par Jean-Pierre Schaeken Willemaers
Pour faire front aux pays expansionnistes, à ceux qui promeuvent le terrorisme, qui s’emploient à la désinformation systématique, qui violent les droits de l’homme ou qui s’activent à la désintégration des démocraties, les pays occidentaux privilégient les sanctions financières et économiques.
Les premières visent d’une manière générale à restreindre l’accès des pays ciblés aux flux financiers internationaux ou les en exclure, voire au gel de fonds.
Quant aux sanctions commerciales, elles peuvent porter sur les exportations ou les importations selon les cas, d’hydrocarbures, de matières premières, de technologies et de services ciblés, par exemple, les armes et matériels de guerre, les équipements nécessaires à l’exploitation du pétrole et les technologies clefs indispensables aux secteurs économiques clefs essentiels aux pays ciblés.
Mais quelle est l’efficacité de ces mesures ? Sont-elles à même de faire fléchir la politique de ceux qui les subissent ? Ne sont-elles pas préjudiciables pour ceux qui les imposent?
Avant de répondre à ces questions, il est bon de rappeler, pour situer le contexte dans lequel se positionne l’UE dans ses relations internationales, qu’elle subordonne toutes négociations d’alliance ou d’assistance avec des pays ou groupe de pays à un préalable intangible : le respect des droits de l’homme et une politique stricte anticorruption.
Cette position de principe, au demeurant fort louable, comme précondition est peu partagée dans le monde et fait des pays occidentaux et plus particulièrement de l’UE un groupe singulier, voire isolé. Elle contraste avec celle des BRICS[1], une association informelle et disparate regroupant actuellement 10 pays[2], dont les plus peuplés dans le monde, et toujours en expansion. Même si elle n’a guère de structure permanente de gouvernance commune et si la NDB (New Development Bank) créée en 2015, qui se veut une alternative au FMI, connaît une grave crise, il n’en reste pas moins qu’elle capte l’assentiment de nombreux pays dits du Sud.
Ce qui séduit le plus les pays espérant bénéficier d’un soutien au développement, c’est le principe de non-conditionnalité politique (initialement conçu et propagé par la Chine) qui préside à l’aboutissement d’accords de coopération ou de développement avec certaines puissances étrangères. Peu importe la nature du régime, de son orientation idéologique ou de son respect des droits fondamentaux. C’est ce qui fait toute la différence avec les mécanismes d’aides proposés par les EU ou les pays européens.
La Chine n’assimile-t-elle pas les exigences de l’Europe en matière de droits de l’homme et d’État de droit à une survivance de sa culture coloniale?
Depuis leur association informelle en 2009, c’est la Chine qui conçoit et architecture les BRICS. Son objectif final et désormais avoué n’est pas uniquement de coaliser les pays du Sud, mais, bel et bien, de bâtir un nouvel ordre mondial, dont elle serait l’épicentre.[3]
Parmi les pays ciblés par Washington et Bruxelles, la Russie est un cas d’école.
En effet, les sanctions portent sur quasi tous les secteurs de l’économie russe : gel des avoirs de la banque centrale de Russie et de nombreux hommes d’affaires russes, sanctions à l’encontre des institutions bancaires et financières du pays, interdiction d’exporter des technologies sensibles vers la Russie, embargo sur le pétrole et le charbon russes, etc.
Pour illustrer notre propos, passons en revue quelques-unes d’entre elles avec les conséquences qu’elles entraînent.
L’exclusion de la Russie du système Swift, le 12 mars 2022, c’est-à-dire du système de paiements internationaux permettant un échange de messages sécurisés relatifs aux transactions financières entre membres (les paiements réels sont traités par les banques et non par Swift), a conduit à la création par les banques russes d’un système alternatif de messagerie sécurisée : le SPFS. Lancé en 2014 par la banque de Russie, il propose le même service que Swift sans toutefois avoir la même importance tant s’en faut.
L’exclusion précitée est de nature à encourager le Kremlin à accélérer le développement de ce réseau alternatif de transfert d’informations bancaires au détriment des transactions en dollars réalisées par Swift.
Les Russes ont pour ambition d’intégrer son système avec le service équivalent chinois : le CIPS (Cross border International Payment System). À terme, l’objectif russo-chinois est d’embarquer dans leur réseau des pays émergents comme l’Inde et l’Iran et d’affirmer ainsi leur indépendance vis-à-vis des institutions financières américaines.
