Une opportunité pour un nécessaire reformatage du système électrique ?
par Jean-Pierre Schaeken Willemaers
L’affaiblissement considérable des partis verts tant au niveau de l’Union que des États membres sont la conséquence, entre autres, de leur obsession de vouloir imposer une conception aberrante du système énergétique et de leur désintérêt des dommages socio-économiques qui en résultent.
Fondée sur l’élimination accélérée de toutes formes d’énergies fossiles et sur leur suspicion à l’égard du nucléaire civil, la politique électrique des adeptes de l’absence totale d’émissions de GES d’origine anthropique d’ici à 2050 se focalise essentiellement sur l’éolien, le photovoltaïque, la biomasse, la géothermie dans une moindre mesure et dans un futur plus ou moins lointain, l’hydrogène, en plus de l’hydraulique (centrales de pompage-turbinage).
Il est évident que cette conception de l’avenir du système électrique européen est appelée à évoluer.
La tendance à moins d’idéologie et à plus de pragmatisme est confirmée par les résultats des élections européennes de cette année. La voie est dégagée pour adopter une production électrique qui permette à l’UE de retrouver sa place de grande puissance, une énergie abondante, fiable, continue, diversifiée et bon marché étant la base de sa prospérité
Nous proposons donc d’analyser les différents types de production d’électricité actuels, de dégager leurs vertus et lacunes respectives pour tenter d’en déduire le mix électrique qui est censé être adopté à la suite de l’évanescence des partis verts tant au niveau de l’Union européenne que des États membres.

La production d’électricité « bas carbone »[1] : non intermittente
Il s’agit essentiellement d’électricité produite par des centrales hydrauliques, à partir de combustible nucléaire, de biomasse et, dans un futur plus ou moins lointain, d’hydrogène.
La biomasse
La biomasse n’est pas la panacée considérée par ceux qui veulent la fin rapide du recours aux énergies fossiles. En effet, elle présente les désavantages suivants :
– un pouvoir calorifique nettement inférieur à celui du gaz naturel et du charbon;
– sa combustion dégage du monoxyde de carbone et des oxydes d’azote;
– un entreposage spécifique et donc coûteux pour les pellets, copeaux de bois et paille;
– les sources de biomasse prélevées doivent être utilisées rapidement à peine de devenir non renouvelables.[2]
– selon John D. Sterman, chercheur au MIT, brûler du bois émet plus de CO2 que brûler du charbon. Ce dioxyde de carbone n’est jamais réabsorbé à 100 % par la repousse de la forêt, et, pendant son séjour dans l’atmosphère, il contribue au réchauffement du climat et à l’acidification des océans.[3]
Les subventions gouvernementales accordées aux utilisateurs de bois (considéré comme neutre en carbone) ne font qu’aggraver la situation.
La biomasse n’apparaît dons pas comme une solution au verdissement de notre planète.
L’hydrogène
L’hydrogène est de plus en plus cité comme une des solutions pour atteindre les objectifs de la politique « bas carbone » européenne. Qu’en est-il dans en réalité?
La fabrication d’hydrogène par électrolyse de l’eau (procédé retenu dans le cadre du pacte vert)) consomme près de sept fois plus d’énergie qu’à partir de méthane (processus conventionnel actuel), d’où un coût très élevé. Cet hydrogène doit ensuite être comprimé jusqu’à 750 bars pour réduire le volume qu’il occupe, ce qui entraîne une autre consommation importante d’énergie, avant d’être converti en électricité dans une pile à combustible, dont le rendement est d’environ 50%.
Le coût de l’électricité ainsi produite est nettement plus cher que celui d’une génération à partir de méthane.
En outre, il faut rappeler que l’hydrogène est dangereux à cause de sa grande volatilité. Son utilisation implique des mesures de précaution très spécifiques et donc augmente son coût.
Le nucléaire
Après avoir été l’objet de craintes irrationnelles de la part d’une partie de la population et du monde politique européen, l’électronucléaire est à nouveau reconnu comme vertueux.[4]
La neuvième édition (2020) du rapport sur les coûts de l’électricité (LCOE) de l’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) et de l’OCDE-NEA, constate que le nucléaire est l’énergie « bas carbone » la plus compétitive et qu’en conséquence, prolonger la durée d’exploitation des centrales nucléaires est la source la plus rentable de production d’électricité à faible émission de carbone.
D’autre part, une extension de 20 ans de l’exploitation des réacteurs de deuxième génération (actuellement en fonctionnement) permettrait de les remplacer, au bout de cette période, par ceux de quatrième génération. Ces derniers représentent un véritable saut technologique par rapport aux nouveaux réacteurs actuels de troisième génération, en particulier ceux à neutrons rapides. Ils sont nettement plus performants et plus sûrs, réduisent fortement les déchets de haute activité et permettent le bouclage complet de l’aval du cycle par un multirecyclage du plutonium, permettant ainsi de préserver les ressources en uranium. [5]
Le coût de production de l’électricité d’origine nucléaire est du même ordre de grandeur, voire meilleur marché que celui des autres sources d’électricité « verte » en tenant compte de toutes les dépenses associées telles que le stockage d’énergie , le renforcement des réseaux de transport électriques et le recours aux matériaux rares, voire aux terres rares (coût et disponibilité) pour le renouvelable intermittent, l’extraction du combustible pour le nucléaire, le démantèlement des installations en fin d’usage, etc.
La filière nucléaire est non seulement bénéfique pour l’économie, mais également pour l’emploi. Ainsi, en France, c’est 220 000 postes de travail, dont 125 000 directs.[6]
La production d’électricité « bas carbone » : intermittente
Le mix électrique des modèles européens, visant à 100% de renouvelables d’ici à 2050, réserve une place prépondérante aux sources d’énergie éolienne et photovoltaïque (l’éolien étant prédominant), c’est-à-dire des productions intermittentes.
La production d’électricité éolienne
On peut s’interroger sur la pertinence de la politique de l’UE et de nombre d’États membres de donner la priorité absolue au développement du renouvelable intermittent, étant donné ses lacunes majeures :
en ce qui concerne l’éolien terrestre,
– une durée d’utilisation tournant autour de 20 ans contre 60, voire 80 ans pour les réacteurs nucléaires ;
– un facteur de charge qui peine à dépasser 20% contre plus de 90% pour le nucléaire. Les études du professeur Gordon Hughes sur les performances des parcs éoliens au Royaume-Uni montrent qu’il chute progressivement de 24% à 15% au bout de 10 ans et à 11% en 15 ans;
– des pannes (plus fréquentes que les constructeurs ne les reconnaissent) en raison, entre autres, de l’érosion des pales due aux intempéries (pluies, grêles, foudre, tempêtes, etc.) pouvant aller jusqu’à leur rupture et de la fragilisation de composants métalliques à la suite de problèmes, par exemple, de roulement à billes.
– le recours croissant à des métaux, voire de terres rares qui risque de conduire, si leur pénétration continue de croître, à des pénuries de matériaux.
– la difficulté, voire l’impossibilité de recyclage de certains composants. C’est le cas des pales qui sont enfouies ou incinérées en fin de vie, ce qui est contraire à une gestion écologique.
Ce qui précède est également valable pour les éoliennes en mer, à l’exception de leur facteur de charge qui est beaucoup plus élevé. Toutefois, leurs coûts d’entretien sont nettement plus chers et leurs connexions au réseau électrique requièrent des investissements très importants.
Quant à l’énergie électrique solaire, elle est actuellement surtout photovoltaïque. Sa production d’électricité, au sein de l’UE, a connu une forte croissance ces dernières années quoique sa part dans le mix mondial reste très modeste.
Tous les États membres qui se sont lancés tête baissée dans le photovoltaïque ont dû déchanter et pas seulement les pays du nord. La production n’est toujours pas rentable sans subventions. En outre, la Chine a inondé les marchés de cellules photovoltaïques à des prix imbattables, ce qui a provoqué la faillite de nombre de fabricants européens et la disparition de milliers d’emplois.
Le marché de l’UE est moins axé sur le développement de grandes centrales photovoltaïques et davantage tourné vers des installations sur les toits de bâtiments.
Le stockage d’énergie
L’industrie du renouvelable intermittent ne peut survivre que si la production électrique aléatoire à partir de ce dernier est accompagnée soit de centrales à génération continue d’électricité soit en stockant de l’énergie qui pourrait être libérée rapidement en cas de manque de vent et/ou de soleil.
L’Union européenne et certains États membres à l’ouest de celle-ci s’intéressent de plus en plus à l’hydrogène.
Comme expliqué plus haut, la production d’hydrogène (par électrolyse de l’eau), son stockage et sa conversion en électricité conduisent à un prix beaucoup trop élevé de cette dernière.
Le recours à ce type de stockage apparaît d’autant moins pertinent dans l’état actuel de la technologie que la quantité d’électricité risque de ne pas être suffisante pour en assurer la production massive requise en cas de pénétration élevée du renouvelable intermittent.
Les batteries constituent une autre forme de stockage d’énergie possible. Il y a toutefois un problème avec ce type de stockage, lorsqu’on y a recours à grande échelle.
Les problèmes majeurs des batteries lithium-ion (de loin les plus utilisées) sont, outre leur relativement faible facteur de charge, le coût élevé de production (auquel il faut ajouter les lourds investissements en équipements requis par ce système de stockage), la disponibilité de lithium et le risque d’incendie, le lithium étant un métal hautement réactif.
