Le CO2 dans les basses couches atmosphériques (partie 1)

Certains climatologues estiment, sur la base de modèles informatiques, que l’augmentation de la teneur en  CO2  dans l’atmosphère pourrait avoir une influence sur le climat. Avant d’aborder ce problème il est important d’analyser le comportement de ce gaz dans les basses couches atmosphériques.

A cette fin envisageons une boîte opaque contenant, à l’abri de tout rayonnement extérieur, une certaine quantité d’air sec à 15°C et à la pression d’une atmosphère. Dans cette boîte 78 % des molécules sont des molécules d’azote N2  et 21 % sont des molécules d’oxygène O2. Le  troisième constituant par ordre d’abondance est l’argon Ar (environ 1 % des molécules). Les molécules de CO2 n’interviennent que pour environ 0,04 %. Toutes ces molécules n’ont pratiquement pas d’interaction entre elles, si ce n’est qu’étant en constante agitation elles entrent en collisions les unes avec les autres lors de chocs dont la plupart sont élastiques (avec conservation de l’énergie cinétique).  La théorie cinétique des gaz permet de calculer qu’à la température de 15°C les molécules de l’air sont animées de vitesses de l’ordre de 500 m par seconde (voir fig. 1, courbe à 300 K) et qu’à cette température et à la pression d’une atmosphère chacune subit plusieurs milliards de collisions par seconde. De plus, ces molécules présentent une large distribution de vitesses qui est fonction de la température  en accord avec la loi de Maxwell-Boltzmann (Fig. 1).

Fig. 1  Loi de distribution des vitesses de Maxwell-Boltzmann

Les molécules de l’air ne sont pas seulement animées de mouvements de translation. Si elles disposent de l’énergie suffisante elles peuvent aussi entrer en vibration avec variation rapide et périodique des longueurs ou des angles de leurs liaisons interatomiques. Contrairement aux mouvements de translation dont l’énergie peut varier d’une manière continue seuls certains niveaux énergétiques de vibration sont permis. La mécanique quantique nous apprend, en effet, que l’énergie de vibration ne peut varier de manière continue. A chaque fréquence de vibration permise est associée une énergie qui peut être déterminée expérimentalement par spectroscopie d’absorption dans le domaine infrarouge ou Raman. Les molécules biatomiques  N2 et O2 sont très rigides et ne vibrent pratiquement pas à 15°C. Par contre, les molécules triatomiques de CO2, linéaires à l’état fondamental O=C=O,  peuvent se  déformer facilement et devenir anguleuses en vibrant. L’énergie de cet état de vibration peut être calculée à partir de la bande d’absorption détectée à 15 µm dans le spectre infrarouge du CO2  grâce  à la relation Ev = hc /λ (où h est la constante de Planck, c la vitesse de la lumière et la longueur d’onde du rayonnement absorbé, dans ce cas 15 µm). Cette valeur n’est que de 30 % supérieure à l’énergie cinétique moyenne des molécules environnantes N2 et O2 qui, d’après la théorie cinétique des gaz,  vaut Ec = 5/2 k T (où k est la constante de Boltzmann et T la  température en Kelvin). Or, beaucoup de molécules ont une vitesse et donc une énergie cinétique supérieure à la moyenne comme l’indique la fig. 1 (la vitesse moyenne est très proche du maximum de la courbe de distribution des vitesses).

En l’absence d’une source extérieure de rayonnement l’énergie nécessaire pour exciter la vibration de CO2  ne peut provenir que de l’énergie d’agitation thermique du milieu ambiant. La quantification de l’énergie n’intervenant  pas au niveau des mouvements de translation les énergies cinétiques de translation Ec = mv2/2 présentent une large distribution continue semblable à celle illustrée sur la fig. 1. La fonction mathématique correspondant à ces courbes permet de calculer qu’à 15°C plus de 40 % des molécules N2 et O2 ont suffisamment d’énergie cinétique pour amener les molécules de CO2 à leur plus bas niveau de vibration lors d’une collision inélastique (sans conservation de l’énergie cinétique). Dans ces conditions  il y a conversion d’une fraction ∆ de l’énergie cinétique de translation des molécules N2 ou O2 en énergie de vibration du CO2 :

∆Ec (translation) de N2    +    CO2    ↔    ∆Ev (vibration) de CO2   +   N2         (1)

Ce ne sont évidemment pas toujours les mêmes molécules de CO2 qui sont en état de vibration car cette conversion est réversible et les molécules se désactivent endéans quelques microsecondes pour retourner à l’état fondamental  lors de nouveaux chocs avec les molécules environnantes qui, de ce fait, acquièrent temporairement un surcroît d’énergie cinétique de translation.

Il existe donc un équilibre dynamique résultant des très nombreuses collisions. Il ne dépend que de la température et de la pression (par le biais de la distribution des énergies et du nombre de chocs entre molécules). Quoique ce ne soient pas toujours les mêmes molécules de CO2 qui vibrent la proportion de molécules en état de vibration reste constante à une température et une pression déterminées (environ 40 % à 15°C et à la pression d’une atmosphère).

