Que nous apprend l’Optimum Climatique Romain?

par Prof. Dr Alain Préat, Université Libre de Bruxelles

1/ Introduction


SCE a plusieurs fois rapporté que la période actuelle de réchauffement n’est pas exceptionnelle, qu’elle fait partie de cycles décennaux à pluriséculaires de refroidissement et réchauffement qui ont lieu dans des fourchettes de température fort modestes, de l’ordre de 0,15°C par 10 ans. SCE a aussi montré que le CO2 tant incriminé dans ces changements, et surtout l’actuel, n’avait pas de raison d’être, ce gaz venant après l’augmentation de température. Le ‘bouton CO2 ‘ à même d’expliquer ou de ‘justifier’ le battage médiatique quasi-quotidien est donc à ‘la remorque’ de la température et, l’hypothèse de l’effet de serre reste avant tout une hypothèse (exemple ici).

Enfin SCE a souvent rappelé (ici et ici) que la concentration atmosphérique de CO2 n’a jamais été aussi basse dans l’histoire géologique de notre planète, qui a connu la plupart du temps des  concentrations jusqu’à 25 fois supérieures au cours du Phanérozoïque (à partir du Cambrien, il y a 541 millions d’années), et même encore bien plus élevées au cours du Précambrien. Nous partirons de ce dernier point, puisque les médias et scientifiques sont toujours  à nous rappeler, de manière assez dramatique, que la teneur actuelle est plus élevée que celle des ‘derniers’ millions d’années (articles médiatiques presque quotidiens, exemple ici parmi une pléthore d’articles). Est-ce bien le cas? et si oui –et toujours pour ces ‘derniers’ millions d’années– quid de la température ?

A nouveau (cf. plusieurs articles SCE), rappelons qu’une ‘température moyenne globale’ (TMG) n’a pas de sens physique (ici), cela n’empêche pas la communauté scientifique de valider ce paramètre, et force est de constater que ce paramètre est  presque toujours utilisé dans la littérature pour les différentes périodes de changements climatiques. Cet article tente de répondre à une question simple : Y a-t’il eu dans la période historique des ‘’TMG’ plus élevées que celle d’aujourd’hui et quid du CO? Si oui, il est évident que cela pose ou posera un problème, puisque quelle que soit la concentration du CO2, et pour autant que ce gaz ait eu un rôle, il ne pourra s’agir de COanthropique.

Comme rappelé ci-dessus,  SCE a analysé en détail plusieurs périodes géologiques et historiques caractérisées par des changements climatiques abrupts (ici et ici) ou non (ici et ici). Ces périodes de réchauffement de la planète sont assez nombreuses et connues sous le nom d’Optimas Climatiques (exemples : Optimum du Paléocène/Eocène,  Optimum du Miocène moyen, Optimum du Pliocène moyen, Optimum de l’Holocène, Optimum Minoéen, Optimum Romain, Optimum Médiéval, Optimum Actuel (par exemple in Cronin, 2010 [1] ; Bender, 2013 [2] et ici, 2020) pour n’en citer que quelques-uns depuis l’Ere Cénozoïque. Nous allons nous concentrer sur l’Optimum Climatique Romain afin de montrer que la situation actuelle n’est pas atypique et fait partie de la succession de cycles climatiques qui interviennent en réponse à un ‘télescopage’ de processus  naturels ‘infinis’, dont l’importance de certains restent  à découvrir. Ces Optimas sont entrecoupés de périodes de refroidissements plus ou moins prononcés de durées inégales (par exemple les refroidissements à la transition Eocène/Oligocène, ou à la fin du Pliocène (au cours du Piacenzien). Notons qu’au cours du réchauffement de l’interglaciaire du Piacenzien moyen (il y  a 3,2 millions d’années), la teneur atmosphérique en CO2 était comprise entre 331 ppm et 389 ppm (de la Vega et al., 2020), donc plus élevée que notre période dite ‘pré-industrielle’ (ce qui répond déjà à une des questions posées ci-dessus). 

