L’Arctique se réchaufferait depuis les années 1890

par Prof. Dr. Jean N., Faculté des Sciences, Université européenne

Une publication récente (Tesi et al. 2021), parue dans Science Advance fin novembre 2021 et en libre accès, nous indique que l’Arctique se réchaufferait depuis au moins 1890. Ce résultat provient de l’analyse de microfossiles dans des carottes sédimentaires prélevées dans le détroit de Fram. Si ce résultat est confirmé, le réchauffement actuel de l’Arctique pourrait provenir d’une modification de la circulation thermohaline datant d’il y a au moins 130 ans. C’est un phénomène qui a été appelé « atlantisation ». En d’autres termes, le réchauffement atmosphérique, les aérosols ou l’effet direct de l’ensoleillement sont loin d’être les uniques facteurs intervenant dans le réchauffement de l’Arctique. L’activité humaine sur l’Arctique est donc pour le moins discutable. Les auteurs de la publication nous montrent en outre que les derniers modèles informatiques (CMIP6) ne proposent aucun réchauffement en 1890 dans la région, ce qui est bien entendu contraire aux preuves micropaléontologiques relevées par les auteurs. Les modèles informatiques sont donc à revoir et ne peuvent en aucun cas être qualifiés de « précis », contrairement à ce que pense le Comité Nobel (2021).

1. L’Arctique se réchauffe, c’est un fait.

L’Arctique se réchauffe lentement, ceci n’est un secret pour personne. Ce fait incontestable est particulièrement bien visible chaque année au mois de septembre. Par exemple, en septembre 1980 la glace de mer en Arctique s’étendait sur une surface de plus de 8 millions de km2 alors qu’en septembre 2021 la surface n’était plus que de 5,5 millions de km2. Ces chiffres proviennent de mesures réalisées par satellite et SCE vous en présente chaque mois l’évolution (par exemple ici). Malheureusement, nous ne disposons pas de mesures satellitaires pour les années antérieures à 1980. Il est donc impossible de dire avec certitude ce qu’il s’est passé ni quand le réchauffement a débuté. Cependant, nous disposons de nombreux « proxies » de température dans les sédiments marins. Il s’agit souvent de microfossiles dont l’analyse de l’abondance permet de déduire la température de l’eau de mer en un point donné et ce au cours d’une longue période.

2. La carotte sédimentaire analysée par Tesi et al. 2021.

Les auteurs de l’article publié dans Science Advance se sont ainsi focalisés sur une carotte sédimentaire de 112 cm de longueur prélevée à l’Est du détroit de Fram, dans le Kongsfjorden de l’île Svalbard (Figure 1). Cette région a été sélectionnée car c’est par le détroit de Fram que s’engouffrent les courants marins en provenance de l’Atlantique. Ce phénomène est connu depuis longtemps et les courants du détroit de Fram constituent une partie importante de la circulation thermohaline. Si les courants marins passant par le détroit de Fram ont significativement varié au cours du temps ceci devrait être visible en consultant les archives sédimentaires de ce détroit.

Figure 1. Position du détroit de Fram, entre le Groenland et l’île du Svalbard.

Une carotte sédimentaire a donc été prélevée dans le Kongsfjorden et les auteurs l’ont ensuite découpée, centimètre par centimètre, afin d’en recueillir les microfossiles, principalement des foraminifères benthiques de l’espèce Nonionellina labradorica. Cette espèce à la particularité de proliférer lorsque l’eau du fond de l’océan devient plus chaude. Les auteurs ont également dénombré les foraminifères de l’espèce Adercotryma glomeratum, qui préfère les eaux chaudes et salées, ainsi que les espèces Elphidium excavatum f. clavatum et Cassidulina reniforme, qui sont des espèces préférant les eaux froides et peu salées, par exemple dans les zones où des glaciers se jettent en mer. Les différentes sections de la carotte sédimentaire ont bien entendu été datées avec précision (par une méthode radio-isotopique) et les isotopes de l’oxygène (δ18O) ont été analysés dans toutes les sections afin d’obtenir une idée des variations de température.

3. Les principaux résultats de Tesi et al.

Les principaux résultats obtenus par les auteurs sont présentés dans la Figure 2. Nous pouvons voir que les espèces de foraminifères sensibles à la chaleur (E. excavatum et C. reniforme) tendent à diminuer en abondance à partir de 1890, alors qu’au contraire, les espèces préférant les eaux chaudes ont tendance à proliférer dès 1890 (A. glomeratum et N. labradorica). Ces résultats sont conformes à ceux obtenus avec les isotopes de l’oxygène : la température de l’eau de mer s’est sensiblement réchauffée à partir de 1890 (pour plus de détails voir l’article original). Les auteurs ont également confirmé leurs résultats en analysant les lipides d’Archées présents au sein de la carotte sédimentaire.

Figure 2. Évolution de l’abondance de certains foraminifères benthiques à l’Est du détroit de Fram (Tesi et al. 2021).

