La transition électrique sous influence. La leçon de quatre pays européens

C’est sous l’emprise de telles perceptions tronquées que des systèmes électriques équilibrés, fournissant une électricité bon marché et non émettrice de gaz et/ou de particules indésirables, sont en train de basculer vers des mix électriques très onéreux, soumis aux aléas  de conditions météorologiques combien capricieuses et ne répondant pas à leur objectif fondamental d’assurer en tous temps l’équilibre entre l’offre et la demande d’électricité sans artifices hasardeux et coûteux.

Quelques pays de l’ouest européen disposant d’un système électrique répondant aux critères précités de stabilité, d’équilibre, d’économicité et de respect de l’environnement (largement nucléaire et hydraulique), la France, la Suède et la Suisse, illustrent particulièrement bien mon propos.

Commençons par la France qui s’est lancée très tôt dans l’électronucléaire et en a accéléré le déploiement à la suite de la crise pétrolière des années 70 pour des raisons économiques et d’indépendance énergétique.
Sa production actuelle [1] est principalement nucléaire et hydraulique avec une part dans le mix électrique, en 2019, de respectivement 70,6% (avant fermeture de Fessenheim) et de 11,2%, soit une production combinée, sans émission de GES (Gaz à Effet de Serre), de près de 82%.

Au début des années 2000, l’Etat français s’est lancé, dans le cadre de sa politique bas carbone, dans la production d’électricité d’origine éolienne  et photovoltaïque (dont les facteurs de charge sont très inférieurs à ceux des autres sources de production d’électricité)) avec soutien financier publique et avantages divers dont la priorité d’accès aux réseaux électriques et contrats d’achat garantis [2] de longue durée à des prix prohibitifs.

Le rapport de la CRE [3] à l’Assemblée nationale française, du 5 juin 2019, sur le soutien à l’éolien en France considère que cette politique est onéreuse, déséquilibrée, alimente des sur-rentabilités indues, présente un bilan économique et industriel peu satisfaisant et échappe partiellement au contrôle budgétaire de l’Etat.

L’obsession bas carbone culmine avec la Programmation Pluriannuelle pour l’Énergie (PPE) dont les décrets sont sortis en avril 2020, l’un des objectifs étant de réduire la part la part du nucléaire  dans la production d’électricité à 50% à l’horizon 2025 tout en augmentant fortement la part des énergies renouvelables.

Plutôt que de se focaliser sur le renouvelable pour atteindre les objectifs bas carbone, ne serait-il pas plus judicieux, dans un premier temps, d’allonger la durée de vie de réacteurs existants et/ou d’accroître significativement leur capacité sous conditions des investissements requis par les normes de sûreté ? Une telle alternative ne perturbe pas le fonctionnement des systèmes électriques et est nettement moins coûteuse par kWh que l’approche renouvelable, tout en étant une solution bas carbone. Nous y reviendrons ci-après.

En matières de coûts directs, le rapporteur de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie) indique que 72,7 à 90 milliards d’euros vont être investis pour une filière (éolienne) appelée à représenter 15% max de la production d’électricité en 2028 alors que 72 à 80 milliards d’euros ont été investis pour la construction initiale d’un parc nucléaire ayant assuré 71,7% de la production électrique en 2018.
Le rapporteur dénonce également le choix du gouvernement de privilégier le développement de la filière à l’équilibre des finances publiques.
En outre, la croissance des énergies renouvelables suscitera des besoins complémentaires en termes de flexibilité, de stockage d’énergie ou en termes d’effacement de consommation afin de gérer au mieux les périodes d’intermittence de ces énergies ainsi que les pics de consommation.

Voilà bien l’exemple d’une vaine gesticulation pour atteindre (peut-être) un objectif qui était déjà acquis.

Comme en France, la production électrique en Suède est principalement électrique et nucléaire : 65, 8 TWh nucléaire, 61,8 TWh hydro en 2018. L’éolien vient loin derrière avec 16,6 TWh tandis que la génération  thermique avec  15,027% est du même ordre de grandeur.  La production totale s’élève à 159, 6 TWh cette même année et l’approvisionnement total à 171,8 TWh. Ces dernières années, la part des productions  nucléaire et hydraulique est d’environ 40% du mix électrique pour chacun de ces modes de génération.
Malgré une électricité déjà bas carbone depuis plus de 20 ans, l’Etat suédois, promeut une énergie électrique renouvelable qu’elle voudrait développer aux dépens du nucléaire !

Le gouvernement suédois avait planifié de sortir complètement du nucléaire en 2040.
Mais ce projet n’est pas partagé par la population suédoise comme l’indique un sondage de 2019 : 78% (71% en 2017) sont fortement favorables au nucléaire et 45% sont ouverts à la construction de nouvelles centrales. Seulement 11% des sondés sont totalement opposés à l’électronucléaire [4].
A nouveau, on constate, de la part d’un gouvernement européen (envoûté par le récit anxiogène sur le réchauffement climatique d’origine anthropique), une compulsion d’alignement sur la doxa écologiste (aux dépens de la population qui n’a pas manqué de réagir) excluant le nucléaire pourtant non émetteur de GES et lui préférant le renouvelable intermittent en dépit de ses nombreuses lacunes. 

La production d’électricité en Suisse est quasi totalement exempte d’émissions de GES.
En 2018, les centrales suisses ont généré 63,1 TWh dont l’hydro (59%), le nucléaire (32%), le combustible bio et les déchets (5%), le solaire (3%) le gaz naturel (1%). Globalement les volumes des importations et des exportations s’équilibrent [5].  
Tous les réacteurs suisses ont fait l’objet d’une augmentation de capacité.

