Inondations de Valence : Quand la nature rappelle les leçons oubliées du passé

par SCE et Enrique Ortega Gironés, géologue habitant à Valence.

Valencia floods: When nature reminds us of the forgotten lessons of the past

Non, les inondations catastrophiques ne sont pas dues à la lente augmentation du taux de CO2 atmosphérique. C’est ce que suggère l’article ci-dessous consacré aux inondations de Valence des 28 et 29 octobre 2024, il y a un mois jour pour jour, provoquées par un phénomène bien connu appelé goutte froide ou « DANA » (pour « dépression isolée en haute altitude », en espagnol « depresión aislada en niveles altos »). Ce phénomène résulte de la rencontre entre de l’air chaud ascendant, chauffé par les océans grâce au soleil, et de l’air froid polaire plus en altitude.

Les inondations catastrophiques ont toujours existé sur la Terre, et ce avec des taux atmosphériques de CO2 beaucoup plus faibles. Nous vous en avions déjà parlé sur SCE en juillet 2021 lors des inondations ayant affecté la Belgique. Si vous pensez qu’il y avait moins de victimes dans le passé n’oubliez pas non plus que la population était plus faible, particulièrement à Valence, que les villes étaient beaucoup plus petites, que l’on ne construisait pas en zones inondables et que les sols étaient beaucoup plus perméables car moins recouverts d’asphalte qui empêche l’eau de pénétrer dans le sol. Oui l’urbanisation incontrôlée a sa grande part de responsabilité dans ce drame. Il faut aussi compter sur la malhonnêteté de certains médias pour attribuer de manière récurrente chaque catastrophe au CO2.

L’auteur de l’article s’est attelé à une analyse détaillée de tous les paramètres physiques ou non (sociaux, politiques) liés historiquement et aujourd’hui à ce drame. Sa conclusion (voir fin de son article) est sans appel : « Aujourd’hui, 42 ans plus tard, nous pouvons faire la même réflexion, avec le même pessimisme face à l’avenir, mais avec un facteur aggravant supplémentaire. En effet, les politiciens d’il y a quatre décennies n’avaient pas l’effronterie et le cynisme d’essayer de cacher leur incompétence derrière l’argument inexplicable du changement climatique ».

Nous allons maintenant vous présenter cet article qui identifie les causes réelles ayant provoqué le nombre de victimes observé à Valence. L’article a été écrit par Enrique Ortega Gironés, un géologue habitant Valence. La version originale en espagnol se trouve ici. La traduction avec autorisation de l’auteur a été réalisée par Samuel Furfari.

Texte traduit de E.O. Gironés, géologue

Introduction

Pour commencer, voici deux petits textes retrouvés dans la littérature espagnole :

« Le ravin commence dans les montagnes de Buñol en direction de Chiva et continue à travers la municipalité de Cheste. Il traverse ensuite la plaine de Quart à côté de la Venta del Poyo, puis passe par les environs de Torrent et Catarroja, avant de se jeter dans l’Albufera de Valence. Son lit profond et large est habituellement à sec, sauf lors de crues soudaines où il coule si furieusement qu’il détruit tout sur son passage. À Chiva, il a surpris les habitants à minuit, dévastant un nombre considérable de bâtiments et éparpillant sur plusieurs kilomètres les tristes restes et les cadavres des malheureux qui n’ont pas pu échapper à la mort. »

« Le fleuve, qui dans ses plus grandes crues n’avait jamais atteint les rues de la ville, est venu cette fois inonder la partie basse, pénétrant dans les casernes de la Garde Civile, le tribunal et les prisons… »

Les nombreuses inondations du passé

Les deux paragraphes précédents, qui pourraient parfaitement décrire la récente catastrophe enregistrée dans les environs de Valence le 30 octobre 2024, correspondent à des épisodes beaucoup plus anciens. Le premier d’entre eux relate ce que l’illustre naturaliste Antonio José Cavanilles a rapporté il y a deux siècles et demi (1775) à propos du Barranco del Poyo, ce même lit de rivière qui vient d’emporter tant de vies. Le second correspond à la description faite par Vicente Boix, chroniqueur de Valence, de l’inondation de San Carlos (ainsi nommée parce qu’elle coïncide avec la fête de Saint Charles Borromeo). Cette inondation eut lieu en novembre 1864 lorsque déborda la rivière Júcar, la même qui, un peu plus d’un siècle plus tard, dévasta le barrage de Tous et toute la région de La Ribera.