Mais avant d’analyser ces périodes, une précision s’impose concernant les différentes manières de ‘compter’ le temps par rapport à aujourd’hui  c’est-à-dire sur le mode de fonctionnement de la chronologie récente, mode assez confus car basé sur des conventions suivies différemment par les chercheurs. Ce point est un vrai casse-tête pour ceux qui s’occupent des périodes récentes. On mentionne en effet souvent le temps passé avec les initiales ‘BP’, exemple 25 000 ans BP (= Before Present). BP, c’est-à-dire avant le présent, et l’année considérée comme le présent est fixée à l’année 1950 de notre calendrier. Cette année fut choisie comme année de référence, car elle est antérieure aux essais nucléaires qui ont perturbé la répartition d’isotopes utilisés en radiochronologie. Cela n’est pas gênant pour les périodes lointaines mais pose des problèmes pour l’étude des périodes récentes pour lesquelles il est nécessaire de fixer plus précisément une origine des temps. Les anglophones, en particulier, utilisent AD (= Anno Domini » pour caractériser les années postérieures à la naissance  de Jésus-Christ dans le calendrier julien puis grégorien. AD donne en français : ‘après J.-C’.  Ces mêmes anglophones utilisent également BC pour (Before Christ) pour les années ‘avant Jésus-Christ’ (= avant J.-C pour les francophones). D’autres conventions existent, mais elles sont moins employées. Finalement l’ « année du Seigneur » décrétée ‘an 1’ inaugure l’ère chrétienne, également appelée ‘ère commune’  ou ‘ère conventionnelle’,  elle est abrégée en ‘EC’ (francophone) ou ‘CE’ (anglophone). Pour les années précédant celles de l’ère commune, les anglophones utilisent BCE (Before Commune Era ou Before Christian Era).  BCE/CE sont de plus en plus utilisés dans la communauté internationale, scientifique ou non.

2/ L’Optimum Climatique Romain

2.1. Cadre général

Voyons l’Optimum Climatique Romain (OCR), s’étendant d’environ 250 ans avant J.-C à 400 après J.-C,  c’est-à-dire au cours d’une période assez proche de la nôtre. C’est au cours de cet Optimum qu’Hannibal traversa (en 218 av. J.-C ) les Alpes avec ses éléphants, situation impensable aujourd’hui. Cet OCR connu depuis assez longtemps (au moins depuis 1999 avec la première mention dans un article de Nature) est resté assez discret dans la littérature, cette  dernière se portant plus volontiers sur l’Optimum Climatique Médiéval (autour de l’an mil), plus proche de nous. Pourtant de nombreux articles suggéraient que l’OCR est l’Optimum le plus chaud de la période récente, du moins pour les deux ou trois derniers millénaires. Un article récent de Maragritelli et al. (2020), en Open Acess, publié dans Nature vient de montrer que c’est bien le cas, à savoir que l’OCR fut la période la plus chaude de ses 2000 dernières années (de plus 2°C, en moyenne par rapport à aujourd’hui dans la région étudiée de la Sicile et de la Méditerranée occidentale) et que l’augmentation de température fut principalement le fait de l’activité solaire (Margaritelli et al., 2016).

2.2. L’étude de Margritelli et al. 2020

Cet article factuel ne prend pas en considération le CO2 et ne conclut pas à une ‘TMG’ valable à l’échelle de la planète, faute de données suffisantes (à cette échelle). Ce point particulier n’est pas spécifiquement abordé dans l’étude et reste donc en suspens, même si l’article suggère que la ‘TMG’ de l’Optimum Climatique Romain portait au moins sur l’ensemble de l’hémisphère Nord et est liée à des processus naturels (activité solaire et NAO ou Oscillation Nord-AtlantiqueMargaritelli et al., 2016).

L’étude porte sur la mer Méditerranée, à partir du Canal/Détroit de Sicile, qui forme un seuil (d’environ 500 m de profondeur), c’est-à-dire une barrière physique dans le bassin de la Méditerranée orientale, ce qui exerce un contrôle majeur sur les processus biogéochimiques  dans le bassin. Les températures des eaux de surface (SST) sont déduites de l’étude (géo)chimique du zooplancton (foraminifères) dans les eaux du Détroit de Sicile. Les températures sont calibrées temporellement (datations isotopiques par le 10Pb, 137Cs  et 14C) et comparées à celles déjà publiées dans la mer d’Alboran, dans le bassin de Minorque et dans la mer Egée, soit sur une distance Ouest-Est de plus de 2000 kilomètres.