Le référendum de 2017 portant, entre autres, sur le retrait progressif du nucléaire (toutefois,   l’exploitation des unités nucléaires existantes n’est pas limitée dans le temps pour autant que leur sûreté [6] soit conforme aux normes définies par le régulateur, ce qui atténue, à court/moyen terme, fortement l’impact de la décision)  et une croissance de la production éolienne et hydraulique, a été approuvé par 58% de la population, contrairement à ce qui s’est passé en Suède.

Cela n’empêche pas de tirer des conclusions analogues à propos de la modification du mix électrique suisse en faveur du renouvelable intermittent que celles concernant la Suède. 

À l’inverse des pays précités, certains Etats européens ont préféré la raison et le pragmatisme aux manipulations idéologiques. La Finlande en est la meilleure illustration.

La production d’électricité en Finlande s’élevait à 67,5 TWh en 2018, soit 2,5 TWh de plus que l’année précédente dont 1,7 TWh générés par les combustibles fossiles et la tourbe. 
La part du renouvelable était de 46,2 %, soit 31,2 TWh – dont  13,1 TWh d’hydraulique,   12,2TWh d’éolien et de solaire et 5,9 TWh de bio-bois – au lieu de 47,2 % en 2017. La part du nucléaire était de 32 % ( 21,8 TWh), le reste (13.7 TWh) provenant de combustibles fossiles gaz, charbon et tourbe.

Les quatre réacteurs (deux réacteurs à eau bouillante exploité par TVO, Olkiluoto 1&2, et deux PWR russes VVER par Fortum Corporation) en fonctionnement sur deux sites sont parmi les plus performants du monde avec un facteur de capacité moyen de 95% sur les dix dernières années.

La durée de vie  des deux réacteurs  de TVO a été allongée, après 30 ans de fonctionnement, jusqu’à 60 ans, sous condition d’une évaluation décennale de sûreté,  et leur puissance augmentée: de 660 MW à 880 MWe.  En janvier 2017, TVO avait introduit une demande de prolongation de la licence d’exploitation de 20 ans supplémentaires qui a été approuvée par le gouvernement finlandais en septembre 2018 [7].

Une cinquième unité nucléaire, Olkiluoto 3 (troisième réacteur sur le site de Olkiluoto), est en cours de construction. La mise en service de cette nouvelle unité est prévue en mars 2021 après de nombreux reports (la première depuis une décennie). 
Cette dernière ainsi que l’octroi du permis de bâtir pour une sixième unité, dont question ci-après, ont été préférés à d’autres modes de production pour des raisons économiques, environnementales et de sécurité d’approvisionnement. Les autorités finlandaises ont considéré que le nucléaire est la meilleure solution pour répondre à la demande d’électricité.

Le 21 avril 2010, le gouvernement finlandais décida d’accorder à Fennovoima [8] le permis de construction d’une 3èmecentrale nucléaire équipée d’un réacteur AES-2006 (évolution la plus récente de la classe VVER russe ) de 1200 MWe(décision approuvée par la parlement le 1er juillet 2010) sur le site de Pihäjoki au nord de la Finlande. La participation de Rosatom via sa filiale Rusatom s’élève à 35%. La construction devrait commencer en 2021(avec donc un grand retard), l’achèvement n’étant pas attendu avant 2028.

Selon un sondage de décembre 2017 réalisé par Norstat auprès de résidents de Pihäjoki et de ceux des régions voisines, le projet est soutenu par respectivement 75% des premiers et 71% des autres. La vision de la population finlandaise sur la production nucléaire et la construction de nouvelles centrales nucléaires a également évoluée positivement au niveau de la nation.
Un récent sondage indique que 45% de la population estime que le nucléaire est  une manière respectueuse de l’environnement de produire de l’électricité, et 30% ont un avis opposé [9].

Plutôt que de se lancer dans une politique  délétère du tout renouvelable accéléré, la Finlande a choisi une alternative originale et pragmatique lui donnant le temps d’élaborer un système électrique efficace, mettant à profit les progrès technologiques sans à priori, et respectueux de l’environnement, répondant au mieux aux besoins d’une économie numérisée (grande consommatrice d’électricité) et au bien-être de sa population.

D’autres pays européens ne seraient-ils pas susceptibles de s’inspirer du modèle finlandais et faire preuve de plus de pragmatisme?

NOTES

1 La production totale française était de 537,7 TWh ( 537 milliards de kWh) en 2019

2 Les prix garantis ont été remplacés, le 1er janvier 2016, par un dispositif de complément de rémunération dont l’accès varie selon la taille du parc éolien.

3 Autorité indépendante chargée de garantir le bon fonctionnement des marchés français de l’énergie au bénéfice du consommateur.

4 Swedish support for nuclear continues to grow, poll shows, World Nuclear News-WNN, 26 November 2019.

5 Electricity information, International Energy Agency, 2019.

6 En novembre 2016, un référendum à l’initiative des verts proposait que tous les réacteurs soient arrêtés après 45 ans de fonctionnement. Il fut rejeté par une majorité de 54%.

7 World Nuclear Association, Nuclear Power in Finland, updated 2020.

8 Fennovoima est une joint venture entre RAOS Voima Oy, une filiale de Rusatom et SF energy, un consortium d’entreprises industrielles finlandaises.

9 People’s opinions matter- Public acceptance towards nuclear power is increasing in Finland, Tina Rykty, 8 February 2018.

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