Le réchauffement de l’Arctique aurait donc débuté en 1890 et les courants marins pourraient en être la cause. Qu’en est-il donc de la contribution anthropique? Disons-le tout de suite : il serait douteux que l’homme soit responsable de ce réchauffement des masses océaniques en 1890. En effet, l’être humain ne peut pas réchauffer l’eau de mer. Le GIEC propose bien entendu que l’être humain soit responsable du léger réchauffement de la basse atmosphère (± 1°C), explication contestable bien entendu (voir ici), mais l’atmosphère peut difficilement ensuite réchauffer les océans. Pour vous en convaincre essayez par exemple de réchauffer un seau rempli d’eau en soufflant sur la surface de l’eau avec un sèche-cheveux… De plus, en 1890 la population humaine était inférieure à 1,5 milliards d’individus et ses émissions de carbone étaient alors très faibles (356 millions de tonnes en 1890, et 9776 millions de tonnes en 2013, soit 27 fois plus). Pour ceux qui pensent que c’est le CO2 qui ‘pilote’ la température (ce que SCE a de maintes fois réfuté), ajoutons qu’en 1890 le taux atmosphérique de CO2 était 30% plus bas qu’aujourd’hui (294 ppm), que les avions à moteur n’existaient pas et que peu de personnes disposaient d’une voiture. Le lent réchauffement de l’Arctique serait donc essentiellement la conséquence naturelle d’un phénomène appelé « atlantisation », c’est-à-dire la pénétration continuelle d’eau chaude et salée dans l’Arctique via le détroit de Fram (Polyakov et al. 2017, Lind et al. 2018, Årthun et al. 2012).

4. Vérification avec des modèles informatiques

Les auteurs ont ensuite utilisé des modèles informatiques pour essayer de reconstituer l’évolution de la température dans la région. Ils ont ainsi comparé les simulations de deux modèles sophistiqués qui contribuent à la phase 6 du projet d’inter-comparaison des modèles climatiques (CMIP6 ; MIROC-ES2L et MRI-ESM2.0). Ce sont actuellement les deux seules simulations historiques CMIP6 disponibles. Pour une comparaison directe avec les proxies, les auteurs se sont concentrés sur la salinité et la température saisonnières intégrées à la profondeur de la partie supérieure de l’océan (250 m) le long de l’ouest du Svalbard. Les résultats des simulations climatiques sont en totale contradiction avec les reconstructions basées sur les observations (Figure 3).

Figure 3. Résultats des modèles informatiques CMIP6 (courbes C et D) et observations basées sur les foraminifères (la courbe E concerne A. glomeratum, et la courbe F concerne les isotopes de l’oxygène des tests de N. labradorica). La température ne varie pas significativement en 1890 pour les modèles, mais varie significativement en 1890 pour les proxies.

5. Conclusions

• Les foraminifères fossiles nous montrent que la circulation thermohaline s’est modifiée vers 1890 au niveau du détroit de Fram : des quantités plus importantes d’eau chaude se sont probablement engouffrées vers l’Arctique à partir de ce moment. Cette « atlantisation » a eu d’innombrables conséquences, parmi lesquelles nous trouvons la diminution progressive de la surface de glace de mer en Arctique.

• La modification de la circulation thermohaline doit donc être ajoutée à la liste des causes probables expliquant le réchauffement de l’Arctique. Cette liste comprend également d’autres causes comme une augmentation de la quantité d’aérosols ou un ensoleillement plus important suite à la modification de la quantité de nuages. L’être humain ne peut pas être la cause de ce réchauffement entamé en 1890.

• Les modèles informatiques ne prévoient pas de variation de circulation thermohaline en 1890 dans le détroit de Fram. Les modèles informatiques ne sont donc pas précis et sont donc à revoir.

Références

Årthun et al. (2016) Quantifying the influence of Atlantic heat on Barents Sea ice variability and retreat. J. Climate 25, 4736–4743.

Lind et al. (2018) Arctic warming hotspot in the northern Barents Sea linked to declining sea-ice import. Nat. Clim. Chang. 8, 634–639.

Polyakov et al. (2017) Greater role for Atlantic inflows on sea-ice loss in the Eurasian Basin of the Arctic Ocean. Science 356, 285–291.

Tesi et al. (2021) Rapid Atlantification along the Fram Strait at the beginning of the 20th century. Sci. Adv. 7, eabj2946.

6 réflexions sur « L’Arctique se réchaufferait depuis les années 1890 »

  1. «  » » » » »L’être humain ne peut pas être la cause de ce réchauffement entamé en 1890. » » » » »
    J’aurais écrit : »L’être humain ne peut pas être la cause unique de ce réchauffement entamé en 1890. » » »
    et j’aurai ajouté : » même si Berry , Harde et Salby affirme l’inverse , lhomme est 100% reponsable de l’augmentation du CO2 atmosphérique  »

    « The adventure matches the readiness of the hero »

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    Background

    Health Physics published the paper by Kenneth Skrable, George Chabot, and Clayton French on January 8, 2022.