Conclusion
Il ressort de ce qui précède que le tout renouvelable d’ici à 2050 est illusoire vu l’absence de production non-intermittente abondante, fiable et bon marché à partir de combustibles « verts » et les contraintes liées aux générations éoliennes et photovoltaïques pour compenser leur intermittence, d’une part, et le recours indispensable aux centrales à gaz[7] , de l’autre, pour équilibrer le réseau électrique, en particulier, pour le réglage de la fréquence et de la tension que le renouvelable intermittent perturbe.
Dès lors, une diversification plus large des sources d’énergie que celle programmée dans le cadre du green deal et une pondération de celles-ci dans le mix électrique de nature à mieux prendre en compte la prospérité de l’UE et le bien-être des populations, ne sont-elles pas une approche plus réaliste et plus équilibrée ?
Elle conduirait, dans le mix électrique, à :
– plafonner la part du renouvelable intermittent ;
– augmenter dans la mesure du possible la part de l’hydraulique ;
– viser la contribution la plus importante à l’électronucléaire ;
– réserver une place significative à la production d’électricité à partir de centrales à gaz et, éventuellement, à partir de renouvelable non intermittent en phase de développement.
L’environnement politique actuel (effondrement des partis écologistes et progression des partis libéraux aux élections européennes de juin 2024) n’est-il pas particulièrement propice à une telle refondation du système électrique pour assurer, au niveau de l’UE et de ses États membres, la relance socio-économique tant attendue ?
NOTES
[1] Aujourd’hui, aucune énergie ne peut se targuer d’être zéro carbone.
[2] Ibidem.
[3] Brûler massivement du bois aggrave les changements climatiques, Philippe Gauthier, 26 avril 2018.
[4] En Belgique, 70% de la population préférerait que davantage de réacteurs (plus que les deux prévus par l’accord gouvernemental) soient prolongés et qu’ils le soient de 20 ans au lieu de 10.
[5] L’électricité nucléaire, une énergie du futur !, J.P. Schaeken Willemaers, L’Harmattant, 2021.
[6] La filière nucléaire doit former et recruter 100 000 salariés dans les dix prochaines années, Claude Fischer Herzog, Le monde de l’Énergie, mai 2024.
[7] Les réserves prouvées de gaz sont énormes. Une pénurie de ce combustible n’est pas à craindre bien au-delà de 2050.
Il y a de quoi rester perplexe devant l’aveuglement de certaines « autorités » en matière de choix stratégiques ! Hors la compréhension de leur comptabilité budgétaire publique (en forme de baignoire percée…), le sens des chiffres techniques significatifs leur reste trop souvent absent. « Pragmatisme et rationalité » sont-elles deux notions qui échappent à leur compréhension ? Oui, un sursaut est amorcé !
Beaucoup sont mentalement intoxiqués sous des effets du lobbying.
Sur votre réf. [4] d’enquête publique selon laquelle 70% de la population préférerait davantage de nucléaire (ces gens là, de la base…, qui ont enfin compris les enjeux d’avenir), on assiste alternativement – via des médias mainstream belges – à un tir de barrage des « milieux financiers et industriels intéressés aux seuls EnRI » !
Deux articles de presse en sont exemplatifs :
1) (ELIA, gestionnaire des réseaux THT) dans LLB 3/07 p.20 : « L’île énergétique au large de la BE pourrait coûter plus cher que prévu ». Surprise ? Un vaste HUB énergétique d’interconnexion à 45 km des côtes, fondé sur des caissons en béton et soumis aux aléas et embruns Mer du Nord ? (comme ceux du débarquement Alliés en 1944 ?).
Île entourée d’une floraison de coûteuses fermes éoliennes offshore…
Projets UE visant de surcroît à relier le DK et la BE ( > à 600km?) , comme on le fit superbement entre UK et BE (mais à seulement 140Km ?).
Solution = Appel à des fonds de financement additionnels (on connait la rengaine)
2) (RESCCOP, une coupole de 34 « coopératives » énergétiques belges) dans LLB 5/07 p.23 : « La population belge prête ) investir plus de 1,2 milliards d’euros dans l’offshore ». Ah ? On n’anticipait donc pas assez le gouffre des coûts d’investissements et ceux de la maintenance maritime , d’où les « ROI » en plein doutes ?
Solution = Appel à des fonds de financement additionnels (on connait la rengaine )
Ainsi, faut-il accepter l’entière subordination aux options du « Green Deal UE » (et un Global European Grid …) imposées par le couple von der Leyen * Timmermans ?
Ou plutôt appliquer le concept pourtant légal de la « SUBSIDIARITÉ » dans certains choix nationaux critiques ! Jeux de responsabilités décisionnelles où la « gouvernance idéologisée à-la-Vivaldi » ne brilla guère…
Question : au futur, QUI paiera les multiples erreurs de jugement accumulées ?