En outre, pareille sanction d’exclusion pourrait avoir un effet boomerang en mettant en difficulté nombre d’entreprises européennes et notamment françaises telles que TotalEnergie ou la Société Générale solidement implantées en Russie. Depuis plusieurs années, la France est le deuxième investisseur étranger dans le pays et le premier employeur, avec 160 000 employés.[4]
La New Development Bank et l’Asian Infrastructure Investment Bank sont d’autres instruments financiers, mais moins sujets aux pressions de la part des Occidentaux.[5]
D’autre part, le gel des avoirs russes et à fortiori la confiscation pure et simple nuit à la réputation de l’Occident. Plusieurs puissances émergentes, dont l’Arabie Saoudite, en ont déjà tiré les conséquences en diversifiant leurs propres réserves financières aux dépens du dollar, en mettant en place des mécanismes d’échanges commerciaux dans des monnaies alternatives. Ces nouvelles entités financières remettent en cause la centralité de l’Occident dans ce domaine.
D’une manière générale, le recours aux pressions politiques et économiques américaines et européennes pour contraindre d’autres pays à se conformer à leur politique qualifiée d’Antirusse et d’Antichinoise s’est clairement retourné contre l’UE et les EU. Loin d’isoler la Russie et la Chine, la « diplomatie » coercitive occidentale a aidé Moscou et Pékin à renforcer leurs relations en Afrique, en Asie et en Amérique du Sud. L’élargissement en cours des BRICS en est une parfaite illustration.
Malgré tous les efforts déployés par les États-Unis et par l’Union européenne, l’économie russe semble résister mieux que prévu.
Voici quelques raisons de cette résilience :
Pour pallier les sanctions financières, la banque centrale russe (BCR) a imposé des contrôles de capitaux et augmenté fortement les taux d’intérêt, ce qui a conduit à une forte appréciation du rouble. La diversification de ses réserves financières a permis à la Russie d’éviter le gel de l’ensemble de ses avoirs par les Occidentaux et leurs alliés en 2022. La BCR contrôle encore l’équivalent de 300 milliards de dollars en or et en yuan, ce qui correspond aux réserves totales de la Bundesbank.[6]
Outre les acquis de la politique de souveraineté économique menée depuis une dizaine d’années, un facteur récurrent expliquant la résilience de l’économie russe est la capacité de ses autorités à mener une gestion de crises efficace. Selon l’économiste russe Alexandra Prokopenko, les élites russes ont acquis un véritable savoir-faire qui découle des nombreuses crises auxquelles a dû faire face la Russie depuis des décennies.
En ce qui concerne les hydrocarbures, l’agence Bloomberg constate (décembre 2023) qu’avec 11 milliards de dollars par mois, les revenus de l’État russe provenant des exportations de ceux-ci en 2023 sont équivalents à ceux de 2021.[7]
L’Union européenne n’y est pas étrangère, malgré elle. En effet, une application stricte des sanctions sur les importations la priverait d’une fourniture abondante et relativement bon marché de gaz russe alors que la substitution par du GNL américain ou autres est à la fois compliquée, insuffisante et onéreuse.
Le déficit public russe a pu être maintenu à 1,9% du PIB grâce au retour de la croissance économique et aux revenus générés par les exportations, et ce malgré la croissance des dépenses liées à la guerre en Ukraine. Si les dépenses militaires ont augmenté en 2024 pour atteindre 106 milliards d’euros, elles ne correspondent qu’à 6% du PIB ce qui est important, mais ne peut être assimilé à une économie de guerre.[8]
La forte croissance économique russe s’accompagne d’une consommation des ménages particulièrement dynamique qui est permise par la baisse du chômage à des niveaux historiquement bas (moins de 3% de la population active).
En fait, la Russie se porte relativement bien. Elle joue un rôle de premier plan dans de nombreux secteurs stratégiques de l’économie mondiale : elle est l’un des trois producteurs et exportateurs d’hydrocarbures, l’un des principaux exportateurs de métaux non-ferreux et de céréales, mais aussi le premier exportateur de centrales nucléaires ou encore l’une des trois puissances spatiales. En 2023, la Russie a effectué 19 lancements dans l’espace contre seulement trois pour l’Europe dans son ensemble. Le pays est aussi le seul avec la Chine à disposer d’un écosystème national dans le domaine des nouvelles technologies de l’information grâce aux GAFAM russes, dont Yandex (un équivalent de Google) et de V Kontakte (un équivalent de Facebook)[9].
Bref d’une manière générale, l’échec des sanctions est notamment dû au fait qu’elles :
– sont aisément contournées soit par transit des exportations via des pays tiers ou par investissements directs dans ces derniers, brouillant ainsi l’origine des exportations ;
– stimulent de nouvelles initiatives des pays ciblés, par exemple, en encourageant l’industrie du pays à investir localement dans la fabrication des biens et services soumis à l’embargo ou à chercher de nouveaux partenaires commerciaux. Dans le cas de la Russie, il s’agit principalement de l’Inde et de la Chine.