Ces comparaisons montrent un réchauffement conséquent, a minima à l’échelle régionale de l’ensemble de la Méditerranée lors de l’OCR. Ensuite la région subira un refroidissement entrecoupé de quelques oscillations de faibles amplitudes.

Les auteurs ont porté leur attention sur la mer Méditerranée car la région est fort sensible aux changements climatiques passés et actuels, étant située entre l’Afrique du Nord et les climats européens, soit de la zone aride de l’anticyclone subtropical aux flux d’air humides du nord-ouest.  Plusieurs sites marins avaient  déjà fait l’objet d’études et montré une variabilité climatique à court terme à l’échelle régionale durant le dernier millénaire [3,4] sans qu’un schéma général ne se dégage, faute de résolution temporelle suffisante. Selon Margaretelli et al. (2020) la variabilité climatique au cours de l’OCR n’a pu être mise en évidence au cours de ces études,  les proxies  (= ‘indicateurs’) utilisés et le manque de résolution temporelle ne permettant pas d’interprétation en terme de saisonnalité et/ou de processus locaux. Les auteurs vont ainsi établir une nouvelle courbe d’évolution de la température des eaux de surface (SST) de la partie centrale de la mer Méditerranée, à partir d’un site de forage déjà connu (SW104-ND11) dans la partie nord-ouest du Détroit de Sicile (ici) en mesurant le rapport Mg/Ca sur les tests (ou ‘coquilles’) carbonatés du foraminifère planctonique Globigerinoides ruber pour les 5000 derniers mille ans BPavec une attention particulière pour la période de l’OCR. La température des eaux de surface (1-15 m) varie de 22,0°C à 23,0°C en cet endroit de l’étude en juillet 2014.

2.3. Les résultats

Les estimations de la SST déduites à partir des rapports Mg/Ca de Globigerinoides ruber vont de 16,4 °C ± 1,5 °C à 22,7 °C ± 1,5 °C avec une valeur moyenne de 19,5 °C ± 1,5 °C (Fig. 1) et un réchauffement progressif de 6,3 °C ± 2,0 °C de 3300  BCE , à la base de la séquence étudiée, à 330 CE, lors de la période romaine moyenne durant laquelle les maxima de la SST sont atteints (Fig. 1). 


Figure 1 : Comparaison temporelle des températures de surface de l’eau de mer (SST) du Détroit de Sicile (Mg/Ca G. ruber core SW104-ND11), de la mer d’Alboran, du bassin de Minorque, de la mer Égée, avec reconstitution de la température de l’hémisphère Nord et l’indice d’Oscillation Nord Atlantique (NAO). La ligne bleu clair (en haut) en pointillé, superposée aux données brutes de SST, concernant la mer d’Alboran, est une moyenne mobile de 3 points, la ligne rouge en pointillé du relevé du Détroit de Sicile représente la courbe lissée de l’IC -intervalle de confiance- à 95% (simulation de Monte Carlo) et les fines lignes rouges sont les réalisations ajustées des données de 2,5% et 97,5% de l’IC de 10000 LOESS. Les points noirs sur l’enregistrement du Détroit de Sicile (courbe bleue) représentent les données analysées et l’ombre bleu clair est l’erreur de propagation. Les bandes grises rapportent les principaux événements climatiques documentés dans le bassin méditerranéen.  Les points de datation avec les barres d’erreur figurent pour presque tous les enregistrements de la SST. Abréviations : LALIA = Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité, MWP = l’Optimum Climatique Médiéval, LIA = Petit Age Glaciaire. D’après Margaritelli et al. (2020).

Cette tendance au réchauffement à long terme est ponctuée de plusieurs oscillations à court terme d’amplitude et de durée différentes (Fig. 1). De la période romaine à 1700 CE, la SST montre une tendance au refroidissement de 4,5 °C ± 2,1 °C. L’enregistrement de la SST montre une légère tendance au réchauffement entre 1700 et 2014 CE.

Ce résultat est ensuite comparé à d’autres valeurs de la SST déjà publiées pour la mer Méditerranée, établies soit par l’analyse des rapports Mg/Ca d’un autre foraminifère planctonique, G. bulloides à partir de 5 forages dans les îles Baléares, par l’analyse des alcénones dans deux sites de la mer Egée (UK’37 , Fig. 1 et Grauel et al., 2013), et d’autres températures connues de l’hémisphère Nord (Ljungqvist, 2010) en relation avec l’indice NAO (Faust et al., 2016).