    Titled “Derivation of equations and example calculations of the components of CO2,” their study used 13C and 14C data to find the upper limit of human CO2 in the atmosphere (as of 2020) is 48 ppm of the 415-ppm total.

    Their maximum amount of 48 ppm is exactly what Berry (2021) predicted using IPCC’s (Intergovernmental Panel on Climate Change) natural carbon cycle data.

    Using IPCC’s data, Berry predicted the mean human contribution to atmospheric CO2 as of 2020 is 33 ppm with upper and lower limits of 24 ppm and 48 ppm.

    Skrable et al. (2022) is a remarkable, independent confirmation not only of Berry (2021) but also of Harde and Salby (2021), Salby and Harde (2021a), Salby and Harde (2021b) and many of their references, as well as IPCC’s data for its natural carbon cycle.

    Skrable et al. (2022) write,

    These results negate claims that the CO2 increase since 1750 has been dominated by human CO2 emissions.

  2. Merci pour cet article très intéressant !
    Quelque chose me surprend tout de même dans la figure 2 : l’allure en forme de « crosse de hockey » ! C’est étrange, non ? Alors que durant les années 1300, en raison de l’Optimum climatique méfiéval, on devrait voir une abondance de A. Glomerantum et de N. Labrodorica et a contrario une faible concentration de E. Excavatum et de C. Reniforme, il n’y a en réalité rien de tout cela. On observe à l’inverse une « hockeystick » tout le long de la courbe… Y a-t-il une explication à ce phénomène ?

    1. Attention, les foraminifères indiquent des température du fond de l’océan uniquement à l’endroit du détroit de Fram. Ce sont des indicateurs de la température de courants marins. Il n’est donc pas étonnant que ces indicateurs ne rendent pas bien compte de l’optimum climatique médiéval ou du petit âge glaciaire. De plus, l’optimum climatique médiéval se situe aux alentours de l’an 1000 (et non 1300). Sinon, vous avez raison, nous sommes face à des « hockey sticks », mais qui débutent en 1890.

  3. « mais l’atmosphère peut difficilement ensuite réchauffer les océans. Pour vous en convaincre essayez par exemple de réchauffer un seau rempli d’eau en soufflant sur la surface de l’eau avec un sèche-cheveux »
    Cette réfutation ne tient que par une interprétation littérale du verbe « réchauffer », pas face à quelqu’un qui dirait – plus subtilement – que l’atmosphère plus chaud ralenti le refroidissement naturel des océans… et donc tend à augmenter sa moyenne journalière vers sa maximale diurne.
    Bien sûr, c’est une remarque de forme car cela n’empêche pas l’advection par les courants aux pôles, ou les orages tropicaux d’expulser au-dessus de la troposphère l’air chaud.

    Cette ressemblance de la fig2 avec la cross de hockey de Mann peut poser un doute, mais il est difficile de voir une manipulation : Il n’existe qu’une carotte à analyser, et les « proxies » n’ont qu’à être compter. La stabilité du passé est donc réelle.
    Il reste à espérer une confirmation de cette date de changement avec une autre découverte.

  4. 02/11/1922 – WASHINGTON POST –
    « L’Océan Arctique se réchauffe. Les icebergs sont de plus en plus rares, et les phoques fuient des eaux trop chaudes. Tout ceci conclut à un changement radical des conditions climatiques. Des grandes masses de glaces ont été remplacées par des moraines de terre et de pierres alors qu’à d’autres endroits, des glaciers ont entièrement disparu ».

  5. J’ai lu votre article avec trop de retard pour faire un commentaire très long. Il me semble cependant très important de pouvoir répondre aux objections des alarmistes qui veulent mettre tous les phénomènes géophysiques sur le dos des activités humaines. Comme ancien biologiste, je suis heureux de constater que l’étude des espèces de foraminifères nous apportent plus que les modèles informatiques qui sont le plus souvent basés sur une supposition non démontrée.
    « Vous devriez ouvrir vos yeux pour constater que le climat se réchauffe puisque les glaces arctiques fondent à toute vitesse. » disent les alarmistes et les inquiets qui les écoutent.
    Il est clair que la fonte a commencé bien avant les émissions anthropiques de CO2 et que la fonte s’entretient très bien toute seule puisqu’elle diminue aussi l’albedo des territoires devenus foncés. Il en est de même pour les glaciers de montagne, dont la régression a commencé dans les années 1850.
    Par ailleurs, il est très utile que vous rappeliez que l’air, même chaud, ne chauffe pas l’eau liquide. C’est donc imbécile de croire qu’une atmosphère de quelque degrés plus chaude que les eaux océaniques circumpolaires pourraient les réchauffer au point de faire fondre la glace.

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