Dès lors, est-il encore possible d’affirmer que les sanctions économiques sont efficaces et sans dommage pour l’Union européenne?
NOTES
[1] Brasil, Russia, India, China, South Africa.
[2] Les Brics passent de 5 à 10 membres et deviennent les Brics+, Géoconfluences, 9 novembre 2023.
[3] Les BRICS, un enjeu géopolitique ignoré de L’Union européenne, André Gattolin, Emmanuel Véron, Fondation Robert Schumann, 12 février 2024.
[4] Qu’est-ce que le système Swift, dont la Russie pourrait être exclue, Grégoire Sauvage, 25 février 2022.
[5] Le mirage des sanctions économiques, Edgar Carpenter, Fondation Jean Jaures, 30 mars 2022.
[6] Résilience de l’économie russe face aux sanctions, David Teurtrie, Revue de la défense nationale (RDN), 2024.
[7] Ibidem
[8] Résilience de l’économie russe face aux sanctions : éléments d’explication, David Teurtrie, CAIRN.INFO, 2024.
[9] Ibidem.
« » » » » »En ce qui concerne les hydrocarbures, l’agence Bloomberg constate (décembre 2023) qu’avec 11 milliards de dollars par mois, les revenus de l’État russe provenant des exportations de ceux-ci en 2023 sont équivalents à ceux de 2021.[7] » » » » » » ———– « » » » » les dépenses militaires ont augmenté en 2024 pour atteindre 106 milliards d’euros, » » » » » ————– Donc si je comprends bien ; les Russes dépensent toutes les recettes des exportations d’hydrocarbure pour financer les guerres en Ukraine
Merci à l’auteur de nous avoir rappelé les effets PERVERS des sanctions de ceux qui les édictent en se présentant tels des adeptes de la « bien-pensance » (c-à-d l’UE 27 clonée sur les US ) !
A ceux qui convertissent la pensée rationnelle & scientifique en tentatives de débats militaro-économiques… je leur conseille de scruter avec attention les graphiques accessibles (un article de juin 2024) via gooooogle sous la clé ci-dessous (copiez-collez SVP, puis pointez vers le site dreuz.info) :
seigneurs-de-la-guerre-les-plus-gros-exportateurs-darmes-au-monde-ne-sont-pas-ceux-que-vous-croyez-182069.html
Sinon ceux qui savent analyser la géopolitique et l’économie tangible, mieux que la climatologie : « »Voici les 10 pays qui exportent le plus d’armes dans le monde » » : L’insécurité ambiante et les conflits ouverts font vivre certains plus que d’autres !
(notez donc les comparaisons chiffrées d’armement, entre 2014 – 2023 ):
– USA (parts passées de 34 % à 42 % grâce aux conflits menés en UKR 2014-2023) !
– France (de 7,2 à 10,9 %…) – Russie (de 21% vers 10,5 % , en usage connu)…
– Chine (approx. 5,9 %) – Allemagne (6,3 vers 5,6 %)
– Italie ( de 2,2 vers 4,3%) – R-U (de 4,1 vers 3,7 %)
– Espagne (env. 2,7 %) – Israël (de 3,1 vers 2,4 %)
– Corée du Sud (env. 2 %)
Source = https://www.cnews.fr/monde/2024-03-14/voici-les-10-pays-qui-exportent-le-plus-darmes-dans-le-monde-1468236
Sans oublier la profonde corruption endémique des pouvoirs d’Ukraine revendant des « acquisitions d’appui accordées à grands frais occidentaux » vers des marchés extérieurs autant corrompus ! Sinistre n’est-ce pas ?
Ainsi, selon le rapport annuel de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm, publié le 13 mars, les importations d’armement ont quasiment doublé en 2022 sur le continent européen, tirées par les livraisons vers l’Ukraine, tandis que la France se conforte dans sa troisième position des plus grands pays exportateurs d’armes.
https://www.geo.fr/geopolitique/quels-sont-les-pays-qui-importent-et-exportent-le-plus-darmes-au-monde-213847
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AU TOTAL : QUI PAIE LA NOTE EXORBITANTE de toutes ces exactions ?
Au regard des faits chiffrés récents, ce sont les Etats-membres de l’UE (et UK) qui virent ainsi vers la sinistrose ! Tandis que ce ne sont pas le ventes d’armement (du faux couple DE et FR) qui renforceront nos pertes d’une compétitivité INDUSTRIELLE, c-à- d celle qui nous fait tant défaut dans UE27 … pour le plus grand profit des industries US et d’Asie !
De là à ce qu’un jour prochain ce soient les encouragements d’une « stimulation budgets R&D » flattée par M. Draghi qui aient à en souffrir (et ceux de nos universités ?) le pas n’est pas grand …
MIND SO, guys !