Bien que des biais soient présents dans les estimations des SST à partir de proxies différents, chaque fois particuliers à une zone d’étude (ici une séquence ‘géologique’ provenant de plusieurs forages), les auteurs comparent ensuite l’évolution des SST en Mer Egée, Mer d’Alboran, bassin de Minorque et au large de la Sicile. Ils montrent que le trait marquant et commun sur plus de 2000 ans est le maximum de la SST durant l’OCR (de 1 à 500 CE, c’est-à-dire de 1 à 500 ans de notre ère, Fig. 2).

Figure 2 : Comparaison des SST du Détroit de Sicile (ligne épaisse bleu foncé) de la mer d’ Alboran (ligne épaisse bleu clair), du bassin de Minorque (ligne épaisse rouge) et de la mer Égée (lignes épaisses vert foncé et vert clair) exprimés en anomalies SST par rapport à la période de référence de 750 BCE (avant J.-C.) à 1250 CE (après J.-C.).  Les données brutes de la SST du Détroit de Sicile sont superposées à la courbe lissée de l’IC -intervalle de confiance- à 95 % calculée comme le quantile de 2,5 % (ligne fine bleu foncé) et de 97,5 % (ligne fine bleu foncé) des 10 000 valeurs lissées. L’échelle graduée de la SST (°C) ne se réfère qu’aux données brutes de la SST du Détroit de Sicile. Les SST des mers d’Alboran, Minorque et Egée sont représentées par une moyenne mobile de 3 points. Les bandes grises indiquent les principaux événements climatiques documentés dans le bassin méditerranéen. Abréviations : LALIA = Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité, MWP = l’Optimum Climatique Médiéval, LIA = Petit Age Glaciaire. D’après Margaritelli et al. (2020).

La courbe d’évolution de la SST montre que différentes situations régionales existaient dans la mer Méditerranée avant l’avènement de l’OCR. Cela concerne donc la période pré-OCR avec un refroidissement général en Mer Egée, un réchauffement dans le Détroit de Sicile et des conditions stables en Mer d’Alboran (Fig. 2). Le Détroit de Sicile est affecté de plusieurs périodes de réchauffement (cf. ‘Age ou période’ du Cuivre, du Bronze , … Fig. 2) et certaines sont à mettre en relation avec une aridification progressive rapportée dans le nord de l’Egypte (également mise en évidence par une nette diminution des pollens en Méditerranée centrale). Les conséquences dans les pratiques agricoles et l’effondrement des premières grandes civilisations sont énormes (non discutées ici) et traitées en détail par les archéologues. Mentionnons cependant , qu’à l’inverse, lors de la transition de l’Age du Bronze à l’Age du Fer, vers 800 BCE (soit lors de la ‘période Homeric’, Fig. 2) a lieu un refroidissement de court terme associé à un ‘grand minimum solaire’. Durant cet intervalle les valeurs de l’indice NAO étaient négatives (Fig. 1) et l’agriculture fut en expansion en Méditerranée orientale.

La période pré-OCR (500 BCE à 200 BCE) était donc globalement plus froide malgré des oscillations, et correspond au début de la phase dite ‘sub-Atlantique’ (Zolitschka et al., 2003 Kotthoff et al., 2017) avec un climat pluvieux, froid et humide qui a perduré jusqu’à environ 100 BCE. L’avance des glaciers est bien documentée  pour cette période.

La période post-OCR  est caractérisée par un refroidissement progressif de 4,5°C ± 2,1°C et se termine avec le Petit Age Glaciaire (LIA) (Fig. 1). La période est entrecoupée de deux brefs intervalles avec refroidissement important, à savoir le ‘Petit Age Glaciaire de la fin de l’Antiquité ou ‘LALIA’ de 650 à 700 CE et le LIA, et d’au moins  une période de réchauffement important, représentée par  l’Optimum Climatique Médiéval (MWP) autour de 1300 CE (ici), également reconnu en Méditerranée. Deux autres périodes de réchauffement (et refroidissement) moins important sont également observés sur la courbe SST de la figure 1, mais ne sont pas nommées vu leur moindre importance. Elles encadrent l’Optimum Climatique Médiéval (MWP). L’épisode LIA, popularisé dans les tableaux de Breughel l’Ancien exposés à Bruxelles, et ceux de la Tamise gelée exposés au Muséum de Londres ) s’étend de 1300 CE à environ 1700 CE et enregistre un refroidissement de 2,1°C ± 2°C (par exemple de 1,5-1,0 °C in Zharkova, 2020). Il a affecté l’ensemble de la Méditerranée. Depuis environ 1700 CE la SST du Détroit de Sicile a augmenté malgré un court refroidissement en 1980 CE.