Croquis de l’époque illustrant la crue du Júcar de 1864 à Alzira

En réalité, ces deux épisodes ne sont qu’un simple échantillon des nombreuses inondations qui ont dévasté la côte méditerranéenne en général (comme celles qui se sont produites à Barcelone, Malaga ou Murcie) et la région de Valence en particulier depuis des temps immémoriaux. Entre 1321 et aujourd’hui, 27 inondations ont été enregistrées à Valence (y compris la dernière en 2024), avec un intervalle moyen d’environ 25 ans, soit près de quatre inondations par siècle. L’ampleur de la plupart de ces épisodes est consignée sur des plaques ou des carreaux fixés aux murs dans de nombreuses villes riveraines, où une marque horizontale indique le niveau atteint par les eaux.

Plaque commémorative du niveau atteint par les eaux dans les rues d’Alzira pendant l’inondation de San Carlos (1864)

Il est très important de noter que la plupart des inondations du 14e au 19e siècle se sont produites pendant une période de froid généralisé connue sous le nom de Petit Âge Glaciaire. Dans le graphique de la figure ci-jointe, la ligne bleue représente l’évolution de la température de l’an 1200 à nos jours, tandis que les cercles rouges indiquent les moments où les 27 inondations mentionnées ci-dessus se sont produites. La continuité avec laquelle ces catastrophes apparaissent est remarquable, tant lors des périodes de hausse que de baisse des températures, semblant ainsi être complètement indépendante de l’évolution thermique. 

Graphique montrant l’évolution de la température entre 1200 et 2000 et l’apparition des crues. Les crues sont représentées par des cercles rouges (explications dans le texte).

La figure précédente montre qu’il y a également eu de grandes inondations à une époque où la Terre se refroidissait. Il semblerait donc qu’il n’y a pas de corrélation entre le réchauffement climatique et une augmentation présumée de l’intensité ou de la fréquence des dépressions à l’origine de ces inondations.

La persistance dans le temps de ces événements météorologiques extrêmes indique qu’ils font partie de la normalité climatique de la région, comme en témoignent non seulement l’abondance de documents historiques, mais aussi les manifestations artistiques. Un excellent exemple de ce type de témoignage est la peinture à l’huile « Amor de madre » (Amour de mère), du peintre Antonio Muñoz Degrain, représentant les efforts dramatiques d’une mère essayant de sauver son fils des eaux incontrôlables d’une inondation dans les vergers de Valence en 1913.

Amour de mère, peinture à l’huile de Muñoz Degrain (1913)
exposée au Musée des Beaux-Arts de Valence

On peut dire quelque chose de similaire dans le domaine de la littérature, où les conséquences dramatiques des pluies torrentielles qui arrivaient ponctuellement chaque année au début de l’automne ont été décrites. À certaines occasions, les conditions météorologiques ont produit de grandes famines et des problèmes sociaux dus au manque de revenus du travail pour les ouvriers agricoles, ce qui a souvent dégénéré en révoltes, comme le décrit magistralement l’illustre Rafael Comenge (1855-1934) dans ses romans de mœurs.

