Brigitte Van Vliet-Lanoë, Directeur de Recherche CNRS émérite
Major sudden stratospheric warming in Antarctica: the relationship between the polar vortex and ozone in the countervortex
(English version)
La couche d’ozone est normalement localisée entre 10 et 40 km d’attitude. L’ozone naturel (hors pollution anthropique) est surtout formé à basse altitude par les orages, les fumées des feux de forêts plus particulièrement dans la zone intertropicale et, au-dessus de la glace des grandes calottes. Les données du site web Copernicus s’avèrent un excellent complément pour la compréhension des Réchauffements Stratosphériques Soudains (RSS). Le réchauffement du vortex polaire et complexe (SCE, 2024) est lié à la destruction de l’ozone sous contrôle par les particules importées par des vents solaires, notamment en période de forte activité solaire et surtout d’émissions de masses coronales (CME).
INTRODUCTION
L’amincissement hivernal classique de la couche d’ozone, alias « le trou », est lié à la réaction de l’ozone avec le chlore stratosphérique, comme après l’éruption du Hunga Tunga en 2002 avec aussi un très grand trou en 2023. Cette réaction chimique exothermique se produit principalement à la surface des cristaux de glace stratosphériques sous l’action des rayons UV solaires en été ou sous l’impact du flux de particules solaires seulement en hiver. C’est un phénomène naturel qui existe depuis le Miocène (âge d’installation des glaciers antarctiques) (voir ici). Au printemps, la destruction de l’ozone est très importante en présence des UV solaires, surtout après l’équinoxe ; l’atmosphère antarctique est à cette période enrichie de cristaux de glace injectés dans la stratosphère via le vortex cyclonique polaire, tout comme lors de Hunga Tunga. En hiver l’impact des UV étant nul, cette réaction doit donc être attribué au flux particulaire solaire (vent solaire). En raison de l’isolement climatique de l’Antarctique, l’ozone détruit dans la couche d’ozone (10-40 km) ne serait pas remplacé par des apports extra-régionaux.
LES OBSERVATIONS
Selon la modélisation CAMS (Figure 1) du 7/10 on voit très bien une concentration en basse stratosphère de l’ozone troposphérique via l’action des vents, plus particulièrement le jet stream polaire, ce qui aboutit à un gainage du vortex stratosphérique par une couche d’ozone, surépaissi à proximité de la bordure et des parois du cyclone du vortex. L’ozone est pompé par le bord externe du vortex à partir des zones intertropicales (vers 1500m, base des orages), puis brassé par le jet stream antarctique (Figure 1). Il existe bien une connexion avec l’ensemble de la troposphère.
Nos observations récentes du 5-8 octobre 2024 confortent notre interprétation initiale des RSS (SCE, 2024) et montrent que le vortex a été comprimé par la formation d’un antivortex. Les vents au contact entre les deux sont accélérés par un effet Venturi, induisant une élongation du vortex (Figure 2). Ces vents ont atteint 418 km/h et ont été associés à une augmentation notable de la température dans la zone accélérée (-4°C) et plus modeste dans le vortex (-38 °C au lieu de -80°C) et dans l’antivortex (-27°C) et des vents affaiblis du vortex (343 km/h) et de l’antivortex (Figure 3).
Figure 1 : Alimentation en ozone (orange à vert) de la basse stratosphère, le 7 octobre 2024 (Copernicus Atmospheric Model Service / CAMS).
L’accumulation d’ozone est flagrante en octobre 2024, au niveau de l’antivortex (Figures 1 et 2) et un maximum a été atteint le 8/10/24 d’après les températures et les vitesses en baisse dans la zone de convergence vortex-antivortex (effet Venturi). Celles-ci favorisent une destruction rapide de l’ozone en l’absence hivernale de rayonnement UV (SCE, 2024). La destruction importante de l’ozone dans l’antivortex ne peut avoir lieu que si le vent solaire est puissant et cantonné dans le cornet magnétique polaire antarctique.
En 2024, le trou d’ozone hivernal au-dessus de l’hémisphère sud a été plus petit que d’habitude. l’Antarctique a connu deux événements de réchauffement stratosphérique soudain de faible puissance en juillet et août 2024. Les températures de juillet 2024 dans la stratosphère au-dessus de l’Antarctique sont généralement autour de moins – 80°C. Une série d’événements de RSS est apparue en 2024, notamment le 7 juillet en association avec une élongation notoire du vortex : les températures la stratosphère à 10hPa ont grimpé à -65°C, générant un record pour les températures hivernales les plus chaudes observées dans la stratosphère de la région antarctique. La température a ensuite baissé le 22 juillet avant de remonter à -63°C le 5 août.