 2.4. Discussion

L’OCR est une période de réchauffement importante, régionale et  polyphasée entre 1 CE et 500 CE.  Les auteurs de l’article (dé)montrent que ces conditions chaudes sont indépendantes des proxies considérés. L’Optimum Climatique Romain est une réalité, même s’il est souvent ignoré des médias et de nombreux scientifiques climatologues. Les proxies considérés permettent  d’établir que les conditions chaudes de l’OCR avaient cours toute l’année en Méditerranée, et n’étaient donc pas uniquement saisonnières. Des différences  de plusieurs degrés existaient néanmoins à l’échelle régionale avec des SST de 19,6±1,5°C à 22,7±1,5°C dans le Détroit de Sicile, de 16,6 à 18,5 °C dans le bassin de Minorque, et 14,4 à 16,1°C dans les mers Egée et d’Alboran. Ainsi à l’échelle régionale la température était-elle plus élevée de quelques degrés dans la partie centrale de la Méditerranée par rapport à ses bassins occidentaux et orientaux. L’intervalle temporel le plus chaud (de l’OCR) se situe entre 240 CE et 420 CE et correspond également à la phase la plus chaude mise en évidence dans l’hémisphère Nord (Ljungqvist, 2010). Les disparités régionales des SST mentionnées ci-dessus montrent que l’évolution des températures n’est pas synchrone au cours de cet épisode globalement stable et chaud. Les conséquences politiques et agricoles sont multiples et discutées dans l’article de Margaretelli et al. (2020). 

Un autre paramètre semble associé aux fluctuations climatiques, il s’agit de l’indice NAO, ou Oscillation Nord Atlantique, basé sur une différence de pression atmosphérique, mesurée à la surface de l’eau de mer, entre l’anticyclone des Açores et la dépression d’Islande (Hurell et al., 2005, et partie 2.2 ici dans SCE). Cet indice a fluctué de valeurs négatives à positives durant l’OCR (Fig. 1) suggérant un transfert des zones de précipitations ou des pluies vers l’Europe Centrale et l’Europe du Nord. L’Europe du Sud et l’Afrique du Nord connaissent alors des conditions plus sèches pénalisant leur développement économique (agriculture).

2.5. Alternatives ?

L’OCR ayant fait l’objet d’assez peu d’études, un manque de données par rapport aux MWP et LIA est évident. Néanmoins quelques auteurs ont tenté d’apporter une contribution à cet Optimum. Pour Gilgen et al. (2019), dans une étude très fouillée sur l’activité ‘industrielle’ des romains, ce seraient les aérosols anthropiques liés au brûlage de terre agricoles, c’est-à-dire à l’utilisation des sols (se reporter à Goodchild, 2007 pour leur contexte géologique), qui sont responsables du réchauffement surtout vers 100 CE. Cette conclusion est basée sur un modèle utilisant des simulations avec des températures fixes à la surface de la mer (ce qui nous l’avons vu n’était pas le cas). L’étude de Gilgen et al. (2019) n’est d’ailleurs pas totalement claire sur le rôle exact des aérosols et leur conclusion  est ambiguë, puisque ces auteurs écrivent  (p.1906) : ‘While our results imply that anthropogenic land cover change may have regionally contributed to this warming, aerosol–cloud interactions would have attenuated it, suggesting other causes of the Roman Warm Period, e.g. ocean dynamics or solar forcing. Our scenarios show that pasture burning could have been an important source of aerosol particles. A better understanding of the processes that drive the frequency, seasonality, and emissions of pasture burning could therefore be essential to quantify the anthropogenic impact far back in time’. 

3/ Que conclure ?