Dans les zones rurales de la Ribera del Júcar, les crues automnales périodiques du fleuve, qui devenaient parfois incontrôlables et pouvaient finir en inondations, faisaient partie des habitudes. L’auteur de cet article, témoin direct des trois dernières grandes inondations et natif d’Alberic (une ville située à quelques kilomètres en aval du tristement célèbre réservoir de Tous), se souvient comment sa grand-mère lui racontait des histoires de son enfance dans une autre ville fluviale, Poliñá del Júcar. À cette époque, au début du XXe siècle, avant que les grands barrages et réservoirs régulateurs n’aient été construits, lorsque l’automne arrivait, c’était le veilleur de nuit qui était chargé de surveiller le niveau de la rivière pendant la nuit. Et lorsqu’il atteignait des niveaux dangereux, il réveillait les voisins pour qu’ils aillent sur la rive placer des sacs de sable et protéger les maisons de la ville, même si c’était de manière rudimentaire, précaire et temporaire.

La réitération de ces situations a conduit la sagesse populaire à consigner sa connaissance dans les proverbes. Ainsi, en regardant le ciel, lorsque les paysans voyaient que les nuages noirs entouraient les sommets des montagnes voisines, ils disaient : « Quan la Murta s’emborrasca i Matamon fa capell, llaurador, pica espart i fes cordell » (« Quand la Murta s’assombrit et que le Matamon a un chapeau, paysan, bats le sparte et fais de la corde »). La Murta et Matamón sont deux sommets des reliefs adjacents à la Ribera del Júcar, où les nuages qui apportent de fortes pluies s’accrochent généralement. Pour cette raison, le dicton exhorte les agriculteurs à passer du temps à la maison à tresser des cordes de sparte, car il sera impossible d’aller au champ pour travailler.

Avec le passage du temps, à la fin du XXe siècle, ces fortes tempêtes ont été nommées « gouttes froides », une nomenclature descriptive qui a été remplacée ces dernières années par le nom technique qui est déjà malheureusement bien connu de tous, DANA ou Dépression Isolée à Niveaux Élevés. Mais en réalité, la sémantique du nom n’affecte pas la nature du phénomène : même si un singe s’habille de soie, il reste un singe, et les DANA d’octobre ou de novembre dans la région valencienne ne sont rien de plus que les tempêtes d’automne d’autrefois.

Pour en revenir à l’actualité, les données officielles indiquent que les précipitations enregistrées lors de ce dernier épisode de 2024 n’ont pas été supérieures à celles enregistrées en 1982, lorsque les pluies très intenses ont eu lieu pendant 24 heures de déluge continu. Le volume de la crue ne l’était pas non plus : 7 500 mètres cubes par seconde en 1982, et seulement 2 500 en 2024. De plus, depuis lors, 42 ans se sont écoulés, dépassant de loin l’intervalle moyen entre les inondations mentionné ci-dessus. Par conséquent, il est difficile de justifier l’invocation du réchauffement climatique comme responsable de la résurgence (tant en fréquence qu’en intensité) de phénomènes qui, avec la même violence, se répètent systématiquement depuis bien avant l’ère industrielle et les émissions anthropiques de CO dans l’atmosphère. Il convient donc de se demander pourquoi, compte tenu de l’expérience accumulée au fil des siècles et de la capacité technologique à mettre en œuvre des mesures préventives ou palliatives, il n’a pas été possible d’éviter cette catastrophe dramatique. Comme c’est souvent le cas, elle n’est pas due à une cause unique, mais à la convergence fatale de plusieurs facteurs.

Les causes de la catastrophe

En premier lieu, il faut considérer la nature elle-même, le comportement de notre atmosphère, extrêmement compliqué et difficile à paramétrer dans tous ses détails, malgré les longues séries statistiques stockées et les puissants outils de calcul fournis par le développement informatique. Ce qui s’est passé à la fin du mois d’octobre 2024 montre qu’il n’est pas encore possible de prédire en détail le comportement et les conséquences d’une DANA. Et cette limitation, non imputable à une quelconque erreur technique, mais simplement due à l’extrême complexité du processus, nous oblige à réfléchir sur la fiabilité des prévisions climatiques. Si les modèles climatiques ne sont pas encore en mesure de prédire correctement ce qui va se passer dans un avenir immédiat, dans quelle mesure les prédictions catastrophiques peuvent-elles être fiables pour un avenir lointain ?