Figure 2 : 7 /10/2024 L’accumulation d’ozone est flagrante au niveau de l’antivortex. Ce pompage est en relation avec un péristaltisme lié à la rotation du vortex écrasé par l’antivortex. Source Copernicus, CAMS). Noter que le 8/10, la rotation du contrevortex affecte la couche d’ozone.
Des températures supérieures à 4 °C par rapport à la moyenne de juillet ont couvert de grandes parties du continent antarctique, et de l’ensemble de la région antarctique, et, l’anomalie thermique a également été observée dans le Sud de l’Australie et en Tasmanie. Pour le mois d’août en Australie, le record thermique troposphérique de 1919 a été battu, et associé à des incendies de forêt (que les évènements du 7 juillet et du 5 août 2024 sont associés avec de pics de vents solaires de faibles magnitudes 680 et 720 km/s.
Pendant l’hiver austral, deux centres anticycloniques se sont formés dès fin juin 2024, l’un au sud de l’Australie, l’autre sur le sud de la Terre de Feu. Ce sont des anticyclones ou antivortex, les structures de base pouvant générer un RSS (SCE, 2024). Un vrai RSS, avec un configuration vortex-antivortex est un phénomène rare dans l’Hémisphère sud.
Figure 3 : A) image des vents du Vortex ; B) des températures, le chaud est en bleu) selon https://earth.nullschool.net/; C) ozone total le 7/10/24, Copernicus ; D) couche d’ozone (en jaune) percée et modelée par le vortex (5 août ; NASA). Noter l’élongation en cours du trou (vortex).
Il vient de se produire le 6 octobre 2024 avec une température de -4°C (au lieu de -80°C) dans la zone de contact entre le vortex et l’antivortex, en relation avec une activité solaire majeure. Le phénomène qui s’est développé le 5 octobre et fait suite à deux pics très rapprochés de vents solaires, l’un au cours de la nuit du 1 au 2 octobre (X7.1 CME) est lié à une éjection coronale de masse solaire (CME), et celui du 3 octobre (X9.05 CME), une éjection orientée vers la Terre, qui représente l’éruption solaire la plus forte du cycle solaire actuel (cycle 25). La dernière fois que nous avons eu des éruptions solaires plus grande que celle-ci remonte à 2017 dans cycle solaire 2. Il s’agit en fait de la plus forte éruption solaire en 7 ans. Le pic de vent solaire a atteint la Terre le 4 octobre 2024 et n’a pas dépassé 600 km/s. L’accumulation d’ozone est flagrante au niveau de l’antivortex qui est emballé côté vortex par la concentration de ce gaz (Figures 2 et 3). Ce pompage d’ozone est en relation avec un peristaltisme lié à la rotation du vortex, lui-même écrasé par celle de l’antivortex (Figures 2 et 3C).
CONCLUSIONS
Pour conclure, en 2024, hormis les évènements décrits, le trou d’ozone au-dessus de l’hémisphère sud a été plus petit qu’en 2023. La formation du vortex, même petit, entraîne l’ozone des basses latitudes troposphériques et celle formée en altitude au-dessus des calottes glaciaires vers les régions polaires stratosphériques. Le changement de circulation stratosphérique lors d’un RSS est systématiquement associé à l’exacerbation d’un contrevortex, enrichi en ozone destructible, sous l’impact de décharges de vents solaires rapides chargés en particules solaires. En plus du réchauffement Venturi entre les vortex et contrevortex, la réaction exothermique de destruction de l’ozone, est responsable des épisodes de réchauffement rapides (Figure 4, SCE, 2024).
Figure 4 : Schéma de formation d’un RSS ( SCE, 2024)
Cette chaleur est ensuite dissipée vers la basse troposphère, provoquant jusqu’ici des canicules inexpliquées. Vu la position longitudinale du contrevortex, il faut s’attendre dans les prochains jours à une canicule grave sur le Sud de l’Australie, la Tasmanie et probablement sur l’île Nord de la Nouvelle Zélande. Par conséquent, les RSS sont des phénomènes naturels issus essentiellement de l’activité solaire, mais la pollution atmosphérique liée aux activités humaines peut en accentuer l’intensité.
Vaut mieux que le réchauffement soit stratosphérique que troposphérique ; le CO2 en prendra un coup