Les vignerons et le réchauffement climatique 

par Alain Préat, Professeur Émérite, Université Libre de Bruxelles

Fil conducteur :’ Les vignerons seraient-ils climato-sceptiques ?
Voici avec ce titre de l’article de Teil (2020) une question plutôt inattendue ? Mais finalement les vignerons ne sont-ils pas aux premières loges pour observer les effets du changement climatique, et cela depuis la ‘nuit des temps’ ? Leurs observations remontent à plusieurs siècles et même au-delà, elles sont fondamentales et ont permis par exemple à Emmanuel Le Roy Ladurie (SCE, 2019) d’apporter des informations sur le climat de nos régions depuis le Moyen-Âge. L’étude de Teil (2020) (en Open Access) est basée sur une méthodologie qualitative et traite du décalage d’interprétation des faits climatiques observés entre viticulteurs et scientifiques et entre leurs perceptions du climat.

1. Introduction

L’étude est menée à partir de questionnaires et d’entretiens approfondis avec les vignerons en vue de comprendre comment ils intègrent le changement climatique dans leur activité. Sur ce point précis, voyons quelle en est l’ évolution depuis les dernières études de 2013-2015 (Lereboullet et al. 2013) : ‘(1) pour certains vignerons, malgré la pression climatique, le pourcentage de ceux qui ne pensent pas qu’un changement climatique soit en cours se maintient, les événements extrêmes ne sont que des répétitions de ces événements  météorologiques extraordinaires qui parcourent l’histoire, et (2) pour les autres, le changement climatique se marque plutôt par des modifications des précipitations plutôt que par une hausse des températures.’ Finalement les agriculteurs, ne sont pas prêts à prendre en considération les avertissements des climatologues, ils soulignent le manque de fiabilité météorologique déjà pointée du doigt antérieurement (Hansen et al. 2004) et privilégient un savoir très local au détriment d’un savoir délocalisé détaché des conditions de production. 

2. Méthodologie

Il y a donc une apparente indifférence au changement climatique chez les agriculteurs et viticulteurs. En vue d’approfondir ce point, une méthodologie d’enquête sur base d’entretiens a été réalisée sur place (de 2012 à 2015) dans les exploitations viticoles d’Anjou et d’Alsace ou dans des bureaux pour les commerciaux (63 personnes, voir tableau 1 dans l’article de Teil, 2020). Le choix même des régions a été analysé et aucun biais n’a été mis en évidence, si on compare par exemple à d’autres études similaires menées au Chili, en Espagne ou en Allemagne. D’un point de vue climatique, les conditions sont assez proches dans les deux régions (Anjou et Alsace) avec des températures minimales et maximales moyennes plus froides dans l’Anjou et une pluviométrie réduite dans les deux cas, plus abondante en été en Alsace et en hiver dans l’Anjou.

Notons que la plupart des études des climatologues prévoient une augmentation de l’aridité dans les régions sud ce qui pose des problèmes d’irrigation aux viticulteurs du sud qui y sont plus sensibles. L’aridité semble aussi devoir affecter les vignobles du nord, mais sa perception est moindre actuellement.

3. Résultats de l’étude de Teil (2020)

3.1 Maturation précoce et démarche de qualité

Certains des vignerons interrogés ont accumulé des relevés détaillés d’observations météorologiques (précipitations, températures, gel) dans leurs vignobles sur plusieurs générations, parfois sur plus de 100 ans. Cela est particulièrement vrai pour les millésimes. De ces observations ils restent prudents et mettent en garde contre l’alarmisme du GIECPour ces vignerons il ne faut pas associer sans précautions les variations climatiques au changement climatique. Ils mettent en avant qu’il y a toujours eu des cycles, avec des décennies chaudes ou froides et cela continue, changement climatique ou pas. À une exception près, ils estiment que le changement climatique n’intéresse pas grand monde, sinon comme une opportunité pour mieux mûrir le raisin. Toutefois, le climato-scepticisme assumé, entendu comme le rejet de l’idée d’un réchauffement de la planète est rare: seulement deux à trois personnes réparties dans différents groupes professionnels pour l’ensemble de l’échantillon.