Deuxièmement, le manque d’infrastructures adéquates. Cette inondation de 2024 a démontré de manière indiscutable à quel point ces constructions sont essentielles pour prévenir ou minimiser les effets dévastateurs des inondations. À la suite des conséquences désastreuses de la crue du Turia en 1957, le fleuve a été dévié au moyen d’un canal artificiel capable d’accueillir un débit d’eau équivalent à trois fois celui de l’Èbre lorsqu’il traverse Saragosse. Ce canal, dont la construction a été achevée en 1969, a pu détourner et conduire l’énorme flux d’eau qui s’était déversé dans la partie moyenne et inférieure du bassin du Turia, sauvant ainsi la ville de Valence d’une destruction certaine. Quelque chose de similaire s’est produit un peu plus au sud, dans la rivière Magro, un affluent du Júcar, où le réservoir de Forata, situé en amont de Turís et également achevé en 1969, a permis d’écrêter la crue (il était pratiquement vide au début de la DANA) et de contenir 30 hectomètres cubes en seulement 15 heures.

Réservoir de Forata (Confédération hydrographique de Júcar)

Cette capacité a permis de réduire considérablement l’impact de la crue sur les populations de la rive inférieure du Júcar, en particulier à Algemesí, où les conséquences auraient été terriblement dramatiques si ce barrage n’avait pas existé.

Carte schématique de la zone située au sud de la ville de Valence montrant la disposition des principaux lits des rivières : rivière Turia (noir), nouveau lit de la rivière Turia (bleu), ravin de Poyo (rouge), rivière Magro (vert) et rivière Júcar (fuchsia).

C’est précisément ce qui ne s’est pas passé un peu plus au nord, car entre les deux fleuves précédents, entre le Turia et le Magro, il y a un autre de ces cours d’eau qui, bien que presque toujours à sec, est capable de se transformer en quelques heures en un puissant fleuve : le Barranco del Poyo, comme Cavanilles l’a décrit dans le dernier tiers du XVIIIe siècle. Malheureusement, ce cours d’eau n’a pas de barrage régulateur et, malgré le fait que sa construction soit prévue (en amont de Cheste) depuis longtemps, les travaux n’ont jamais été exécutés. Comme la réalité l’a montré, les conséquences de l’absence de cette infrastructure essentielle ont été tragiques.

Troisièmement, il faut mentionner l’état des lits des cours d’eau. L’absence d’activités de défrichage de la végétation et l’interdiction actuelle de couper les roselières (une activité traditionnelle dans le verger consistant à utiliser les cannes pour les travaux agricoles) ont affecté la capacité de drainage, car la circulation de l’eau est entravée par la masse végétale. Cette situation réduit la vitesse de l’eau et son écoulement, formant des bouchons en raison de la végétation déracinée. Ces obstacles, lorsqu’ils sont débordés par l’eau, s’effondrent et génèrent des vagues qui avancent à grande vitesse, avec suffisamment de force pour emporter tout sur leur passage (y compris les véhicules garés dans les rues) et faire monter rapidement le niveau de l’eau. Cette situation explique en partie la différence de mortalité entre les deux dernières inondations. Malgré le fait que les précipitations et le débit de l’inondation en 1982 aient été beaucoup plus élevés qu’en 2024, sa mortalité a été d’ environ 30 morts, bien en dessous des 228 victimes (entre morts et disparus) comptées en 2024, car la plus grande vitesse de la montée des eaux a empêché de nombreuses personnes d’avoir le temps de se mettre en sécurité.

Apparition de la végétation sur les rives de la rivière Júcar lors de son passage à Alberic

De plus, la végétation traînée par l’eau bloque les arches des ponts, les renversant dans certains cas et générant de nouvelles vagues. Il faut se rappeler que les ponts sont conçus pour permettre le passage de l’eau lors des plus grandes inondations enregistrées au cours des dernières centaines d’années, mais pas pour résister aux forces horizontales d’une masse d’eau, de boue et de végétation qui se déplace à grande vitesse. Lors de la récente inondation de 2024, 26 ponts ont été détruits ou nécessitent des réparations pour être utilisés.

