu il y a 12800 ans une catastrophe planétaire, au début du Dryas Récent, qui a entraîné en quelques dizaines d’années la fonte des glaciers de l’hémisphère Nord, les « déluges » et la montée des eaux de plusieurs dizaines de mètres, entraînant la disparition sous le niveau des mers des grandes villes côtières de la civilisation planétaire antédiluvienne. La montée du niveau des mers de cette époque est sans commune mesure avec les variations expliquées dans l’article. Il est certes important de comprendre et éventuellement de modéliser ce qui se passe naturellement (et l’article à cet égard est remarquable), mais l’Histoire montre que nous sommes en plus à la merci d’événements extérieurs que nous maîtrisons encore moins et dont les conséquences sont bien plus graves.
https://i0.wp.com/www.laterredufutur.com/spaw/images/climat-depuis15000ans.jpg
Réponse de deux auteurs :
Merci de votre commentaire. D’abord ne confondons pas les situations, la sortie du Dernier Glaciaire et la période actuelle Interglaciaire ne se comparent pas, ni en terme d’élévation du niveau marin, ni en terme de hausse des températures. La vitesse de remonté postglacaire du niveau marin n’a rien eu de catastrophique pour les populations essentiellement nomades. Sa vitesse aurait donc atteint au minimum 40 mm/an entre 16-14 ka, puis de 10 mm/an estimé pour la dernière déglaciation et les début de l’agriculture (à partir de 12 ka /HN) ou au 3 mm/an observés aujourd’hui (Bard et al., Nature, 1996; Bard et al., Science, 2010; Deschamps et al., Nature, 2012). Rappelons également que lors des Optimas précédents à l’actuel la température ne devait pas être très différente de l’actuelle , amenant un scénario d’inondation identique en amplitude et en intensité. De plus notre article annonce clairement qu’il traite d’un sujet à l’échelle locale ou régionale touchant des zones très sensibles à l’élévation (absolue) du niveau marin, telle que rapportée à grands bruits par les médias. Or il se fait que les taux de subsidence sont bien effectifs et mesurables. Il faut donc les considérer aux échelles locales et régionales quand ils sont présents, ce qui est justement le cas dans l’article de Siméoni et Ballu (voir leur graphique en figure 2. Nous vous renvoyons également aux articles du Professeur Y. Battiau :
https://www.science-climat-energie.be/2019/08/15/la-hausse-du-niveau-de-la-mer-accelere-t-elle-lerosion-des-cotes-1-3/
‘Comparés à ces épisodes de quelques heures, les effets millimétriques de la hausse globale du niveau de la mer sont indétectables. À Brest où l’on dispose d’une des plus longues séries de données marégraphiques au monde, le niveau de la mer ne s’est exhaussé que d’une vingtaine de centimètres depuis 1800 (Wöppelmann et al., 2008) (Fig. 2). A Marseille l’élévation n’a été que de 16 cm depuis 1884 (Wöppelmann et al., 2014). C’est négligeable par rapport aux surcotes et au surcroît d’énergie des vagues de tempêtes (cf. ci-dessous).
Il faut bien garder à l’esprit cette énorme différence d’échelle dans les forçages météo-marins et la vitesse d’élévation du niveau marin si l’on veut comprendre l’origine des problèmes de vulnérabilité et de risques d’érosion spécifiques aux zones littorales.’
https://www.science-climat-energie.be/2019/08/19/la-hausse-du-niveau-de-la-mer-accelere-t-elle-lerosion-des-cotes-2-3/
Et finalement :
https://www.science-climat-energie.be/2019/08/30/la-hausse-du-niveau-de-la-mer-accelere-t-elle-lerosion-des-cotes-3-3/
‘A la question initiale qui avait été posée – « la hausse du niveau de la mer accélère-t-elle l’érosion des côtes? »- on peut répondre qu’elle ne joue qu’un rôle mineur, comparé à celui des tempêtes. Dans l’état actuel des recherches, on peut dire aussi que le réchauffement climatique n’augmente pas la fréquence et l’intensité des tempêtes. Tout cela va à l’encontre de ce que l’on entend habituellement dans les médias, mais le scientifique a le devoir de rétablir la réalité des faits.’
Vous avez pris la peine de répondre longuement à mon commentaire et je vous en remercie vivement. Mais mon propos ne critique nullement votre analyse. Vous abordez les « échelles locales et régionales » et je ne me permets pas de contester vos conclusions, bien au contraire. J’évoquais dans mon commentaire tout autre chose qui n’entre absolument pas dans le domaine traité par votre article. Et peut-être que la place de ce commentaire n’est pas ici, tant elle peut vous paraître iconoclaste. Je parle d’un accident spatial survenu il y a 12800 ans : le passage de la comète de Clovis qui, via une multitude de météorites, a fait fondre les glaciers de l’Amérique du Nord et de l’Europe, entraînant, entre autre, une forte montée des eaux. Son passage n’a pas seulement dérangé « les peuples nomades » que vous évoquez, mais les cités établies le long des côtes et relevant d’une civilisation antédiluvienne. Les exemple sont nombreux , y compris antérieurs à -12800. Mais ce n’est pas l’objet ici. Mon message était simplement de dire, qu’au-delà des phénomènes que vous analysez, d’autres causes extérieures peuvent bouleverser ponctuellement dans le temps les variations de niveau marin. J’ai juste cru bon de le mentionner, par souci de complétude du sujet.
https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/paleontologie-asteroide-serait-bien-origine-cataclysme-survenu-il-y-12800-ans-67138/
Merci de ce complément d’information bien étayé. De tels cataclysmes ‘extraterrestres’ sont connus aux échelles géologiques et historiques, mais ils ne sont pas l’objet de l’article consacré aux variations du niveau marin aux échelles locales et régionales.
@Zagros et Michel Duthé
Vous êtes la même personne ?
fritz