 En quelques mots : la question climatique ne les passionne pas ! Pourtant ils reconnaissent que les vendanges sont plus précoces, que les taux de sucre des raisins montent, et donc les degrés d’alcool des vins, que les acidités et les tannins sont plus difficiles à obtenir. La quasi-unanimité des viticulteurs interrogés ne voient pas de lien entre ces modifications et le réchauffement climatique. Alors pourquoi ces changements ? Tous les vignerons pointent le changement technique depuis 1980. Ce changement fut initié dès 1960 par l’INRA (Institut National de Recherche Agronomique) et  portait notamment sur l’augmentation des degrés d’alcool. Les conditions météorologiques changent chaque année et les vignerons doivent s’adapter face à la concurrence de nouveaux pays producteurs, avec de nouvelles expérimentations, surtout pour les millésimes. Pour un des vignerons alsaciens ‘faire le lien entre les changements observés et les causes possibles revient à résoudre une équation avec beaucoup d’inconnues’. Le climat s’il a un rôle apporte des variations additionnelles difficilement décelables.

L’avancement de la date des vendanges de 15 jours à 3 semaines est pour les vignerons le résultat de la baisse de la charge en raisin qui permet à la vigne de mûrir mieux et plus rapidement ses raisins, et non une ‘preuve’ du réchauffement climatique. Il en va de même pour la hausse des taux de sucre et de la baisse des rendements. Un vigneron estime que ‘…il n’y a pas que le changement climatique. Je crois qu’il faut quand même être très lucide. On a tous baissé nos rendements, pas forcément volontairement, mais par nos pratiques […]. Donc, la moyenne de rendement sur Savennières est de 35 hecto/hectare. […] Et donc, ça a forcément augmenté la concentration et donc le sucre…’. Finalement pour ces vignerons les conditions climatiques sont nouvelles, certes, mais elles sont dues au décalage de la phase de mûrissement des raisins vers l’été, avec ses orages chauds et humides qui favorisent le développement des champignons ou une maturation trop précoce et accélérée des raisins. Et d’ajouter ‘ Si j’avais à choisir entre le climat des années 1970–1980 et le climat d’aujourd’hui, je signe tout de suite pour aujourd’hui. […] C’est ça qui est paradoxal. […] J’ai étudié, fin des années 1970. Et quand on goûtait des vins des années 1970, que ce soit des Bourgogne, ou des Bordeaux… la plupart du temps, on se regardait et on se disait « est-ce que c’est vraiment le métier qu’on veut faire ? ». […] C’étaient vraiment des vins épouvantables’.

On voit donc  que les vins changent mais ont tendance à s’améliorer surtout grâce à la technique. Seuls les commerciaux se plaignent suite à l’augmentation du degré alcoolique, pour eux ‘… on est dans l’eau de vie’, on ne se fait plus plaisir’.

 3.2 Quid du changement climatique ?

Les personnes de l’enquête notent les mêmes effets que les scientifiques, mais n’en déduisent pas une intensification ou un effet du changement climatique, parce qu’elles élargissent l’éventail des causes possibles pour ces changements. Leur argument est fort : ils estiment (pas tous) que les cycles et la différence d’échelle dans les variations météorologiques trompent les chercheurs (scientifiques) : les vignerons ne peuvent percevoir dans leur expérience quotidienne un réchauffement moyen de deux degrés sur quelques dizaines d’années alors que les variations interannuelles sont bien supérieures à cette élévation moyenne. Les vignerons ne semblent pas très préoccupés par le changement climatique. L’enquête confirme les résultats paradoxaux obtenus lors d’enquêtes précédentes. Il ne faudrait surtout pas conclure hâtivement que, soit les chercheurs, soit les vignerons, se tromperaient. La divergence de raisonnement n’est donc assurément pas à mettre sur le compte d’un quelconque climato-scepticisme du monde viti-vinicole, contrairement à ce que suggèrent Alonso et O’Neill (2011), mais plutôt, dans la ligne de Holloway (1999), sur celui d’une divergence de méthodes dans la mise en forme et l’analyse des observations et connaissances. 

4. Conclusion de l’étude de Teil  (2020)

Les résultats de l’enquête confirment ceux des études précédentes sur les perceptions du changement climatique par les vignerons. Le changement climatique est au mieux une préoccupation secondaire, voire très secondaire pour l’ensemble des acteurs interrogés. À de rares exceptions près, il est absent, ou presque, des réflexions des commerciaux dont certains ont même été très surpris par les questions.

L’étude de G. Teil (2020) porte sur une période un peu ancienne (2012-2015), il serait intéressant de voir comment a évolué la situation. On ne doit pas  s’attendre à de grands changements, excepté peut-être dans l’augmentation très récente des précipitations atmosphériques. Il est à prévoir alors que les vignerons s’adapteront ‘tout simplement’, ce qu’ils font depuis longtemps sans qu’il soit nécessaire de le leur dire, voire même de les conseiller. Ce sont des ‘hommes de terrain’ qui réagissent avec bon escient à la Nature dont ils pratiquent quotidiennement les aléas depuis fort longtemps..

 L’article est accompagné de références bibliographiques non reprises ici.

9 réflexions sur « Les vignerons et le réchauffement climatique  »

  1. Je suis tout de même étonné de voir le « forcing » exercé par les compagnies locales distributrices d’eau potable auprès des vignerons pour qu’ils irriguent leurs vignes. Une AOC du Sud Est de la France, proche du littoral, s’est ainsi vue autorisée récemment à irriguer alors que de mémoire d’homme on n’y a jamais vu de viticulteur acculé à la faillite pour cause de sécheresse. Quelques exploitants ont sauté le pas avec le secret espoir d’améliorer leurs rendements les années sèches, en oubliant que l’autorisation saisonnière d’irrigation ne sera pas donnée par la mairie quand la ressource en eau sera réduite: Tous, particuliers comme exploitants devront réduire leur consommation à leurs besoins essentiels. Interdiction d’arroser les jardins (et les vignes), de laver les voitures et de remplir les piscines.
    A mon avis l’irrigation des vignobles est une négation de la notion même de « terroir » viticole, bien particulière à la France. Le terroir associe une géologie, une podologie, un habitat, une tradition dans la façon de cultiver, et « last but not least » un CLIMAT, bien spécifiques. Un climat est soumis à des aléas météorologiques tout particulièrement dans la quantité annuelle des précipitations et leur répartition sur l’année. Remédier artificiellement à ces aléas par l’irrigation est un non-sens total.

    1. Bonjour, l’incitation à irriguer des vignobles est liée au marché du vin de table. A peu près tout le monde est passé au qualitatif, ce qui implique une baisse de rendement et une hausse des prix. Cependant, le marché du vin de table à faible prix existe et il est approvisionné par l’Espagne mais pour combien de temps? car l’Espagne se heurte à des problèmes de main d’œuvre. Pour obtenir de très bons rendements régulièrement, l’irrigation est la clé. Les acteurs économiques (Castel, Arterris) français anticipent donc pour produire ce type de vin, qui reste malgré tout, marginal.
      Après, ces acteurs mettront en place des moyens pour irriguer (réserves) pour éviter toute accusation d' »accaparement » de l’eau.

  2. « les vignerons ne peuvent percevoir dans leur expérience quotidienne un réchauffement moyen de deux degrés sur quelques dizaines d’années alors que les variations interannuelles sont bien supérieures à cette élévation moyenne. »

    J’ai vu une vidéo YT expliquant pourquoi (selon eux, le GIEC…) on avait posé une limite à ne pas dépasser autour de la moyenne de 1,5°C de l’anomalie de température.

    L’astuce était de considérer que cette hausse prévue devait forcément reposer sur un ensemble de valeurs réelles, qui suivraient forcément la même hausse, et notamment les extrêmes ! Donc, certes, 1,5° en moyenne, çà n’est pas grand chose face aux variations interannuelles, mais une hausse équivalente dans les plus hautes chaleurs (évidemment), cela ne peut que faire passer un seuil de résistance pour la nature.
    Bref : les extrêmes aux JO : plus hauts, plus fréquents, dans le futur !

    Et on y prenait l’exemple de la grande barrière de corail, dont on assure que les bornes acceptables sont limitées et que si elle a une grande capacité de résilience, elle ne pourrait supporter une répétition des extrêmes (qui pourtant ne s’est toujours pas produite).

    Perso, je ne suis pas convaincu tout simplement parce que la courbe en cloche ne bouge pas aussi facilement aux bornes que sur un schéma, et qu’il est possible qu’une moyenne bouge parce que les valeurs non extrêmes ont changées, ou qu’un bord (comme pour les vignerons : le froid) ait évolué sans que l’autre n’ai bougé.

    La justification de la limite des 1.5°C repose sur le simple effet visuel d’une courbe en cloche qu’on déplace pour faire apparaître un franchissement de seuil (une ligne rouge, ou précipice, courbe de Sénèque,…)

    1. Votre commentaire est plein de bons sens, surtout en ce qui concerne la moyenne. Je n’ai pas vu la vidéo, mais comment dans un écosystème définir (tous) les paramètres absolument déterminants, vu la complexité de tout écosystème marin ou terrestre. Ensuite pour autant que cela soit effectivement établi, cela serait étonnant que chaque écosystème soit tributaire de la même valeur.

    2. 1,5°C de plus en un siècle et demi, eh bien ça fait des canicules en moyenne plus chaudes de 1,5°C et des hivers moins froids de 1,5°C. Je ne vois pas pourquoi il en serait autrement…
      Les théories giécistes capillotractées selon lesquelles le changement climatique va faire augmenter les « événement météorologiques extrêmes » (inondations, sécheresses, canicules, vagues de froid, tornades, cyclones etc…) en fréquence et en violence ne me convainquent pas.
      Ceux qui annoncent pour cette année une saison cyclonique très dangereuse outre Atlantique auront peut-être raison, ou tort, mais ils sont incapables d’expliquer pourquoi l’année cyclonique 2022 fut la plus calme depuis… 42 ans, alors que selon leurs prédictions chaque année aurait du être plus violente que la précédente, because le changement climatique.

    1. Le pionnier de l’étude du climat, E. Leroy Ladurie avait relevé dans les archives du Duché de Bourgogne les dates habituelles de début des vendanges dans cette région et avait noté avec intérêt que vers le milieu du 15e siècle elles furent très précoces, souvent fin août, une chose étonnante quand on sait que sur les bords de la Méditerranée distante en latitude d’environ 600 km, de mémoire d’homme on n’a connu une précocité identique que très récemment durant une ou deux décades, avec un retour progressif à la normale (début septembre) ces dernières années.
      On peut en déduire qu’il devait faire particulièrement chaud à cette époque.

      1. Merci pour ces précisons. Effectivement il a souvent fait plus chaud, ou aussi chaud, qu’aujourd’hui dans la période récente, voir par exemple ici :
        https://www.science-climat-energie.be/2019/11/29/loptimum-climatique-medieval-ce-grand-oublie/#more-6868

        La période qui a suivi (le Petit Age Glaciaire) a également connu des fluctuations rapportées par Emmanuel Le Roy Ladurie
        https://www.science-climat-energie.be/2019/10/03/emmanuel-le-roy-ladurie-a-relire-absolument/

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