Quatrièmement, il convient de mentionner les changements drastiques dans l’utilisation des sols, qui, dans les zones les plus touchées, dans les villes de la Huerta Sur, auparavant majoritairement rurales, ont été transformés en zones urbaines, en villes-dortoirs dans l’environnement métropolitain de Valence. Dans les villes traversées par le Barranco del Poyo, les infrastructures essentielles (bassins d’orage, canaux ou nouveaux canaux artificiels) n’ont pas été construites pour minimiser les effets des avalanches d’eau. On n’a pas non plus prêté attention à la délimitation des zones inondables, qui se construisent massivement et de manière inconsidérée à proximité immédiate des lits des rivières. Même en dehors des zones urbaines, mais dans les zones également sujettes aux inondations, des zones industrielles et des centres commerciaux ont été implantés, allant même jusqu’à construire des parkings souterrains d’une capacité de plusieurs milliers de véhicules.

Enfin, cinquièmement, comme cause la plus importante de la tragédie, il convient de mentionner le manque d’efficacité des différentes agences gouvernementales, tant dans les mesures préventives que dans la gestion de la crise, qui ont échoué lamentablement à tous les niveaux et sous tous les angles. Même en tenant compte des difficultés déjà mentionnées pour prédire le comportement d’une dépression de seuil, il est légitime de se demander si les mécanismes de contrôle et d’alerte ont correctement fonctionné et si la population a été prévenue suffisamment tôt pour éviter de nombreux décès. Le manque de coordination entre le gouvernement central et les gouvernements régionaux a été évident, confrontés dès l’instant où la catastrophe a commencé à se profiler, et plus soucieux de montrer le grain dans l’œil des autres que d’apporter des solutions efficaces. Cette confrontation honteuse a provoqué l’étonnement au-delà de nos frontières, donnant lieu à de nombreux commentaires dans la presse internationale, magistralement synthétisés dans la caricature ci-jointe.

Caricature publiée dans la presse française par Mahnaz Yazdani (LatAm ARTE)

Mais au-delà de la gestion désastreuse des instants précédant et suivant immédiatement le déluge, nous ne devons pas perdre de vue ce qui s’est passé au cours des décennies précédentes, ce qui a été fait ou non et qui aurait pu éviter des centaines de morts et des milliards d’euros de pertes matérielles. Malgré l’existence de nombreuses études et cartographies délimitant les zones à risque, pourquoi les communes (avec la complaisance des autorités régionales et nationales) ont-elles autorisé la construction en zones inondables ?

D’autre part, un examen sérieux et approfondi de la réglementation environnementale qui interdit le nettoyage des lits des rivières est essentiel, au moins dans les sections proches de la côte méditerranéenne, où ce type de phénomènes météorologiques apparaît de manière répétée et systématique. Comme détaillé précédemment, si les lits des rivières avaient été exempts de branchages et autres détritus, la violence de l’inondation aurait été minimisée, contribuant ainsi à réduire le nombre de victimes.

Enfin, pourquoi les infrastructures nécessaires n’ont-elles pas été construites si les études pertinentes pour l’attribution des travaux ont déjà été réalisées, avec la capacité technique et économique pour leur exécution ? Il n’est pas nécessaire d’être un expert pour affirmer que, si le barrage prévu dans le Barranco del Poyo aux environs de Cheste avait été construit, l’inondation aurait pu être considérablement réduite de la même manière que l’a fait le réservoir de Forata, évitant ainsi de nombreux malheurs.

Au cours des jours qui ont suivi la catastrophe, comme c’est souvent le cas en pareilles circonstances, il y a eu une véritable avalanche d’informations concernant la politique des barrages et des réservoirs en Espagne, et toutes les données publiées ne sont pas exactes. Ainsi, par exemple, il a été affirmé que la démolition de réservoirs et de barrages effectuée ces dernières années avait considérablement affecté le bassin du Barranco del Poyo, lui attribuant la responsabilité du manque d’infrastructures hydrauliques pour réduire le risque d’inondation. Bien que cette information soit manifestement fausse (aucun barrage a été détruit à ce ravin en particulier), il n’en reste pas moins vrai que le ministère de la Transition écologique s’est montré beaucoup plus intéressé à détruire les infrastructures existantes qu’à en construire de nouvelles. En témoigne le fait que notre pays est un chef de file de l’Union européenne dans la démolition des obstacles fluviaux, y compris les barrages et les déversoirs. Selon le rapport préparé par Dam Removal Progress, en 2021, 108 barrières fluviales ont été détruites en Espagne, 133 en 2022 et 95 en 2023 (336 au total), y compris des barrages et des déversoirs, bien plus que ce qui a été démantelé par nos voisins européens.

Statistiques comparatives par pays des barrières fluviales démolies en 2023

Dans certains cas, il s’agit d’actions justifiées par l’obsolescence ou l’inutilité de certaines structures. Mais dans d’autres cas, cela semble être dû à une obsession idéologique, dépourvue de sens pratique, similaire à celle qui a été appliquée pour justifier la démolition de plusieurs centrales thermiques produisant de l’électricité à partir de charbon. En tout état de cause, ces données ne seraient pas pertinentes pour le cas présent si ce n’était du fait que, parallèlement, le même ministère est en activité depuis 2009 dans le but précis de prévenir les inondations dans le bassin du Barranco del Poyo. La situation de ce ravin n’est pas exceptionnelle, car dans toute la Communauté valencienne, comme dans le reste de l’Espagne, il existe de nombreux travaux hydrauliques en attente d’exécution depuis 15 ans. En d’autres termes, le gouvernement s’est concentré sur la protection de la faune et de la flore fluviales, reléguant la sécurité des citoyens au second plan, en accordant plus d’importance aux intérêts idéologiques ou politiques qu’aux droits légitimes des êtres humains, tels que la sécurité et le droit à la vie.

Cependant, d’un point de vue temporel plus large, toutes les responsabilités ne peuvent pas être attribuées aux dirigeants actuels. Le gouvernement national du PP, qui était au pouvoir entre 2011 et 2018, a perdu une fenêtre d’opportunité théorique pour débloquer le projet Barranco del Poyo en accord avec un gouvernement autonome du même parti entre 2011 et 2015. Aujourd’hui, les deux partis dominants se rejettent mutuellement la responsabilité concernant la gestion de la crise, essayant de faire passer inaperçue l’incompétence affichée au cours des dernières décennies. Car en réalité, tous les problèmes décrits ont un dénominateur commun : tant le manque d’infrastructures hydrauliques que le nettoyage des lits des rivières et l’urbanisation des sols dans des endroits inappropriés sont imputables à des erreurs politiques de gestion ou à un manque de contrôle.

Les priorités politiques erronées

Cette réflexion nous amène inévitablement à une question concernant notre système politique : disposons-nous des bons mécanismes pour stimuler et faciliter l’accès des personnes compétentes aux postes de responsabilité, afin qu’elles puissent prendre les bonnes mesures au bon moment ? Dans notre système partisan, les entités du pouvoir d’État (y compris les parlements) sont devenues de simples transmetteurs des décisions adoptées par les partis, qui se sont constitués en une oligarchie contrôlant la souveraineté effective. Lorsqu’il accède au pouvoir, le parti au pouvoir attribue et distribue les postes de responsabilité selon des critères strictement politiques, sans égard à la capacité, aux connaissances et à l’expérience des personnes choisies.

Cette pratique, qui peut être considérée comme logique et acceptable pour les plus hauts postes de l’administration, a été étendue à des niveaux très bas où la responsabilité devrait être strictement technique, sous l’euphémisme qu’il s’agit de postes librement désignés. Cette approche permet, comme nous l’avons vu à plusieurs reprises au cours des dernières décennies, à des personnes sans expérience ni connaissance des secteurs qu’elles doivent gérer d’occuper des ministères, des secrétariats d’État, des conseils, des directions générales ou des présidences de grandes entreprises publiques. Pendant ce temps, les véritables experts, les fonctionnaires qui connaissent réellement le problème en profondeur, sont relégués au rôle de simples conseillers tandis que les décisions sont prises, à d’honorables exceptions près, par des individus sans expérience (et parfois sans les connaissances les plus élémentaires) qui ont tendance à privilégier les aspects idéologiques ou politiques au détriment des questions techniques. Ce n’est qu’ainsi que l’on peut comprendre qu’il y a des déficiences accumulées au fil des ans, que des décisions urgentes sont retardées ou que le contexte d’une crise est utilisé comme un champ de bataille politique.

À l’automne 1982, après la crue catastrophique du Júcar et l’effondrement du barrage de Tous, le brillant humoriste Mingote a dessiné une caricature prophétique dans laquelle il prédisait le désintérêt avec lequel la classe politique s’efforcerait d’éviter des désastres similaires à l’avenir. 

Le 10 novembre 1982, après la catastrophe du barrage de Tous, le génial Mingote publiait cette caricature, dont la légende disait : « Ces catastrophes n’arrivent que tous les vingt ans, donc pendant vingt ans, nous n’aurons pas à réfléchir à ce que nous pourrions faire pour les prévenir. »

Aujourd’hui, 42 ans plus tard, nous pouvons faire la même réflexion, avec le même pessimisme face à l’avenir, mais avec un facteur aggravant supplémentaire. En effet, les politiciens d’il y a quatre décennies n’avaient pas l’effronterie et le cynisme d’essayer de cacher leur incompétence derrière l’argument inexplicable du changement climatique!

Références

• ALLEY, R.B. (2000): The Younger Dryas cold interval as viewed from central Greenland.- Quaternary Science Review 19, 213-226.

• BÜNTGEN, U., TEGEL, W., NICOLISSI, K., McCORMICK, M., FRANK, D., TROUET, V., KAPLAN, J.O., HERZIG, F., HEUSSNER, K.-U., WANNER, H., LUTERBACHER, J. & ESPER, J. (2021): 2500 Years of European Climate Variability and Human Susceptibility.- Science 311, 578-582, doi:10.1126/science.1197175.

• HUMLUM, O., SOLHEIM, J.-E. & STORDAHL, K. (2011): Identifying natural contributions to late Holocene climate change.- Global and Planetary Change 79, 145-156.

• KOELLE, D.E. (2015) https://vademecum.brandenberger.eu/klima/wissen/klima_zyklus.php#klima_zyklus_koelle_extra

• LJUNGQVIST, F. Ch. (2010): A new reconstruction of temperature variability in the extra-tropical Northern Hemisphere during the last two millennia.- Geogr. Ann. A 92 (3), 339-351.

• SCHLESER, G. & VOS, H. (1993): Larix sibirica, ein Archiv der Klimaforschung.- Jber. Kernforschungsanlage Jülich GmbH, 29-37

3 réflexions sur « Inondations de Valence : Quand la nature rappelle les leçons oubliées du passé »

  1. Excellente analyse extrapolable à d’autres domaines, notamment la gestion de l’énergie.
    J’en retiens notamment que quasi le seul métier qui n’exige pas de diplôme adéquat est celui de politicien.
    A titre d’exemple, en Belgique, deux de nos ministres de l’énergie ont pour formation respective: un diplôme de langues et de cultures africaines, et une expérience de journaliste sportif.

    1. Tiens je me suis fait la même réflexion ce week-end!
      Il devrait y avoir un permis d’exercer et aussi la possibilité au peuple puisque ce sont eux qui sont impactés, de pouvoir dire si tel ou tel politicien a bien oeuvré et pouvoir le radier ou non à vie de la vie politique.
      Ouste les incompétents!
      Force est de dire qu’en ce moment, on est gâtés en France!

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