L’OCR montre que les changements climatiques sont la règle confirmant plusieurs articles rapportés par SCE à la fois aux échelles géologiques et historiques. Lorsque la résolution temporelle est bonne, on constate que les changements climatiques sont souvent rapides, de l’échelle pluriséculaire à l’échelle de plusieurs dizaines d’années, et qu’ils ne sont pas synchrones, même à une échelle régionale (le millier de km). Ce dernier point confirme le non-sens de la notion de ‘température moyenne globale’ pour la planète, la température est bien, une grandeur intensive (également ici) comme le suggère les données de l’OCR, notamment par l’asynchronicité des changements climatiques. Les changements sont rapides, parfois même beaucoup plus rapides que ceux de la période récente de 0,8°C sur 150 ans (ici et voir ici pour une discussion de la ‘TMG’ récente). La courbe d ‘évolution de la SST durant l’OCR montre deux fluctuations de 2°C sur chaque fois 100 ans, et même au-delà de 2°C pour la période de l’Age du Cuivre (Fig. 1). Cette courbe établie sur un peu plus de 5000 ans, montre surtout que les fluctuations de la SST sont la règle à l’échelle séculaire à pluriséculaire. Visiblement les fluctuations de l’OCR et de la période pré-OCR semblent plus importantes que celles qui ont suivi (MWP, LIA, et Aujourd’hui), ces dernières montrant des fluctuations d’à peine 1 °C à 1,5°C à l’échelle pluriséculaire

Au vu des marges d’incertitudes sur les proxies utilisés par Margartitelli et al. (2020), on ne doit pas conclure trop rapidement et on peut proposer a minima que le climat a varié dans des fourchettes de température de même ordre de grandeur tout au long des derniers 5000 ans, sans qu’une période excessive de réchauffement fort brutale ait eu lieu. Ce ne fut pas le cas, par exemple au Pléistocène (ici) ou à la transition Paléocène/Eocène (ici) avec des augmentations de températures de 10°C et plus en quelques dizaines d’années (50 ans).

Enfin il n’est jamais question de CO2, encore moins de CO2 anthropique, dans les fluctuations de ces cinq derniers mille ans, et il semble il n’y ait pas d’autre alternative que d’envisager l’unique contribution de cycles naturels, pilotés comme suggéré par les auteurs de l’article par l’activité solaire agissant directement ou non sur les cycles océanographiques, dont ici ceux de la NAO qui épousent les variations de température de la courbe enveloppe des 5000 ans étudiés, avec un réchauffement global jusqu’à l’OCR suivi d’un refroidissement jusqu’à presque aujourd’hui. L’OCR est au sommet de ce réchauffement, mais il est précédé d’épisodes de réchauffements plus importants (Age du Cuivre, début de l’Age du Bronze).

A considérer ces fluctuations et celles, également nombreuses, liées aux événements hyperthermiques à l’échelle géologique, il faut rester raisonnable dans les interprétations, pour cela évitons sans cesse de parler de ‘température moyenne globale’ ou ‘TMG’, portons notre attention sur les systèmes régionaux, voire locaux, dont l’évolution est à même d’expliquer l’asynchronisme des paramètres climatiques. L’hémisphère sud enregistre, aujourd’hui, une tendance à la diminution de la ‘température moyenne’ depuis les cinq derniers mois (Géoclimat, 2020), ce qui se marque par des vagues de froid particulièrement intenses, notamment en Amérique du Sud et en Australie (cf. par exemple les kangourous récemment pris dans le froid et la neige, et ayant fait la ‘Une’ des médias). Cet asynchronisme n’est jamais abordé dans les médias et à peine dans la littérature scientifique. Il peut aussi ‘se déduire’ de  diverses reconstitutions climatiques portant sur les derniers millénaires, qui montrent effectivement des différences entre des régions, comme en Chine depuis 2000 ans (Ge et al. 2013).  