Les molécules de CO2 amenées à l’état de vibration pourraient-elles se désactiver par réémission du rayonnement de 15 µm correspondant à l’excédent d’énergie de ce niveau par rapport à l’état fondamental ? Un tel phénomène de désactivation radiative est bien connu entre niveaux d’énergie électronique et est appelé fluorescence mais il n’a été observé entre niveaux d’énergie de vibration qu’à très haute altitude à des pressions extrêmement faibles (voir paragraphe 2c  ici ). La raison en est qu’en solution ou en phase gazeuse à des pressions voisines d’une atmosphère la  désactivation radiative ne peut entrer en compétition avec la désactivation par collisions que pour des états excités de très courte durée de vie (10-9 à 10-7 s). Ces derniers  peuvent alors émettre un rayonnement avant qu’une collision inélastique se produise. Ce n’est pas le cas des états de vibration dont la durée de vie est de l’ordre des millisecondes. L’équilibre (1) ne sera donc pas modifié si certaines molécules de CO2, en plus  des collisions dues à l’agitation thermique, étaient excitées par absorption d’un rayonnement de longueur d’onde appropriée λ (15 µm en l’occurrence) car cet apport d’énergie serait rapidement converti en un surcroît d’énergie de translation des molécules environnantes. Le fait qu’à 15°C et à la pression d’une atmosphère les molécules de CO2  à l’état de vibration ne peuvent se désactiver par réémission d’un rayonnement  est une conclusion essentielle pour comprendre l’influence que ce gaz pourrait avoir sur le climat.

 

 

 

7 réflexions sur « Le CO2 dans les basses couches atmosphériques (partie 1) »

  1. « à 15°C plus de 40 % des molécules N2 et O2 ont suffisamment d’énergie cinétique pour amener les molécules de CO2 à leur plus bas niveau de vibration lors d’une collision inélastique ».

    Svp, puis-je avoir une analyse un peu détaillé d’où cette valeur de >40 vient ?

    1. Merci pour votre commentaire qui me permet de corriger une valeur qui, dans l’article auquel vous vous référez, résultait d’une approximation dans l’utilisation de l’équation de distribution des vitesses de Maxwell-Boltzmann.

      Cette valeur a été corrigée dans une note ultérieure http://www.science-climat-energie.be/2020/12/11/leffet-de-serre-et-le-bilan-energetique-de-la-terre/ et les 40 % ont été réduits à 20 %. J’écris au paragraphe 2.4 de cette nouvelle référence :

      L’importance des mouvements de vibration et de rotation des molécules atmosphériques dépend de la température. Toutes ces molécules peuvent subir, à des degrés divers, des mouvements de vibration et de rotation si elles disposent de l’énergie suffisante. En l’absence de rayonnement extérieur, par exemple dans une boîte opaque, cette énergie provient du milieu ambiant sous l’action des nombreuses collisions qui sont un moyen d’échange énergétique. On peut calculer grâce à la relation Ev = hc/λ (où h est la constante de Planck, c la vitesse de la lumière et λ la longueur d’onde du rayonnement absorbé) les énergies requises pour provoquer les transitions de vibration de CO2 à 15 µm et de H20 à 6,3 µm. D’autre part, on peut calculer par la relation Et = mv2/2 quelles devraient être les vitesses des molécules N2 à 15° C pour atteindre ces énergies c’est-à-dire pour que Et = Ev. On trouve respectivement environ 700 m/s pour exciter la vibration de CO2 et 1100 m/s pour exciter la vibration de H2O. L’intégration de la fonction de distribution des vitesses de Maxwell-Boltzmann montre qu’à 15 °C, 20 % des molécules N2 ont une vitesse supérieure à 700 m/s et 1 % une vitesse supérieure à 1100 m/s. En fonction du principe d’équipartition des énergies on en déduit qu’à 15° C statistiquement 20 % des molécules CO2 seraient en état de vibration mais seulement 1 % des molécules H2O.

  2. Merci pour votre réponse éclairante.
    Dans l’ensemble, le texte constitue un bon point de départ pour comprendre le rôle de la température et des collisions dans l’excitation des vibrations moléculaires. Mais je pense qu’il est important de rappeler que l’énergie d’activation (Ea) est un concept distinct et qu’elle est toujours supérieure ou égale à l’énergie du rayonnement absorbé (Ev).
    Or, le texte suppose peut-être un scénario simplifié dans lequel toute l’énergie gagnée lors de la collision (équivalente à l’énergie cinétique Ec de la molécule de N2) est directement canalisée dans la vibration spécifique. Si l’absorption d’un photon d’énergie Ev = h · c / λ fournit à la molécule une énergie supplémentaire, toute cette énergie n’est pas directement utilisée pour la réaction souhaitée car une partie de l’énergie peut être perdue en raison de collisions ou de réarrangements internes au sein de la molécule. Par conséquent, la molécule doit surmonter une barrière énergétique supplémentaire (soit l’énergie d’activation Ea) avant de pouvoir subir la réaction spécifique.
    Dans le texte, il est suggéré de calculer la vitesse des molécules de N2 nécessaires pour avoir une énergie (Et) égale à l’énergie vibratoire (Ev) du CO2 et du H2O. Cela ne se traduit pas directement par l’énergie d’activation de ces vibrations (car Ea>Ev).

    S’il semble raisonnable (mais j’aimerais en avoir la confirmation) de supposer une valeur de Ea supérieure de 30 % à celle de Ev, alors qu’il en soit ainsi :
    En = 6.62607015 · 10^-34 · 2.998 · 10^8 / (15 · 10^-6) ≈ 1.986 · 10^-25 / (15 · 10^-6) ≈ 1.320 · 10^-20 J
    Ea = 1.320 · 10^-20 · 1.3 = 1.716 · 10^-20 J
    La masse moléculaire de N2 en kg étant égale à mN2 = 28 · 1.66053904 · 10-27 ≈ 4.64950651 · 10^-26 kg, on trouve la vitesse de vN2 = (2 · 1.716 · 10^-20 / 4.64950651 · 10^-26)-2 ≈ 859.15 m s-1 pour exciter la vibration de CO2.
    Cette valeur est supérieure à celle de 700 m s-1, ce qui implique une fraction inférieure à 20% de molécules de N2 ayant une vitesse supérieure à celle nécessaire pour exciter la vibration du CO2.

    Je vous serais reconnaissant de bien vouloir confirmer ce raisonnement et les calculs correspondants.

    1. Votre calcul est correct mais votre hypothèse de départ est fausse car il n’y a pas lieu d’envisager une énergie d’activation dans le cas d’un transfert d’énergie entre molécules. Le concept d’énergie d’activation intervient dans des réactions chimiques lorsque la transformation des réactifs en produits implique le passage par un complexe transitoire « activé » dans lequel certaines liaisons entre atomes se rompent alors que d’autres se forment. Cela n’intervient PAS dans le cas d’un transfert d’énergie entre molécules au cours duquel aucune liaison entre atomes n’est modifiée.

  3. Merci d’avoir relevé ma faute. En effet, j’ai pris le raccourci d’appliquer le concept d’énergie d’activation, qui s’applique aux réactions chimiques transformant les réactifs en produits, au transfert d’énergie entre molécules. En réalité, je voulais souligner qu’au cours de ce transfert, plusieurs processus peuvent entraîner des pertes d’énergie, tels que les collisions avec d’autres molécules environnantes, les réarrangements internes dans la molécule réceptrice, ou les conversions en d’autres formes d’énergie. Ainsi, une énergie additionnelle serait nécessaire pour compenser ces pertes d’énergie lors du transfert entre molécules, afin de garantir que la quantité d’énergie requise pour initier la vibration spécifique dans la molécule réceptrice soit adéquate malgré les pertes éventuelles. J’apprécierais une confirmation de la validité de ce raisonnement et, le cas échéant, une estimation de cette fraction d’énergie requise.

    1. Votre idée d’énergie « additionnelle » n’a aucun sens. Dans les basses couches atmosphériques, à des températures voisines de 15° C et à des pressions de l’ordre de 1 atm, les molécules de l’air subissent chacune environ 7.10^9 collisions par seconde (d’après la théorie cinétique des gaz). Lors d’une collision inélastique (sans conservation de l’énergie cinétique totale) avec des molécules N2 (ou O2) suffisamment rapides, certaines molécules de CO2 à l’état fondamental sont excitées à l’état de vibration par un transfert d’énergie T-V (translation-vibration). On estime, sur base de données expérimentales, que seulement 0,001 % des collisions sont de ce type mais 7.10^4 collisions inélastiques par seconde reste un nombre considérable. Si cela peut vous rassurer, la plupart des collisions ne sont donc PAS efficaces sans que cela n’implique l’intervention d’une « énergie d’activation » pour les autres.

      En sens inverse, des molécules de CO2 à l’état de vibration peuvent se désactiver par collisions inélastiques lors d’un transfert d’énergie V-T. Globalement il existe un équilibre dynamique entre excitation et désactivation (équation (1) de l’article auquel vous vous référez) tel que la proportion de molécules de CO2 à l’état de vibration soit de 20 %. Cette proportion (résultant de la distribution des vitesses de Maxwell-Boltzmann, voir réponse un de vos précédents commentaires) ne dépend que de la fréquence des collisions et donc de la température et de la pression. Elle ne sera PAS perturbée si, en plus des collisions, certaines molécules de CO2 sont excitées par absorption d’une fraction du rayonnement thermique de la Terre.

      1. Merci d’avoir mis de l’ordre dans mes idées et merci pour le service que vous nous rendez. J’ai hâte de continuer à lire vos articles.

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