Cet asynchronisme peu discuté est lourd de conséquence, puisqu’il met à mal la notion d’une ‘température moyenne globale’, et à vouloir aller trop vite n’a-t-on pas mis la charrue avant les bœufs…. et fait fausse route ? Ici même on touche au paradoxe le plus inattendu, puisque certains auteurs  (Neukom et al., 2019) n’hésitent pas à utiliser cet argument de l’asynchronisme pour valider la thèse actuelle du réchauffement actuel (relativisons quand même, = 07-0,9°C en 120 ou 150 ans) global, donc synchrone (= toute la planète) et lié au CO2 anthropique. Autrement dit, suivant ces auteurs, ‘il n’ y a pas de preuve pour des périodes de chaud et de froid globalement cohérente pour l’ère chrétienne’ (sauf bien entendu aujourd’hui!). La thèse de ces auteurs est démontée par Pont (2019). Il est affligeant de voir cette sorte d’aveuglement dans le rejet des processus naturels en climatologie, car après avoir tenté de se débarrasser de l’Optimum Climatique Médiéval (rappel : ‘We have to get rid of the Medieval Period’,discussion ici), on se débarrasse (en tout cas on essaie) tout simplement de toute forme  de réchauffement ou refroidissement conséquent dans le passé à l’échelle de la planète.

Oui la charrue est bien mise avant les bœufs car le problème du synchronisme ou non est bien réel,  mais ne pourra à lui seul résoudre la question car comme mentionné ci-dessus la température est effectivement une grandeur intensive. Revenons à la fameuse phrase de Neukom et al. (2019) ‘il n’ y a pas de preuve pour des périodes de chaud et de froid globalement cohérente pour l’ère chrétienne’. Quid des fortes variations de températures au cours des 25 cycles glaciaires de la fin du Pliocène et du Pléistocène (ici et ici) ?, du Pliocène moyen (de la Vega et al., 2020) ?, Quid des périodes très chaudes du début de l’Eocène  (ici)?, des glaciations de la fin du Carbonifère (Rygel et al., 2008), de la période extrêmement chaude du Permien (Cronin, 2010 ; Choi, 2012),  etc. 

Ne cherchons pas midi à quatorze heures, considérons uniquement les faits sans a priori (théorique). Les faits basés sur l’activité solaire sont par exemple développés ici dans les derniers articles de SCE. A chacun de juger sur base des faits, cela reste heureusement encore la liberté et la démarche de la science.

Enfin l’extrapolation des STT aux températures atmosphériques est également un vaste problème qui nécessite des précautions infinies (Kent et al., 2013 Kent et al., 2019). Cet article rapporte les erreurs potentielles associées à cette ‘translation’ et l’ensemble des paramètres jouant un rôle est quasi-infini et sont rarement analysés dans des séries non actuelles faute de proxies et de résolution temporelle suffisants. Pourtant les SST sont à prendre en considération car elles constituent un des éléments majeurs dans l’évolution du climat (ici et NOAA). Le système océan/atmosphère reste d ‘une complexité inouïe et croire l’avoir compris en le résumant au presque seul  ‘bouton CO2’ ne peut que surprendre tout scientifique sérieux. Comme souvent rapporté à SCE, la science ‘is not settled’ et le système atmosphérique et ses interactions avec l’hydrosphère (l’océan) garde encore beaucoup de secrets (scientifiques)…

Ainsi l’OCR nous apprend-il en premier lieu qu’une ‘température moyenne globale’ n’a pas de sens, et en second lieu que le réchauffement actuel n’est rien moins qu’une fluctuation climatique banale.

NOTES (la plupart des références sont sous forme de liens dans le texte).

[1] Cronin, T. 2010. Paleoclimates. Understanding Climate Change Past and Present. Columbia University Press, 441P.

[2] Bender, 2013. Paleoclimate. Princeton Primers in Climate. Princeton University Press, 306p.

[3] Corte-Real, J., Zhang, X. & Wang, X. Downscaling G.C.M. 1995. Information to regional scales: A non-parametric multivariate regression approach. Climate Dynamics 11, 413–42. 

[4] Lionello, P., Malanotte-Rizzoli, P. & Boscolo, R. (Eds), 2006. Mediterranean Climate Variability. Elsevier, pp 438. ISBN: 0-444-52170-4. 

Une réflexion sur « Que nous apprend l’Optimum Climatique Romain? »

  1. Enfin une approche sérieuse des relations climat/CO2 aux périodes récentes. Géologue universitaire retraité depuis 2003, j’ai beaucoup utilisé la variable climatique (ex. : variations anciennes du CO2 dans la genèse des magnésites spathiques ou sparry magnesites, sédiments protérozoïques et paléozoïques qui vont disparaitre au cours du Carbonifère, avec une possible réapparition permo-triassique). Aussi j’ai particulièrement apprécié ce travail solide, pédagogique et cohérent amenant à des conclusions sans appel. Merci à l’auteur.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *